« Car on marche sur les cadavres, ils sont dans la terre et nous fixent. »
Petit Orage
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Gris, tout est désespérément gris, du sol au ciel où l’horizon s’est enfui. Plus rien ne se différencie, et tout est si semblable. C’est tellement fade et s’en intérêt d’observer ce paysage terne, sans couleur, juste un océan de brouillard opaque, mêlée de neige. Je reste calme, assis bien droit, les pattes fermement amarrée au sol tout en restant souple. Je regarde droit devant moi, comme pour percer le rideau cendré. Les langues de brume lèche mes pattes et mon pelage, glissant parmi mes poils des perles de givre qui fondent lentement. Tout ceci est d’un ennui, mais je passe mon temps à m’ennuyer, je ne sais plus quoi faire. Il fait si froid, Maman ne veut presque plus que je sorte. Elle me couvre de cet amour si farouche, comme si j’étais plus fragile que mes sœurs. C’est pourtant faux, mais je grandis si lentement, je reste si petit, cela me fait enrager. Un jour je serais fort, plus grands encore qu’elles toutes, et alors ce sera à moi de les protéger. C’est à moi de les protéger. Papa n’est plus là, Petit Trèfle a disparu. Je ne me souviens même plus de leur visage, de leur odeur. Je les connais juste par les histoires de ma mère, qu’elle chuchote parfois lorsqu’elle parle, seule avec elle-même, à un félin invisible et caché parmi les étoiles. Alors moi j’ai pris l’habitude de l’écouter, parce que ça me fait du bien d’entendre parler d’eux. J’ai du mal à ne pas en vouloir à mon père, ce lâche qui nous a tous abandonné, qui a abandonné Maman, si fragile, elle a tant besoin d’amour, et je me sens tellement inapte à lui donner. Cette pensée que dégoute. Je ne peux pas les protéger. Alors je fais face à cette vie si terne, en cette longue matinée grise, et je rêve à ce que nous avons été, à ce que nous aurions dû être sans tout ceci, toutes ces personnes qui disparaissent, qui vont et viennent dans nos vie de pauvres mortels dépourvue de pensées vraisemblables, et moi aussi, j’en fais partie. Alors que deviendrais-je, si cet unique but que je me suis fixé devient dérisoire, impossible ? Serais-je condamné à rester ici parmi les vivants, et toujours au-dessus des morts ? Car on marche sur les cadavres, ils sont dans la terre et nous fixent malgré la boue, de leurs grandes orbites vides, avec leurs visages figés qui paraissent se moquer de nous. Ça me fait frissonner, ça me donne envie de vomir, parce que je sais que je les rejoindrais un jour. On les rejoindra tous, ils nous attirent dans leur méandres véreuse, sans lumière aucune. Si j’arrête de réfléchir, ne m’en porterais-je pas mieux ? Sans doute pas. Je pense, donc je suis, c’est logique. Si j’arrête de penser, alors je ne serais plus qu’un mort, et je ne veux pas leur ressembler. Est-ce vraiment ce à quoi un chaton doit penser ? La mort devrait me paraitre si lointaine. Mais elle nous prend en traitre, et vole ce qu’on aime, parce que la mort est une ordure, qu’elle n’a pas de loi ni de foi. Alors moi j’aurais des valeurs et des vertus que la mort n’aura pas, car selon la logique, je ne suis pas mort, du moins pas encore. Mais puisque nous sommes tous destiné à mourir, pourquoi ne pas nous considérer comme mort dès la naissance ?

Je soupire et secoue mon pelage charbonneux. Rien, toujours rien, je me perds dans des raisonnements à m’en donner mal à la tête. Des raisonnements sans fin ni commencement, sans réponse ni explications, qui m’énervent tant que j’ai envie de hurler. Ça ne mène à rien, la vie n’a qu’un sens à suivre, on nous fait croire qu’on peut nous même décider de notre destin, mais c’est faux, tellement faux. On nous fait croire que nos choix nous appartiennent, mais ils ont été écrit, notre vie entière se déroule devant nous comme le soleil qui fait des arabesques chaque jour jusqu’à la nuit suivante. Je suis destiné à me poser cette question, et même si je me révolte, ça sera encore le destin qui l’aura voulu, car contre lui on ne peut rien. Mais si il est clément, s’il nous gatte ? Ce n’est qu’un mirage n’est-ce pas ? Maman était heureuse avant. Pourtant ça s’est effondré. Elle a crue pouvoir échapper au fléau, mais il l’a rattrapé et nous a tous entrainé dans cette monotonie grise des jours d’hiver.

