Le soleil caresse de ses derniers rayons la toiture du chapiteau. Dans les cages, les bêtes s’agitent. Le froid commence à s’insinuer en toi. Tu frissonnes. Tu es loin de ces somptueux vêtements de scène, dans lesquels tu paradais avec une moue orgueilleuse. Tes cheveux dorés ne sont plus parés de pierres précieuses et de fleurs élégantes. Ils sont à présent sales, ternes, lâchés. Sauvages. Tu te souviens encore quand tu souriais aux lions, faisant à peine un geste pour qu’ils t’obéissent. Tu te pinces les lèvres. A présent, plus personne ne serait aux ordres de Lily Bakwood. L’ancienne étoile de
Circus of fire. Voilà. Il est l’heure. Elles s’allument une à une. Ses lumières tapageuses qui t’avaient éclairé. La musique qui t’avait bercé depuis toute petite résonne dans l’air humide de la nuit. Tu sens que le cirque commence à s’animer à peine le soir tombé. Le nom
Circus of fire, pancarte gigantesque à l’entrée, s’illumine avec un éclat écarlate. Toutes ses choses ne te sont plus destinées à présent : un autre oiseau rare vient d’entamer son envol. A cette idée, tes muscles se crispent, tes poings se serrent. Oh et pourtant… on t’avait promis la lune là-bas. Mais le cirque n’est qu’une illusion après tout. On croit la saisir et à peine disparaît-elle. Il y a foule ce soir. Les badauds se sont déplacés par centaine, on dirait. Enfin, tu le saurais si tu avais appris à compter. Tous ces rires. Ces petits-enfants, tout excités par ce qu’ils vont voir. Ses couples qui se tiennent par la main. Ils savent ce qui les attend demain, eux. Ils savent ce qu’est le bonheur…toi, tu as su un jour. Même si à présent, tu comprends que lorsque le directeur s’approchait de toi, ce n’était que pour que tu lui donnes encore plus de feu. Ton feu. Celui qui anime chacun de tes pas. Ceux qui t’ont mené vers ce rôle. Rôle qui semblait être fait sur mesure pour toi. Avant ce jour.
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«Ma douce et fragile petite fleur. » Sa voix dans ta tête te donne la nausée. C’est la même voix qui t’a renvoyé, après tout.
« Lily. Ma belle, ma sublime Lily. »Tu avais tourné ton regard d’océan glacé vers lui. Ses manières ignobles ne te faisaient plus rien depuis tout ce temps : la manière dont il se tenait, son embonpoint prononcé, sa petite barbe rousse, son ton mielleux et ses yeux rusés ne t’atteignaient plus. Mais ses paroles, elles, t’ont touché en plein cœur :
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« Mon petit oiseau de nuit… ma divine Lily… » Tu l’avais senti venir. Tu as continué tout de même ta danse gracieuse, celle qui faisait toujours frémir les foules. Une petite libellule qui se pose sur la berge. Avant que le crapaud ne la dévore.
• « Lily, j’aimerais te présenter quelqu’un ! » Elle est sortie de nulle part. Peut-être de la nuit et du brouillard ? Ses yeux d’émeraude t’ont percée à jour. Son sourire t’a déchiffrée, caché derrière sa longue chevelure sombre. Tu t’es arrêtée en plein élan. Ton pied s’est dérobé et tu t’es effondrée. Un petit rire cristallin avait retentit. Walesbey avait ri à son tour, applaudissant des deux mains, le regard approbateur.
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« Je vois qu’elle te fait autant d’effet qu’à nous tous ! Je te présente Syra, notre nouvelle petite fée ! »Ton visage et ton cœur se sont décomposés.
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Dans ta tente, tu as regardé d’un air vide les babioles, les tenues et les bijoux. Les mains posées sur tes genoux, tu as senti que ton âme était déchirée. Tu ne te produiras plus. Ta vie n’a plus de sens. Tu as senti son approche. Seule. Tu as senti cette atmosphère glacée. Insupportable. Une ombre. Puis le rideau s’est soulevé. Walesbey t’a fixé de ses yeux de pierre. Ses traits sévères l'étaient plus qu’à l’accoutumée.
