C'est drôle, je n'aurais jamais pu imaginer que cette douleur disparaisse un jour. J'avais l'habitude de sentir mon cœur se serrer  à chaque fois que je pensais à maman. J'avais envie de hurler à chaque fois que son souvenir s'apposait à mon esprit. Maintenant, je peux penser à elle  sans que ma gorge se noue et que mes yeux s'embuent. Je ne sais pas si c'est parce que je me suis habituée à la douleur, ou si c'est parce que j'ai grandi. Peut-être un peu des deux.
Maman me manque toujours, bien sûr. Mais d'une façon différente. J'ai déjà du mal à me souvenir des traits de son visage et des inflexions de sa voix. C'est comme un souvenir, lointain, qui le deviendrait encore un peu plus chaque jour. Je le vois disparaître peu à peu dans les méandres de mon esprit, sans rien pouvoir y faire.

Le plus étrange dans tout ça, c'est que ça ne me fait rien. J'ai l'impression de plus rien ressentir, d'être comme une coquille vide, spectatrice de ma propre vie à défaut d'y jouer un rôle déterminant. La plupart du temps, comme aujourd'hui, je m'assois près de l'arbre mort et je regarde les territoires du clan de l'Ombre qui s'étendent sous mes yeux. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire, de nostalgie peut-être, en imaginant qu'un jour tout ça a appartenu à Étoile de la Louve. Je me souvenais de comment les guerriers du clan nous traitaient, mes frangins et moi. J'avais l'impression d'être une reine. Aujourd'hui, je me sens déchue, dépossédée de tous ces privilèges.

Personne ne sait que je caresse le rêve de marcher sur les traces de maman. Personne ne pourrait se douter à quel point, déjà, j'ai envie de faire partie des grands de ce monde. Je nourris en moi cette ambition, cette folle ambition, de m'élever au plus haut comme maman. A la différence près que je suis loin d'être aussi sage et avisée qu'elle l'était. Je n'ai ni l'étoffe d'une guerrière ni d'une meneuse mais je ne perds pas espoir : j'ai encore du temps devant moi. Beaucoup de temps.