«On a le choix de ses plaisirs, pas celui de ses souffrances. On dirait plutôt que les souffrances nous choisissent, elles connaissent nos faiblesses et le terrain de jeu de nos illusions...» P. Filion.

Haine. Cris. Désespoir.

La bataille avait fait des ravages. L’odeur de charogne était plus que présente et les traces de sang tapissaient entièrement le sol. On pouvait encore s’imaginer les hurlements terrorisés et les griffes transperçant des flancs. Voilà qui résumait bien cette situation pathétique.
J’avançais, doucement mais sûrement vers ce qu’il restait de la tanière de mon chef. Je repérais dans la foule de corps inanimés, des guerriers que j’avais si bien connus autrefois. Une vague de tristesse m’envahit et je sentis des larmes perler au coin de mes yeux. Je poussais un long soupir désespéré et avança encore un peu. Tous à terre… ils le sont tous … constatais-je. L’ambiance morbide et le silence de mort planant sur le camp me fit frissonner. Je restais là à les regarder en me remémorant le bon vieux temps. Et pourtant, comme si le ciel avait fait preuve d’une commisération inespérée envers le clan, une lueur d’espoir persista. En effet, à l’abri de la cruauté ayant fortement régné ici quelques heures plus tôt, le corps d’un chaton se trainait péniblement vers une flaque ressemblant plus à de la boue qu’à de l’eau. Mes yeux brillèrent, pleins d’espoir. Il ne devait pas être le seul. Je m’approchais du petit et l’attrapais par la peau du cou pour le déposer près d’une flaque que je jugeais plus ou moins propre. J’entendis alors des couinements provenant du fond du camp. Abandonnant la petite chose fragile, je me précipitais dans cette direction. C’est alors qu’à l’orée d’un genêt, gisait sur le sol cinq autres chatons serrés contre trois reines inertes. Malgré leur immobilité inquiétante, il me sembla que leurs cages thoraciques se soulevaient faiblement mais régulièrement. Elles étaient vivantes. Un boucan se fit entendre et me fit sortir de mes pensées. Me retournant, j’aperçus la guérisseuse s’activant à examiner et à déposer quelques substances que les corps malades. En me voyant, elle accourut :
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« - Oh, Éclat de Cristal, tu es vivante, c’est génial ! s’écria t-elle. »

Génial ? Étrange réaction … pensais-je.

«- Bon nous n’avons pas le temps de discuter, dit-elle sans me laisser répondre. Presque tous nos guerriers sont blessés mais ils devraient s’en sortir. Il me faut des toiles d’araignée comme pansement, de la bile de souris et des fleurs de pavot contre la douleur. File m’en chercher.

- Très bien, j’y vais. Mais avant, as-tu vu Étoile des Songes ? Je ne la trouve pas, répondis-je d’un air inquiet. »

Elle me fit non de la tête et me raconta que la dernière fois qu’elle l’avait vue, celle-ci sortait du camp pour faire fuir un ennemi. Je la remerciais et filais dans le tunnel d’ajonc. Puis, en sortant du camp je vis un corps inanimé à quelques longueurs de queue. Je m’approchais et fût horrifiée en constatant que c’était celui de celle qui m’avait précédemment nommée lieutenante…

«On ne rapièce pas le temps passé à coups d'illusions.» P. Filion

Cela faisait deux jours que nous étions sans chef, comme des orphelins. Il me fallait partir avant le lever du soleil. Tout était prêt. Je fis un récapitulatif auprès des guerriers déjà debout et me mis en route. Je n’arriverais pas avant la nuit. Chassant sur le chemin, je fus déçue de voir si peu de gibier sur le territoire. Puis, aperçu en fin de journée les rochers abritant la Pierre de Lune. La lune apparaitrait très bientôt. Je pris mon inspiration et pensa fort aux membres de mon clan. Je ne devais pas les décevoir. Enfin, je pénétrais dans la grotte avec fierté et détermination. L’endroit était insalubre et je dus me servir de tout mes sens pour avancer. L’humidité me frisait les moustaches et je secouais la tête avec impatience. Mais où était donc cette fameuse pierre ? J’étais exténuée et c’était par miracle que je ne m’étais pas encore écroulée à terre. Fermant les yeux quelques secondes, je me concentrais sur ce que je ressentais en ce moment précis. Une douce brise vint caresser mon pelage et un délicat parfum de fleurs me chatouilla les narines. A l’extérieur, une chouette hululait et j’entendais devant moi le bruissement d’une rivière. J’écoutais avec attention. Oui, j’en étais désormais sûre, il y avait un point pas très loin de ma place actuelle. Je courus précipitamment et manqua même de tomber. C’est alors, que j’eus la plus grande des surprises ...

«La conscience, c'est la vie. L'inconscience, c'est la mort. Entre les deux, c'est la souffrance.»

Plic. Ploc. Plic. Ploc.