Je me lève mais je n’ai nul par où aller. Je n’ai pas envie de sortir du camp, pas cette fois. Mes sœurs sont à l’intérieur, ma famille est à l’intérieur. Mais je n’ai pas envie de leur parler, je ne veux pas retourner dans cette forteresse de ronces qui nous coupe de l’extérieur, dans l’obscurité et la chaleur étouffante qui contraste tant avec l’air et la clarté entravée de brume du monde de dehors. Maman n’est pas là, elle organise les patrouilles, comme tous les matins parce que c’est son devoir. Alors je dois rester là, assis seul devant la pouponnière, à remuer mes pensées, à observer les ombres félines qui dansent dans le brouillard humide, dans la neige qui couvre doucement le sol et les plantes, mouchetant les pelages en nous arrachant sournoisement des frissons. Moi je me fonds dans ce monde en noir et blanc, et personne ne me remarque. Alors je me dis que si je reste là dans le froid, et que je gel sous la neige qui recouvrira mon corps, on me verra encore moins. Parce que je n’existe pas, je n’existe que pour ceux qui m’aiment, et ces personnes, je les comptes sur le bout de mes griffes. Mais un jour, tout le monde m’aimera, tout le monde connaitra mon nom car je serais quelqu’un de grand, s’important. Comme ma mère, je serais le lieutenant du clan peut-être, mais j’existerais. Est-ce qu’Enchantement de la Biche a déjà ressenti ça ? Cette sensation d’abandon, d’incompréhension, d’inexistence. Je me demande si c’est justifié, ou si je me fais des idées, comme toujours. J’inspire une grande bouffée d’air froid avant de libérer une quinte toux qui me brise les poumons. L’hiver c’est froid, c’est douloureux, et je n’ai connu que ça. J’ai soudain peur de ne pas en voir arriver la fin, il débute juste. Je suis né à la fin de la saison des feuilles mortes, je n’ai connu que le froid, le vent qui joue dans nos pelages et le sol gelé qui nous mord les pattes. Et si je ne voyais pas le printemps, les arbres effrayant dans leurs nudités, recouvrant leur beau pelage verts tendre. Je frissonne en fixant leurs ombres qui se balancent dans le brouillard, leurs griffes crochues qui déchirent le ciel confondu avec la brume. Maman dit que les arbres sont comme des phénix, ils meurent en hiver et renaissent au printemps. Moi aussi j’aimerais renaitre un jour, et reprendre ma vie ou le l’ai laissé. Mais je ne suis pas un arbre, et si je ne peux en être un, alors je serais guerrier. Alors je dois passer l’hiver, car sinon je serais né pour rien, ou du moins pour avoir froid. Si je meurs Maman souffrira, et je souffrirais aussi, parce que quand on meurt en hiver on a forcément mal, j’en suis sûr. Mais si je meurs en hiver, je veux que mes sœurs vivent. Car je les protège de la faim. La portée est nombreuse, et Maman n’a plus autant de lait qu’avant, quand ils y avaient des proies en grand nombre. Alors je ne mange plus que très peu, pour que chacune d’entre elles puissent se remplir l’estomac, parce qu’en réalité, elles comptent pour moi.
Je fais quelque pas lourd, éternue et trébuche, emporté par mon propre sursaut. Je m’étale sur le sol, les pattes étendues de part et d’autre de mon petit corps famélique, le museau plongé dans la poudreuse fraiche. Je n’ai plus envie de me lever. Je veux que ma mère me prenne par la peau du coup et me soulève doucement, me réchauffe et m’insuffle un peu de son amour vaillant. Mais Maman n’est pas là, alors je reste affalé dans la neige qui brûle ma peau si fine, sans volonté.

Je sursaute, une ombre s’est posée sur moi. Je n’ai pas vu arriver cette chatte au pelage écaille saupoudré de neige. Je lève lentement le menton, le museau levé vers elle, mais les yeux perdu dans le vague. Elle est sortie de la brume, tel un fantôme à l’odeur fugace, que je ne parviens pas à capter, elle se mêle dans les effluves du clan que j’ai fini par ne plus sentir. Pourquoi vient-elle par ici ? N’a-t-elle pas mieux à faire que de m’aborder, de s’intéresser à un chaton ? Je réfléchis, je cherche à retrouver son nom. Je sais que je le connais, j’ai passé tant de temps à les apprendre par cœur, ceux des guerriers, des apprentis, de chacun. Je veux tous les connaitre, prendre de l’avance, pouvoir poser un nom sur toutes les lèvres. Mais là, ça ne vient pas, et cela me comble de peine. Je n’y suis pas encore parvenu. Pourtant j’y ai cru. J’en viens presque à oublier sa présence. Sa voix résonne dans ma tête dans un écho de surprise qui me faire tressaillir à nouveau.

