Je n’aime pas parler de cette histoire. Cela fait remonter trop de mauvais souvenirs. De la tristesse, de la culpabilité, de la haine aussi. Mais je n’y couperais pas n’est-ce pas ? Alors allons-y.

Tout a commencé lorsque j’étais apprentie. A l’époque, j’étais une chatte timide et je manquais douloureusement de confiance en moi. J’avais toujours peur de mal faire, et j’osais rarement poser des questions. Heureusement Écho Silencieux, mon mentor, était très bon pédagogue et petit à petit, grâce à lui, je m’affirmais.

Ce jour là,  nous étions parti chasser tous les deux. Écho Silencieux voulait que je perfectionne ma technique pour chasser les rongeurs. A l’époque, j’avais 10 lunes et encore beaucoup de mal à avancer dans les sous-bois en gardant une position parfaite, si bien que mes proies remarquaient ma présence avant que je ne soit assez près pour les attraper. Nous avions pris la direction de la hêtraie, puis notre chasse nous avait amenée de plus en plus près de la rivière, à l’endroit où les berges commencent à devenir abrupte, juste avant les gorges. J’étais tapie sur le sol, un campagnol à quelques pas et Écho Silencieux me donnant des conseils à l’oreille. Brusquement mon mentor se redressa, faisant fuir ma proie. Je me relevai aussi et laissai échapper un miaulement de contrariété. Cette fois, je sentais que je pouvais l’avoir ! Mais j’oubliai ma déception lorsque mon mentor chuchota :

Un intrus, par là, dit-il avec un mouvement de la queue. A son odeur, il doit venir du Clan de l’Apothéose. Viens, nous allons le chasser.

Je retins mon souffle et observai mon mentor, attendant ses instructions. Celui-ci huma l’air encore une fois puis commença à se déplacer en silence vers la lisière des arbres . Je le suivis puis m’arrêtai à côté de lui sous un buisson de genêt. Mon coeur tambourinait dans ma poitrine. C’était la première fois que je devais me battre contre un intrus. Ces derniers temps avaient été plutôt calmes et je n’avais commencé mon apprentissage que depuis 4 lunes.

Soudain je vis apparaître le chat en question. Il était noir et blanc, et marchait comme un chasseur pistant une proie. Je retins mon indignation. Cet étranger était en train de chasser sur les terres de mon clan !

- Fait ce que tu peux pour l’handicaper mais ne te mets pas directement en danger, me murmura Écho Silencieux à l’oreille.

Après quoi, il bondit en avant avec un feulement de rage, et le combat commença. Je faisait tout mon possible pour aider mon mentor, mais mes coups de griffes et de crocs ne semblaient pas avoir beaucoup d’effet sur mon adversaire. Il était comme un serpent, esquivant, se faufilant puis frappant avec force là où on ne l’attendait pas. Il concentrait toutes ses attaques sur Écho Silencieux, comme si je n’avait pas le moindre intérêt pour lui. Et c’est sans doute le cas, pensai-je en essayant de le mordre. Il m’envoya bouler d’un coup de patte et je m’écrasai douloureusement sur le sol, sonnée l’espace d’une seconde.

Je me relevais d’un bond, sentant ma rage et ma motivation grandir. Ce sale matou allait voir ! Mais brutalement tout disparu, ne laissant que l’incompréhension. L’ennemi avait renversé Écho Silencieux sur le flan et planté ses crocs dans sa gorge. Mon mentor, lui, ne bougeait plus, comme s’il s’était rendu. Ses yeux grands ouverts étaient remplis de peur mais fixes, comme s’ils ne voyaient plus.

Je sentis tous mes poils se hérisser. Il l’avait tué, il avait tué Écho Silencieux ! J’avais du mal à admettre la réalité. Depuis que j’étais devenue son apprentie et que je passais toutes mes journées avec lui, j’avais appris à connaître Écho Silencieux et je l’admirais énormément. C’était un très bon guerrier. Ce n’est que plusieurs lunes plus tard, que j’avais réalisé que ce jour-là, son adversaire était trop fort pour lui.