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« Lily. » Tu n’as pas réagi. •
« Il est temps que tu t’en ailles. »Le barrage qui retenait tes larmes jusqu’à présent a cédé. Tu as serré la robe de soie brodée d’or contre toi. Son regard s’est fait plus obscur encore.
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« Lily. Je ne te le demanderai pas deux fois. Tu as terminé ton travail ici. Il est temps pour toi de céder ta place. »Il t’avait tout donné. Tu venais de saisir : c’était pour mieux tout te reprendre.Tes tempes battent en entendant cette voix détestée qui s’élève dans les airs jusqu’à toi. Cette voix hypocrite et sirupeuse que tu haïs jusque dans ta chair. Sans t’en rendre compte, tu te lèves.
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« Bienvenue au Circus of Fire, mesdames et messieurs ! Avant de passer au premier numéro, j’aimerais vous annoncer que ce soir, en exclusivité… nous accueillons une nouvelle recrue ! Une ovation pour Syra, mesdames et messieurs ! »Tu vacilles et trébuches mais tu te redresses. Ces applaudissements te sont réservés. Ces exclamations te sont réservées. Cette scène t’est réservée. Tu te traînes lentement vers le chapiteau. Un goût métallique sur la langue. Tu sais ce que tu dois faire. Un bidon d’essence et un paquet d’allumettes. Tu les trouves sans soucis. Tu as veillé à ne pas te faire voir. De toute façon, ils sont occupés : ton show ne va pas se faire tout seul voyons ! Tu jettes le liquide froid sur la table et sur l’herbe autour. Tu barres l’entrée avec ce que tu trouves, le rideau de velours t’abrite des regards. Il leur sera difficile de sortir. Alors enfin, tu grattes l’allumette. Après quelques étincelles, elle s’allume. Tu souris. Doucement, savourant ce moment, tu enflammes le chapiteau qui s’embrasse immédiatement. Tu t’éloignes légèrement en admirant ton brasier. Et entends les cris. Tu sens à présent que cette rancœur, l’amertume défaite que tu ressasses sans cesse est enfin finie.
La foule à l’intérieur hurle, déchaînée. Et finit par défoncer l’entrée. Tu t’en fiches : ta cible n’aura jamais le temps de s’enfuir. Les gens se bousculent, s’écrasent et ton cœur bondit de joie à cette vue. Ils ont peur ! Ils s’enfuient aussi vite qu’ils le peuvent. Le chapiteau s’effondre. Il n’est pas ressorti. Elle non plus. Pas encore…~Alors que tu regardes avec délice les flammes s’élever jusqu’au ciel immense, que tu respires ta toute-puissance, une ombre discrète et agonisante s’approche de toi. Tu entends des sanglots étouffés dans une gorge trop serrée. Tu te retournes. Elle est là. C’est elle, l’étoile du
Circus of fire. Ses mains sont posées sur ses joues de porcelaine alors qu’elle contemple ton plus fantastique spectacle. Les flammes avalent les restes de toile et de cadavres qui n’ont pu évacuer. Tu sens à peine la fumée qui monte jusqu’à toi. Tu la fixes, le sourire aux lèvres. Sa cuisse est couverte de cloques et son pied n’est plus. Ses épaules sont couvertes de brûlures énormes. Elle s’étrangle, essaye en vain de parler. Tu ris, heureuse de ta réussite : elle a réduit ta vie en lambeaux ; la sienne, tu la réduis en cendre ! Elle s’écroule. Ses frêles petites jambes ne la soutiennent plus. Son unique pied non plus.
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« Lily, Lily… » Elle s’étouffe en rampant vers toi. Ses paupières battent singulièrement telles les ailes d’un papillon. Son souffle capricieux lui permet à peine d’inspirer. Sa main attrape ta cheville. Tu recules. Sa main délicate tombe dans la poussière.
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« Lily, Lily… » répète-t-elle. Tu te penches lentement vers elle.
« Après… après ce soir… il avait choisi de te reprendre. » Crash, crash.
Burn, let it all burn.
This hurricane chasing
us so long to cry.