« - Tout va bien ? Tu ferais mieux de rentrer au chaud tu sais. Ainsi allonger dans la neige, tu vas finir par attraper froid. »

Cette fois-ci je fixe mon regard dans le sien, ambré et brillant de douceur. Je me détends un peu, et pour la première fois cède à un grelottement, mordu au ventre pas le neige qui couvre le sol. J’en aurais pleuré tant ça fait mal quand on s’y attend pas. Car je ne le sentais pas, je viens de m’en rendre compte. C’est bien ce que je pensais, l’hiver fait mal, l’hiver est le mal. Alors pourquoi je n’ai pas l’envie ni le courage de pousser sur mes pattes, de soulever mon corps si léger et maigre, de l’élever au-dessus du sol, ainsi le gel n’aurait de prise que sur mes pattes. Mais je ne peux pas. Peut-être que je ne le veux pas. Pourquoi ? Pourquoi je m’inflige ça ? C’est idiot, je n’ai aucune raison de le faire. Pourtant je reste là parce que j’attends quelque chose. J’attends juste qu’on vienne. Que Maman vienne, qu’elle me prenne entre ses pattes pour me réchauffer à grands coups de langue cadencé, m’endormir blottit contre son ventre chaud. Oui, juste un peu de chaleur, juste un peu d’affection. Je veux juste ça, pas plus… Mais ça ne vient pas, et l’hiver me brûle. Pourquoi ça existe l’hiver ? Pourquoi à ton inventé la souffrance, la peur, la solitude ? C’est idiot, ça ne sert à rien, ça vous piège et vous dévore tout cru dans le noir des jours trop court. Alors il ne reste de nous que l’écume d’une vie qui glisse sur les pelages de ceux qu’on a aimé, entrainé par leur larmes qui balayent tout.

J’éternue, je cherche quoi dire à cette femelle qui me contemple avec cet air si doux de l’inquiétude. Son nom, son nom, quel est son maudit nom. Ça m’énerve à présent, je ne sais pas comment m’adresser à elle, que lui répondre. C’est tellement pitoyable de ma part. Je gesticule, grogne avant d’ouvrir ma grande bouche rose pour lancer :

« Je vais bien, merci. Je sais ce que j’ai à faire, je suis très bien ici. »

Et comme pour décrédibiliser mes paroles, je suis secoué d’un frisson convulsif qui soulève mon pauvre corps tordu.

L’hiver est une saison sans pitié, éliminant les faibles… Elle est injuste pas vrai ? Elle arrache la vie à des êtres aimés…. Elle l’a prise, pas vrai ? Ta douce personne… Assis dans les ombres de ta tanière. Roc millénaire se dressant dans la forêt. D’ici, tu peux embrasser tout le camp d’un seul regard. Tu es à l’abri des intempéries. Tu es à l’abri de huit morts. Avec tes neuf vies de chef, tu gouvernes les vies des félins. Tu es Étoile des Océans. Unique chef du clan. Unique… et pourtant si seul. Tu as des amis, une famille… Tu es père… Mais au final, tu ne sais pas raiment qui tu es. Tu as toujours été complexé par ton identité depuis que tu as été traumatisé par l’assassinat de ton père. On ne peut pas dire d’ailleurs que tu es un père admirable, tu ne t’occupes presque jamais de tes enfants et tu les juge avec impartialité, mais tu sens vide. Vide de quoi ? De sentiments ? Sans doute… De tes yeux fatigués par la dureté de l’hiver, la respiration saccadée, tu regardes ton lieutenant organisé les patrouilles comme chaque matin. Tu te lèves, tu te fais une rapide toilette pour enlever la mousse de ton pelage. Tu sors. La neige t’aveugle avec la réflexion du soleil sur l’immaculée couche de neige blanche. Tu salues les vétérans du clan. Il fait froid, tu as froid… Malgré ton épais pelage d’hiver tu ne peux t’empêcher de souffrir au froid mordant. Tu ne sais pas quoi faire… Tes deux apprentis dorment, ton lieutenant est occupé et tu n’oses pas déranger Guépard des Neiges. Tu te diriges vers la pouponnière. Tu vois une guerrière, Plume de Braise et un chaton piquant sans doute une crise pour ne pas rentrer au chaud. Tu t’avances, tu t’approches de cet petit être bicolore secoué par des spasmes du au froid. Tu dis :

- Fais pas ta tête de mule, Petit Orage. Si tu tombes malade, tu risques de rester longtemps dans la tanière du guérisseur. Et tes sœurs deviendront apprenties devant toi.