Les instants qui suivirent, je les vécus comme dans un rêve. L’ennemi se retourna vers moi, visiblement très satisfait de lui-même et fixa ses yeux dans les miens. Tétanisée, j’étais incapable d’émettre le moindre son, la moindre plainte. Mais mon esprit; lui, tournai furieusement. Qui était ce démon ? Comment avait-il pu tuer mon mentor sans aucun scrupule, sans aucun respect du code du guerrier ? Et qu’est-ce qu’il allait faire maintenant ? Il sembla lire dans mes pensées.

- Je ne peux laisser aucun témoin, tu comprends ? me dit-il d’une voix si douce, qui me fit frissonner.

Je savais ce que ça voulait dire, et mon instinct de survie, porté par ma panique, prit le dessus. Sans même un dernier regard pour le corps sans vie de mon mentor, je partis en galopant à toute allure sans même voir où j’allais. Je n’avais qu’une idée en tête : m’éloigner le plus possible de ce matou, ne pas le laisser me rattraper. J’ignorais si j’avais pris la direction du camp, mais ça n’avait aucune importance. Une seule pensée occupait mon esprit : plus vite, plus vite ! S’il me rattrapait, j’étais morte. Et je savais qu’il me poursuivait. Je l’entendais derrière moi.

Je n’étais pas une chatte particulièrement rapide, mais la terreur me donnait des ailes. Je ne sais pas combien de temps a duré notre course poursuite. Tout est un peu flou dans mon esprit, je n’étais plus très lucide. Tout ce que je sais, c’est que je finis par arriver sur les berges d’un torrent, aux limites du territoire de mon clan, près de la ville bipède. Il n’étais pas aussi large que la rivière dans laquelle j’aimais pêcher, ni aussi profond sans doute, mais pour moi c’était une inestimable lueur d’espoir. Je me jetais dans l’eau et, au lieu de chercher à traverser, je me laissais entraîner par le courant. C’était dangereux, mais je n’avais pas le choix. Je savais que sur la terre ferme, mon ennemi finirait par me rattraper. Il était plus fort que moi, plus endurant et malheureusement, déterminé à me tuer.

Grâce à mes talents de nageuse, je parvenais à garder la tête hors de l’eau la plupart du temps, et c’est ainsi que je vis le chat noir et blanc débouler sur la berge à toute allure. C'est alors qu'il sembla changer brusquement de comportement. Plutôt que de tourner la tête dans tous les sens pour me repérer ou d’essayer de traverser le torrent, il s’assit calmement, regardant l’horizon comme s’il faisait une simple balade. Du grand mâle agressif persécutant sa proie, plus aucune trace. Malgré ma fatigue, j’eus même la force d’être stupéfaite. Mais qui était ce chat ?

Au cas où son comportement rechange du tout au tout, je pris une grande inspiration et plongeai sous l’eau. Malgré l’eau trouble qui m’entourait et me secouait, je n’osai pas remonter trop tôt. Ma terreur face à ce chat ennemi était plus forte que ma crainte de me noyer. Je retins ma respiration autant que je pus. Lorsque j’émergeai à nouveau à l’air libre, le paysage autour de moi avait changé. Le torrent avait dû m’emmener bien loin de chez moi. En bataillant contre le courant et en utilisant mes dernières réserves d’énergie, je parvins à rejoindre une berge. J’étais exténuée et maintenant que l’adrénaline retombait, je tremblais de tous mes membres.

Je m'efforçai de ne pas penser à Écho Silencieux, ni à mon poursuivant qui avait, je l’espérais, abandonné la poursuite. De toute façon, je n’avais plus la force de courir. S’il m’avait suivi jusqu’ici, il n’aurait eu qu’à se baisser pour me tuer. Je frissonnai, mais j’étais même trop fatiguée pour avoir peur très longtemps. Je parvins à ramper jusqu’à un bosquet de frêne qui avait les pieds dans l’eau avant de m’évanouir, plongeant avec reconnaissance dans l’oubli.

Alors que Nuage de Bleuet et son mentor Echo Silencieux sont partis chasser, ils tombent sur un membre du Clan de l'Apocalypse contre lequel ils se battent. L'ennemi tue Echo Silencieux (sans scrupules) puis pourchasse Nuage de Bleuet qui s'est enfuie. La jeune chatte parvient à échapper à son poursuivant en se jetant dans une petite rivière (ou un gros torrent si vous voulez).