Devant moi s’étendait un vaste lac souterrain reflétant les cristaux incrustés dans la roche. Un espace laissait filtrer la lumière de la lune ainsi que les astres provoquant le reflet du firmament sur les parois de l’antre. Cela donnait un effet de lumière magnifique. L’air était frais et me faisait frissonner mais j’étais tellement subjuguée par la beauté de cet endroit que je ne m’en rendis même pas compte. Puis baladant mon regard un peu partout, je fus intriguée quand je vis une imposante pierre bleue étincelant comme une étoile. Elle était d’une teinte profonde et je fus presque hypnotisée, tellement cela m’impressionnait. Je restais là, à contempler l’endroit de longues minutes et je pense que j’aurais pu y rester toute la nuit si une voix ne m’avait interrompue dans cette activité.

« - Bonjour jeune lieutenant. »

La silhouette d’un guerrier se dessina et je reconnus alors un ancien membre du clan de l’ombre, mort il y a peu de temps. Il semblait si parfait … Comme dans un rêve.

« - Bonjour, balbutiais-je »

C’est alors que surgit de nulle part des chats de plus en plus nombreux. Ils étincelaient tous à la lumière et je remarquais qu’ils étaient des défunts de différents clans. Le clan des étoiles, en personne. Je reconnus des chefs, des lieutenants et autres guerriers ayant autrefois connus une vie prospère. C’est alors que j’aperçus mon ancien chef, Étoile des Songes, s’approcher de moi.

« - Contente de te revoir, dit-elle. Il est temps, continua t-elle à l’intention du groupe. Tu es l’élue. Tu vas désormais recevoir tes neuf vies… »

Elle me fixa du regard, ce qui me poussa à me redresser d’un air fier. Une boule d’angoisse me serra l’estomac. Quand je ressortirai de cette grotte, je ne serai plus la même. Cette prise de conscience me crispa. Puis, l’ancienne meneuse me fit signe de m’avancer vers la Pierre de Lune. Je connaissais la procédure, l’ayant déjà vue être exercée par les guérisseurs. Je m’allongeais et posa le bout de ma truffe contre la pierre glacée. A peine l’avais-je touchée que je tombais dans un sommeil profond.
Une déflagration de lumière m’aveugla puis je fus parcourue de violentes convulsions. J’avais l’impression que l’on m’arrachait le cœur. Tout en moi tremblait et je perdis conscience. La seule chose qu’il m’était désormais possible de ressentir, c’était la douleur. On aurait dit que mon corps changeait pour être plus musclé, plus fort et parcouru d’un sang neuf. Mes blessures cicatrisaient, mon poil redevenait aussi doux et soyeux que celui d’un chaton. Mes griffes s’allongèrent et ma carrure se fit plus imposante tout en affinant mon corps et en allongeant mes pattes. J’étais en train d’être taillée pour l’habileté, la vitesse et le combat. En un mot, je mutais.
Cela dura toute la nuit. Et quand, enfin je pus à nouveau respirer normalement, le groupe d’ancêtres tout entier vint se placer face à moi. J’entendais leurs messes basses et leurs yeux me défigurer de la tête aux pieds.

« - Ce n’est pas normal, chuchotait un chat roux.
-Il ne devrait pas y avoir tant de changement, disait un autre. »

Ils ne semblaient absolument pas gênés de faire leurs remarques tandis que je les regardais. Cette situation me mettait mal à l’aise. Puis, suite à l’ordre de l’un d’eux, tous se turent. Ce fût encore plus stressant. Leurs regards critiqueurs pointés sur moi me faisaient trembler intérieurement. Le chat ayant donné l’ordre s’approcha de moi, tout en adressant la parole au groupe :

« Mes amis, cela est un signe. Il est celui de la prophétie. »

Je me permis de répondre :

« - Qu'est ce que cela veut dire ? Quelle est cette prophétie ? »

Il me regarda de ses grands yeux bleus azur avant d’annoncer :

« Quand l’eau se distinguera par sa force, un élément avec qui il sera en symbiose le trahira sans raison… Tu es le chef qui permettra à ton clan de s’en sortir.»

L’eau… elle symbolisait le clan de la Rivière … Quand à l’élément… étais-ce un élément naturel ? Tel que le feu, symbolisant le clan du tonnerre ou l’air, symbolisant le clan du vent. Ou peut-être était-ce seulement une inondation, une tempête … Tout cela m’embrouillait. Je ne savais que penser. J’allais répondre au guerrier que je n’étais pas sûre de réussir mais celui-ci anticipa :

« -Tu as survécu, tu es donc prête. Maintenant, retournes parmi les tiens et accomplis tes tâches. Le clan des étoiles est avec toi. »

Je n’eus pas le temps de répondre qu’un éclair de lumière vint m’aveugler et en rouvrant les yeux je m‘aperçus que j’étais seule. Ce devait être un rêve, me dis-je. Je me rapprochais alors du point d'eau pour voir à quoi je ressemblais. J’étais la même qu'avant, mais avec des reflets couleur argent sur mon pelage. Mes muscles étaient bandés comme dans ma jeunesse et mon œil était vif. Je me sentais plus forte et apte à diriger.
Non, je n’avais pas rêvé, tout cela était bien réel. J’étais chef et je devais désormais m’en aller auprès de mon clan afin de le protéger comme il se devait …

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