Tu rigoles intérieurement, Tu étais un peu comme lui dans ta jeunesse bien loin derrière tes pas. Tu saluas Plume de Braise d’un mouvement de queue. Tu avais d’ailleurs évité de parler de son pauvre frère enlevé par Secret de Pandore…

« Si tu es sûr de toi, je vais te laisser… Mais n’hésites pas à m’en parler si jamais tu as un souci. Ou à n’importe quel chasseur. Quand j’avais ton âge, je posais beaucoup de questions autour de moi… Cela me soulageait un peu, dans les moments de trouble »

Je la regarde avec reconnaissance, c’est gentil de sa part, c’est gentil de se préoccuper de moi. Je l’aime bien cette guerrière, elle s’identifie à moi, elle n’est pas imbue d’elle-même, elle ne me regarde pas de haut parce que je suis un chaton. A-t-elle pitié de moi ? Je n’espère pas, la pitié c’est pour les faibles, moi je ne suis pas faible, je ne serais jamais faible. Jamais.

« Tu sais, moi je n’ai pas de soucis, je pense que je suis heureux malgré tout. Mais j’aimerais juste comprendre pourquoi tout ceci existe. La faim, la peine, le froid, les remords. C’est inutile, si on est né pour mourir, pour souffrir jusqu’à la fin, pourquoi somme nous venu au monde, au du moins, à quoi servent les sentiments ? Si on ne ressent rien, on n’a pas mal n’est-ce pas ? C’est tout cela, que je ne comprends pas, que je voudrais qu’on m’explique. »

Voilà, j’ai parlé sans réfléchir, j’ai craché un flot de mot sans aucun sens, juste pour qu’elle comprenne, juste pour me libérer un peu de toute cette injustice que je condamne en mon fort intérieur. Je m’assois et enroule ma queue touffue autour de mes grosses pattes de chatons maladroits. Je suis pendu à ses lèvres, j’attends sa réponse, même si je sais qu’elle ne m’apportera pas la réponse que je souhaite, celle qui tairait toutes les questions que je me pose.

« Fais pas ta tête de mule, Petit Orage. Si tu tombes malade, tu risques de rester longtemps dans la tanière du guérisseur. Et tes sœurs deviendront apprenties devant toi. »

Je sursaute à nouveau en entendant sa grosse voix masculine. Je me tends vers le haut pour apercevoir le félin derrière la petite guerrière, mais je sais déjà à qui j’ai à faire. Etoile des Océans est vient se camper à côté de la chatte, l’œil jovial mais sévère. Je le foudroie du regard. Je déteste ce chat, je le hais, j’ai une répulsion profonde pour ce chef qui se croit au-dessus de tout, qui me vole ma mère, qui l’empêche d’être avec moi. Il sait qu’elle a des enfants mais ne lui permet pas de moins travailler, au contraire, il reste cantonner à son rôle de chef tout puissant, sans jamais se mêler au mortel. Et voilà qu’il se permet de me menacer. Peut-être que ce n’est que de la jalousie, mais je n’y peux rien, je le hais de plus profond de mon être, et le fait qu’il vienne détruire ce moment de rencontre me rend furieux. Tant pis, si je l’ignore il s’en ira.

« Je peux te demande comment tu t’appelles ? » Je murmure à l’intention de la chatte.

Le petit chaton demanda son nom à Plume de Braise, le mâle bicolore souri. Il savait au ton de la voix des deux chats qu’il était étranger… Il se sentait seul, le chef. Au-dessus de tout… Il n’aimait pas rester à languir, Étoile des Océans. Il savait que son règne ne serait pas un des meilleurs règnes. Il n’aimait pas se sentir intrus comme çà. Il était si seul au final, le fossé creusé par la hiérarchie était énorme. Ah, comme il espérait revoir toute l’amicalité des autres envers lui, les blagues… Devenir chef, n’est pas donné à tout le monde… Il faut finalement beaucoup de courage. C’est cette qualité qu’il lui manque au chef bicolore. L’énorme mâle était injuste avec la pauvre lieutenante, non ? Il dit :

- Tu as l’air de ne pas trop m’apprécier, Petit Orage.

