« Tiens, tiens, mais voilà donc notre lâche en chef ! Tes terres mon petit ? Oublierais-tu que je suis censée faire partie de votre jolie petite harde ? Tu as à peine fini de téter ta mère que tu donnes déjà des ordres aux anciens ? Quelle ingratitude envers une de celles qui t'a vu naître … »

J'apercevais, danser dans ses yeux les flammes froides de la haine. Des flammes brûlantes et mordantes, mais aussi glacées qu'une lame de gel. Je haïssais aussi cette orgueilleuse jument. De quel droit venait-elle pavaner sa longue crinière rêche aux teintes ténébreuses devant nos naseaux ? Je n'en croyais pas mes oreilles. Pourquoi disait-elle de telles paroles ? De toutes façons, elle abhorrait la harde. Presque plus que ses masochistes de maîtres humains. Elle ne pensait qu'à elle, cette vipère. Je me rappelais ses paroles, griffes de pumas et crocs de serpents déchirants mon cœur en lambeaux. Elle ne bougeait pas, mais le masque de dureté qui dissimulait son visage révélait une grande faille, mais laquelle ?… On y décelait seulement un mépris incommensurable, un mépris qui ne servait qu'à faire du mal, autant à elle qu'à ses congénères raciaux. J'avais envie de me cabrer, de lui lancer mes sabots dans les dents et de la laisser crever. Mais je ne pouvais pas lâcher. Il fallait résister à tout prix. Elle qui se vantait d'avoir connu la Harde … Elle n'en savait rien ! Je n'étais pas un lâche, je défendais mes droits hardiment. Je savais que j'avais obtenu mon poste en faisant mes preuves, pas par une obligation de sang ou autres balivernes de ce genre ! Peut-être étais-je jeune, mais j'avais plus de droits que cette frisonne malsaine. Ses mèches de feu s'agitaient dans sa crinière noire au rythme du vent. La pleine lune éclairait la terre d'un halo fantomatique. Timeless commença à tourner en rond autour de moi, m'hypnotisant de ses pupilles grises. Je me rappela comment plusieurs années auparavant, Rivière, la belle jument, ma mère, avait réussi à séduire mon père avec un regard doux et hypnotique. La femelle au pelage ébène était restée une belle représentante de sa race, après tout. Mais je me refusais à rester le regard posé sur elle. Furieux, je repris mon assurance antérieure. Elle fit la ronde autour de moi, et je me détournais à son rythme. Puis, elle se décrocha de moi et entreprit d'observer la jument Indienne dont je ne connaissais pas le nom, qui tremblait légèrement, en proie à un léger sentiment anxieux. Elle s'approcha à pas feutrés de la jument neige et lui chuchota quelques paroles presque inaudibles mais que je pus comprendre.

« Tu m'as l'air de bien aimer Danger dis-moi... Le beau Danger, le grand Danger... Fait attention à toi avant qu'il ne t'abandonne comme tous l'ont fait …»

Ses piques avaient l'air de terrifier la jument. Elle s'approchait d'elle, comme en dansant, puis reculait, prédateur torturant sa proie apeurée, ne laissant aucun répit. Danger fit la moue un instant, et je vis la douleur tordre ses traites durcis. Je compris à l'instant qu'il pouvait presque, limite mourir pour elle. Il l'aimait, tout simplement. Il réussit à se détendre pour prononcer quelques mots.

« Melody, sache qu'en t'adressant ainsi au chef du troupeau, tu t'attires le courroux de tout le monde. La nuit est traitre... Même si, dans le jour, tu pourrais aussi tomber. Ce combat est entre toi et moi. Laisse Cheyenne tranquille. »

La mâle aux teintes rousses semblait plus en proie aux pouvoirs destructifs de Timeless que moi. Il flageolait sur ses sabots, comme s'il avait couru pendant plusieurs heures. Il observait la femelle dans les yeux. Puis il monta sur ses jarrets arrières. Il ouvrit la gueule, présentant ses dents à son adversaire comme un lion prêt à abattre une gazelle chétive. Mais là, la gazelle n'était chétive en rien. Elle avait même plutôt l'air de dominer Danger. Il tendit ses oreilles vers moi. Je ne su que dire. S'il engageait la bataille, et qu'il la gagnait, ce serait aussi une bataille personnelle gagnée pour moi-même. Mais s'il la perdait, quels dégâts … Par ailleurs, il ne se procurait pas le droit de laisser Timeless, à l'avenir, déblatérer sur les envies folles et fougueuses des membres de sa troupe. Il ne savait que dire.