C'est beau la vie. C'est simple aussi. Il suffit d'une seconde, un battement de cœur, un cris et puis on existe. C'est rassurant de pouvoir se reposer sur ça, sur la beauté simpliste de la vie.
Klakabönd est née et elle a fait briller le soleil plus fort, battre le sang dans les veines plus vite, elle a fait s'illuminer les yeux de sa mère, se relever de fierté le cou de son père. Elle est née et puis a vécue. Il est normal de craindre de grandir, de quitter la chaleur de sa nourrice, de courir seule dans une plaine désertique mais elle l'a fait, tôt, trop tôt.
Il faisait particulièrement froid ce jour là et elle aimait ça, elle était née en été et pourtant elle ne se plaisait que dans les étendues glaciales. Elle aimait la sensation de ses pattes qui s'enfoncent doucement dans la neige, qui craquent dans un tremblement sur la fine couche de givre. Elle aimait ça. Elle courrait vite pour sont âge, elle sentait elle aussi le vent soulever sa fourrure, elle sentait le vent se faire une place au creux de ses yeux. Elle vivait pour ça. Elle ne sait plus combien de temps elle a marteler le sol, longtemps, suffisamment pour qu'on la perde définitivement de vue. Elle ne sentait plus le regard chaleureux de sa mère ni l'ombre se son père, non, elle sentait autre chose, la liberté. Elle pourrait mourir pour ça. Elle ne sait pas pourquoi il fallait qu'elle s'éloigne, sa vie auprès des siens avait toujours été paisible mais la vie en famille avec ces frères et sœurs c'était comme un soleil d'été, brillant, trop chaud, trop proche du cœur mais trop loin de la peau. Elle préférait le soleil hivernal, plus pur, plus cassant, plus épidermique, plus blanc. Alors elle courait, pour s'éloigner du sentimental et de rapprocher de l'animal. Elle n'avait peur de rien et pourtant elle qui avait toujours eu peur de tout. Elle emportait avec elle bien plus que l'hiver, elle emportait l'espoir, elle emportait cette lueur.
C'est beau l'espoir, c'est simple aussi. Il n'y a rien à attendre de l'espoir, il vient seul, se propage dans les fibre de n'importe quel corps et ne s'en va que lorsque on le pousse à s'enfuir. Elle l'avait en elle car après tout sa mère n'était pas si aimante que ça, du moins elle préférait sa sœur, plus douce, plus belle, plus malléable, moins sauvage. En y réfléchissant son père était bien plus fier des ses deux frères, ils étaient plus forts, plus courageux, plus
caricaturaux, moins excusable. Elle avait toujours été frêle alors ses parents lui permettaient ne pas partir chasser trop souvent mais toujours avec ce regard et cette pointe de déception. Elle n'était pas ce qu'ils voulaient qu'elle soit, ni aussi charmante que sa sœur ni aussi forte que ses frères, elle n'était rien de spécial. Elle était vivante et c'est si simple d'être en vie mais c'est si difficile de continuer à vivre. Elle voulait apprendre tout cela seule, faire ses armes loin ses proches, loin même de son espèce. Elle préférait la compagnie des sommets enneigés à celle de la fourrure blanche de sa mère et l'eau noire d'une rivière après le dégel au regard ébène de son père et le sifflement du vent du nord aux bruits des chamailleries de sa fratrie.
Elle est partie tellement loin qu'elle ne sait plus d'où elle vient. Plusieurs longs mois s'écoulèrent, elle se révéla être finalement une chasseuse assez efficace bien plus dans la neige que dans les prairies vertes, elle avait toujours peur de l'été, elle avait toujours peur des autres aussi et d'elle même, un peu. Elle aurait tant aimé pouvoir oublier, pouvoir se reconstruire mais les sentiments sont complexes et l'hiver parfois imprévisible.