Il ne cherchait pas à se faire aimé et adulé de tous, oh non. Mais de savoir qui être pour améliorer son être. Le matou bicolore souffrait de troubles de la personnalité importants, peu de personnes étaient au courant. Il lui arrivait, à Étoile des Océans, de ne plus savoir se définir vraiment… Il dit encore :

- Au final, je suis comme vous, j’ai quatre pattes, une queue, deux oreilles, je suis un chat comme vous tout simplement.

Il rajouta sur un petit rire :

- Un peu plus vieux que vous bien sûr…

Le meneur demeure ici, à nous écouter parler. Je l’ignore délibérément, prenant un air des plus désagréables, véritablement irrité par son insupportable présence.

- Tu as l’air de ne pas trop m’apprécier, Petit Orage. Miaule-t-il d’une voix qui semble faussement étonné.

- Au final, je suis comme vous, j’ai quatre pattes, une queue, deux oreilles, je suis un chat comme vous tout simplement. Un peu plus vieux que vous bien sûr… Ajoute-t-il en riant doucement.

Je le regarde se répandre en justification sans queue ni tête. J’ai bien conscience qu’il est comme nous, et la seule admiration que je lui voue, c’est le courage et la confiance placée en lui par le clan et nos ancêtres, qui lui ont value sa place de chef de notre clan. Du reste, cette arrogance que je devine en lui, cette manière de me prendre ma mère, ma maman à moi, à moi tout seul, alors que je refuse de la partager, ça m’agace, ça m’énerve. Alors non je ne l’apprécie pas, non je ne veux rien avoir à voir avec lui. Au fond je suis peut-être jaloux, parce qu’il passe plus de temps avec Enchantement de la Biche que moi ? Est-ce vraiment vrai ? Oui sans doute. Quand elle est à la pouponnière, elle ne se consacre pas qu’à un seul de ses protégés, mais à toute la portée. Quand elle est avec lui, il est seul, elle est son second, son bras droit, l’épaule sur laquelle elle peut se reposer. Je grogne, ce chat n’a rien à voir avec elle n’est-ce pas ? Elle ne l’aimera jamais autant que moi de toute manière.

« Petit Orage ne désobéissait pas Etoile des Océans, ne le menace pas de retarder son baptême d’apprenti. Je parlais juste avec lui… Et il est de notoriété publique que tu es un chat, comme nous tous, ne t’inquiète donc pas à ce sujet. »

Je remarque alors que la jeune guerrière semble gênée, et je me demande pourquoi. Elle prend un air soumis, et je secoue la tête, méprisant. Si l’on doit peser chacun de nos mots face à notre éminent dirigeant, autant être muet.

« Ooooh oui, un chat à neuf vie, le grand manitou du camp, regarde dans quel état tu mets tes guerriers, ils ont si peur de toi, cela doit-être très glorifiant de se voir adresser des courbettes à longueur de temps ! » Je raille en crachant presque, avant de reculer soudain, frappé par ma propre arrogance et ma méchanceté. Je crois que j’ai été trop loin, et l’irrespect n’est pas une valeur que m’a transmise ailleurs. Je me mets à trembler violemment en me demandant si mon insolence n’allait pas me valoir une punition. Ça serait un comble, j’ai mal joué. J’aurais dû prouver ma valeur, au lieu de m’abaisser à un si bas niveau d’insulte. Je fixe le sol, fourrant mes griffes minuscules dans le sable meuble. La comparaison entre mes pattes et celle d’Étoile des Océans est édifiante : je ne suis rien, et quoi que je dise, je ne resterais qu’une poussière parmi les poussières, prises dans un vent qui ne s’arrêtera jamais.

Un soleil très peu visible se levait sur un horizon noir. De très peu rayons de soleil arrivèrent à pénétrer entre les arbres, mais ils étaient rares. Le ciel était nuageux, fade et sans couleur. Une journée déprimante. Patte Lunaire ouvrit un oeil, puis l'autre, soigneusement. Il s'étira dans sa litière de mousse, en tâchant de ne pas réveiller les autres chats. Il sortit de la pouponnière pour bailler. Patte Lunaire s'assit sagement et se lécha doucement le poitrail. Il s'allongea peu de temps après, et rêva. En même temps, on a l'impression qu'il ne sait que faire ça. Rêver. Il somnola doucement.

Il ouvrit les yeux lorsqu'il vit trois chats à la grande place. Patte Lunaire, s'avança doucement. Il voulait faire autre chose que de rêver. En s'approchant, Patte Lunaire reconnut les trois matous : Petit Orage, Plume de Braise et Etoile des Océans. Il s'approcha un peu plus, et entendit Petit Orage miauler.

Il vit la guerrière poser son regard sur le chef. Patte Lunaire ne vit que plus personne ne parla. Il se tourna vers la pouponnière, et commença à marcher vers elle. Ses pattes frôlaient à peine le sol. Un peu après, Patte Lunaire entendit Plume de Braise dire.

Patte Lunaire s'approcha à nouveau. Ah non, il n'allait pas parler. Peut-être que les autres matous remarqueront sa présence, et peut-être qu'ils discutera avec lui... Lui, il n'aime pas faire le premier pas. Mais bon, il le fallait. Il s'allongea près de Petit Orage, muet.

[Du coup mon rp est séparé en deux parties (;]

« Ecoute Petit Orage, n'envenime pas les choses, cela ne sert à rien d'insulter ton chef, à part te prendre une punition. » Miaule doucement Plume de Braise, et je sens son souffle caresser mon oreille. Je sais que j’ai été un peu loin cette fois, mais je reste campé sur mes positions, dressé sur mes pattes, le pelage hirsute et la queue portée bien haute. Pas pour longtemps néanmoins. Lorsque le regard d’Étoile des Océans se poser sur moi, je m’aplatis instinctivement sur le sol tout en le fusillant du regard. Je sens alors quelques choses se presser contre moi. Je tourne la tête et avise Patte Lunaire qui croise lui aussi mon regard. Le sien est d’un bleu pâle remarquable. Nos fourrures grises pâles et gris-noir s’entremêle, et je me prends à espérer un allier.

Etoile des Océans va-t-il se mettre en colère pour de vrai ? Son silence me laisse craintre une tempête qui risque d’éclater à tout moment. Je lorgne son visage fermé fixé sur moi, d’un air concentré. Finalement, il lève un peu le menton et lance :

- Petit Orage, je ne vois pas ce que m’apportent les courbettes, comme tu le dis. Mais, je suis un guerrier du clan du Tonnerre. Les guerriers ont du respect envers moi comme j’en ai envers eux. Mais, tout le monde peut s’exprimer non ? N’est-ce pas là un fondement de la liberté ? Et puis… Je ne pense qu’être arrogant apporte beaucoup de choses.

Je me secoue, c’est moins pire que ce que j’avais imaginé. Après tout je n’ai jamais dit le contraire. Evidemment qu’il respecte et est respecté. C’est moi qui suis irrespectueux, et qui passe pour un chaton mal élevé. C’est certainement une des tares liées à l’absence d’un père, je ne suis pas un matou équilibré. Cette pensée sarcastique dessine un sourire sur mes babines. Je lève les yeux vers le visage du meneur. Il est froid et parait un semblant irrité, perdu dans ses réflexions.

- Il fait bien froid, tu ne voudrais pas rentrer dans la pouponnière ? Au chaud avec ta mère ?
Miaule-t-il à l’attention de mon compagnon.

Je soupire, pensant qu’il en a fini avec moi, lorsqu’il reprend :

- Tu es intelligent, non ? Tu dois savoir que ta mère a des responsabilités et qu’elle fait toujours de son mieux. Et puis je ne pense pas qu’elle t’a élevé ainsi. Tu me manques de respect, je ne dis pas ça car je suis le chef. Mais en tant qu’être vivant.

Son ton froid me glace jusqu’au sang. Pourrait-il faire payer à ma mère mon effronterie ? Je le regarder balayer la clairière des yeux, à la recherche de quelqu’un dont je devine rapidement l’identité. Je sens mon pelage se hérisser sur mon dos, avant de sursauter lorsque la voix si familière et douce qui s’élève derrière moi.

« C’est moi que tu cherches Étoile des Océans ? Que se passe-t-il ? »

Un sacré froid s’est subitement abattu sur la forêt. J’avoue m’être laissée prendre au dépourvue par ce ciel touchant presque terre, ce paysage blanc et brumeux. Je m’ébroue vigoureusement pour chasser les gouttes de mon pelage : elles auront vite fait de geler et de me donner encore plus froid. Si le mal vert de ne nous tombe pas dessus à un moment ou à un autre, nous auront bien de la chance. Je foule le sol d’un pas raide, les membres engourdit par le froid, grelottante de manière convulsive. Je n’ai qu’une hâte, rapporter ma maigre chasse et me pelotonner dans ma litière, près des chatons. Eux aussi souffrent du froid, je ne veux pas les laisser seuls trop longtemps.

Le brouillard ne se lève pas, et je me guide à l’odorat uniquement. Mes moustaches sont perlées de givre et les bruits sont absorbés par la purée de pois. Je sais que je ne suis plus très loin, je connais le chemin par cœur. J’accélère le pas et franchit le tunnel d’ajoncs en trombe. Le camp est lui aussi nappé de brume. Je m’ébroue, soulagée d’être rentrée. Suivant mes sens, je longe le mur protecteur de la clairière jusqu’au tas de gibier. En chemin, je repère sans mal le pelage bicolore d’Étoile des Océans. Le félin est flanqué de Plume de Braise, et tout deux semblent bien préoccupé, assis devant la pouponnière. Interloquée, je plisse les yeux pour identifier le tas de fourrure à leur pied. Je grogne de surprise en reconnaissant sans trop de mal la fourrure charbonneuse de mon plus jeune fils, Petit Orage. Collé contre lui, j’avise Patte Lunaire, un jeune mâle au pelage gris. Que font-ils donc avec notre meneur et la guerrière ? Je presse le pas pour déposer ma proie avant de tourner les talons et de revenir vers l’attroupement.

A première vue, Étoile des Océans semblait en colère. Enfin, peut-être est-ce un bien grand mot. En tout cas il ne semblait pas bienveillant à l’égard des chatons. Je comprends sans mal qu’une bêtise avait été commise par eux. Je lève les yeux aux yeux en jurant à mi-voix, exaspérée. Qu’avait encore bien pu faire Petit Orage. Je m’avance encore jusqu’à me poster juste derrière les deux petits.

« C’est moi que tu cherches Étoile des Océans ? Que se passe-t-il ? » Je miaule sur un faux ton de véhémence.

Petit Orage sursaute et renverse la tête en arrière pour croiser mon regard. Je le lorgne sévèrement, remarquant par la même occasion qu’il grelotte. Je soupire et exécute un amble mouvement de queue, ramenant sous mon ventre les deux chatons pour les réchauffer, d’un geste maternel. Le petit félin noir se colle contre mon ventre, visiblement penaud. Je reporte mon regard sur mon chef, puis sur Plume de Braise, puis à nouveau sur Étoile des Océans, les interrogeant du regard.

Le pelage charbonneux de Petit Orage et celui gris-bleu de Patte Lunaire s'entremêlèrent. Patte Lunaire entendit Plume de Braise lui demander doucement.

Lui ? Rentrer ? Il n'est pas du même avis que la guerrière. Il n'était qu'un simple chaton, le clan n'avait pas besoin de lui, tant pis si il tombe malade. Et puis, son clan à deux bons guérisseurs ; ils sauront le soigner. Patte Lunaire leva la tête quand le chef leva le menton pour dire.

Petit Orage se secoue. Patte Lunaire poussa un petit soupir. Le chaton charbonneux leva les yeux pour regarder le meneur. Etoile des Océans commençait à parler à l'intention de Patte Lunaire.

Patte Lunaire fit un simple non de la tête. Je ne veux pas. Petit Orage poussa un soupir, tandis que le meneur reprit.

Son ton était froid, ce qui glaça le chaton à la fourrure charbonneuse. Etoile des Océans balayait la clairière du regard, surement à la recherche de quelqu'un. Patte Lunaire vit que le pelage de Petit Orage se hérissait. Pourtant, il sursauta quand une voix lui parvint derrière lui.

Petit Orage regarda la femelle, Enchantement de la Biche, qui avait parlé. Elle le lorgne sévèrement, et Petit Orage grelote doucement. Le lieutenant soupira et exécute un mouvement de queue. Elle ramena sous son ventre les chatons, essayant de les réchauffer. Petit Orage se colla sur le ventre de sa mère. Enchantement de la Biche regarda le meneur, puis la guerrière, pour ensuite fixer encore une fois le meneur, un air interrogateur.

Le mâle bicolore, noir et blanc, se retourna lorsque la lieutenante approcha. Il vit qu’elle réchauffa les pauvres chatons grelottants de froid. Il était peu paternel, peu familial comme personne. Ce n’était pas là une de ses qualités. Il faisait froid comme même, il ne voulait pas paraître faible devant les autres, mais il avait froid, le froid lui mordait la peau malgré son épais pelage. Il dit :

- Oui, Enchantement de la Biche. Cela concerne ton fils…

Il ne savait pas trop quoi dire, car cela le mettrait mal à l’aise qu’il se fasse marcher sur les pattes par un jeune chaton qui était le fils de son bras droit. Le chaton ne lui marchait pas sur les pattes mais c’est une expression… D’ailleurs le chat noir et blanc avait de larges pattes musclées. C’est vrai qu’Etoile des Océans était très grand, pas gigantesque mais de bonne taille quand même. Il dominait les deux guerrières et les deux chatons par sa taille… Bon, il regarda les autres qui devaient être aussi transi de froid. Il dit :

- Voulez-vous entrez dans la pouponnière ?.

Etoile des Océans me calcule un instant. Avant de lancer avec une certaine hésitation qui me surprend.

« Oui, Enchantement de la Biche. Cela concerne ton fils… »

Evidemment, comment aurait-il pu en être autrement. Petit Orage en avait encore fait des siennes, et le meneur allait me demander des comptes. Je frémis je colère, tandis qu’entre mes pattes, le garnement se raidit brutalement. Je le lorgne d’un œil sévère, et lui détourne le regard en se pressant un peu plus contre mon ventre, sa joue collée sur ma cheville. Je reporte mon attention sur le chef du clan, il semblant mal à l’aise et transis. Plume de Braise quant à elle, est restée jusque-là silencieuse.

« - Voulez-vous entrez dans la pouponnière ? Demande le matou.

-Bien entendu, allons-y » Je souffle doucement.

Je me lève, saisit Petit Orage entre mes crocs et pousse du bout de la patte le second chaton à avancer. J’invite ensuite les deux guerriers à me suivre et je guide tout le monde vers ma litière. Mes filles dorment tout, ou du moins somnolent. J’entraine les félins un peu à l’écart pour ne pas les déranger. Enfin, je dépose doucement mon fardeau sur la mousse qui tapisse le sol avant de me placer derrière lui pour fixer Etoile des Océans dans la pénombre.

« Alors ? Que s’est-il passé ? Expliquez-vous. » Je miaule avec une pointe d’impatience dans la voix.

Petit Orage lève les yeux vers moi à nouveau. Il semble penaud et un peu effrayé. Il ouvre sa petite bouche rose comme pour répondre, mais les mots ne viennent pas. Je comprends que je ne peux pas compter sur lui cette fois-ci. En tout cas il ne semble pas fier de lui. Exaspérée je me tourne vers le chef de notre clan et sa compagne, la queue s’agitant de droite à gauche.

Je m’attends à une réponse d’Etoile des Océans, mais Plume de Braise prend les devants, et je sursaute en entendant sa voix s’élevée.

" En fait, Petit Orage restait dehors, dans la neige. Je suis venu le voir, histoire de lui dire de rentrer pour ne pas qu'il attrape froid. Sur ce nous avons commencé à discuter... Euh... De tout et de rien. Le problème, c'est que quand Etoile des Océans est arrivé pour lui demander lui aussi de ne pas rester dehors en pleine mauvaise saison, il s'est un peu rebuté... Et finalement il a manqué de respect pour son chef... Avec des propos très osés. "

Je demeure silencieux tandis que le regard vert perçant de ma mère coulisse vers moi, les sourcils froncés et l’air furieux. Je me recroqueville entre ses pattes, mon cœur battant la chamade dans ma poitrine comme pour s’en extraire. Pourquoi a-t-il fallu que je sois si borné. J’allais être punie, et Maman devait être si déçue, honteuse. Cette pensée m’horrifie. Si ma mère a honte de moi, elle ne m’aimera plus, elle voudra me cacher. Je me tortille, serrant les dents pour retenir mes larmes sans succès. Je ne suis qu’un imbécile, si Enchantement de la Biche a des problèmes à cause de moi, je préfèrerais mourir que de vivre dans la culpabilité. Instinctivement je pose ma joue contre la patte blanche de ma mère, des larmes brûlante coulant de mes yeux vers. Je suis méprisable, comment ai-je pu être aussi abjecte par simple vengeance. J’ai soudain très peur de la colère. Celle de ma mère oui, mais de la mienne aussi. Elle me fait dire des choses affreuses. Néanmoins à mon grand soulagement, la lieutenante ne rechigne pas lorsque je me blottis contre elle. Elle se penche et son souffle chaud caresse mon oreille.

« Je ne veux pas savoir ce que tu as dit, mais excuse-toi. Tout de suite. »

Sa voix est sèche et je perçois une note de déception. Je frémis et acquiesce, la gorge serrée. Je lève vers le chef des yeux embués et je me force à soutenir son regard. J’ai comme un poids sur les épaules et une boule dans le ventre, ma gorge est nouée comme si j’allais suffoquer. J’ouvre une bouche rose pour prendre la parole mais aucun mot ne sert. Je tousse convulsivement, secouant mon petit corps de spasmes et de sanglot mêlé, avant de reprendre.

« Je suis désolé, tellement désolé Etoile des Océans. » Je bredouille, penaud.