Le vieux Sca avait déjà proclamé la cérémonie de baptême et j’étais déjà tout excité, rien qu’à l’idée de me trouver devant cet illustre personnage. Maman avait lissé ma fourrure et elle resplendissait. Je bondissais de tout côté et ma sœur maugréait en me sommant d’arrêter. Ce que je ne fis pas puisque je lui tirai la langue en guise de réponse. Elle me sauta dessus, l’échine hérissée.
«
Ne vous chamaillez pas ! Pan, Aigle ! Arrêtez ou vous n’irez pas à la cérémonie ! Je suis sérieuse ! »
Je me suis immédiatement calmé en lançant un regard mauvais à ma sœur. Aigle ne daigna même pas me jeter un regard et dès qu’un grognement retenti, elle sortit de la tanière, levant bien haut la queue et prenant un port de tête altier que je n’avais jamais vu auparavant. Maman me poussa moi-même du bout du museau. Je sortis de la tanière avec l’impression que cela allait être magistral !
«
Ton pelage est propre, Pan, j’avoue que c’est la première fois que je le vois ainsi ! » me railla Glace en sortant de la Tanière de sa famille, ma meilleure amie au pelage blanchâtre.
Je lui souriais en lui touchant l’oreille du bout du nez. Toutes les familles se préparaient pour ce soir et je les voyais sortir de leurs abris, le pelage aussi lustré que les ailes d’un oiseau. Le petit groupe de chaton s’était réuni devant la porte menant à l’antre de Sca. Glace se plaça à ma droite et Aigle était déjà partie rejoindre ses amis. Nous nous avançâmes vers l’entrée. Un frisson me parcourut l’échine. Quand ce fut mon tour d’entrer dans l’antre du meneur, je sentis que ce serait un des plus beaux jours de ma vie.
Le Clan de la Nuit était vieux. Très vieux. Notre famille était là depuis des générations et était très respectée puisqu’elle était là depuis très longtemps. J’avais hérité du pelage de mon grand-père et quand je me suis retrouvé devant Sca, je fus surpris en voyant que sa fourrure était similaire à la mienne. Mais je ne fis aucune remarque. Une des règles était qu’on ne s’adressait pas à Sca sans qu’il ne nous y autorise. Ses yeux d’or brillèrent et sa voix grave et profonde retentit, résonnant dans l’abri.
«
Pan. Après cette entrevue, tu deviendras un nouveau félin. -
Oui, vieux Sca. Acquiesçai-je.
-
Après cette entrevue, tu iras où tu veux. Tu rejoindras mes espions, mes forces, mes chasseurs… ou tu iras là où ton cœur te guidera. -
Oui, vieux Sca. Répétai-je comme de coutume.
-
Ainsi donc, je vais te poser quelques questions. Peut-être une seule, peut-être des milliers. Ainsi voici ma question : que veux-tu devenir ? »
J’avais longuement réfléchi à cette question et même si à neuf mois rien n’était sûr pour notre avenir, nous avions l’esprit assez mature pour avoir une petite idée de ce que l’on voulait devenir. Après un long silence, je soufflai :
« J’y ai réfléchi depuis longtemps, vieux Sca. Et j’espère que tu me comprendras. » Sachant déjà ce que j’allais dire, l’illustre matou hocha la tête en plissant légèrement les yeux.
« Par-delà nos montagnes, par-là nos rivières, je sais qu’il existe un autre univers. Ma famille t’a servie pendant très longtemps. Mais même si toute mon allégeance est envers toi, j’aimerai découvrir ce monde. Et j’ai besoin pour cela de ta bénédiction.-
Tu l’as, Pan. Avant même que tu ne me le dises. Flûte de Pan, ravi de t’avoir élevé et sache que le Clan te sera toujours ouvert. »
J’hochai la tête même si ce nouveau nom n’était pas ce qui était prévu : c’était sûrement le nom que j’aurai très bientôt. Sca me rendit mon salut et je sortis. Ses yeux me suivirent et j’eus l’impression que même quand l’obscurité m’avala, ils me fixaient toujours, bienveillant.
~
Mon départ fut annoncé le lendemain. Même ma sœur Aigle, qui était devenue une future Chasseuse – l’équipe de Chasseurs la prendrait sous leur aile et la transformerait en excellente chasseuse, était présente. Elle frotta museau contre le mien pour me dire au revoir. Maman avait bien sûr râlé, pleuré, mais elle était présente aussi et roucoulait comme si je m’apprêtai à être sacré Chef. Après qu’elle m’ait de nombreuses fois serrer contre elle, je marmonnai en riant :
« Ça suffit maintenant, maman ! Tu pleures depuis hier soir ; je suis plus un enfant ! » Elle se sépara de moi en reniflant et en souriant à la fois.
«
Oui, oui, mon bébé. Oh, Pan… J’espère que tu trouveras ce que tu souhaites, là où tu iras !-
Merci, maman. »
Je lui touchai l’épaule du bout de la queue, touché par ses paroles. Glace, qui était devenue une Espionne, allait m’accompagner jusque dans la vallée. Son regard brillant me couvant un instant.
«
T’es prêt, Pan ?-
Je suis prêt. » soufflai-je.
Glace frôla mon pelage et détala. Après un dernier regard vers ma famille qui se serrait les uns les autres, je me mis à la poursuite de Glace. Avec un certain pincement au cœur.
~
La vallée était encore loin et pourtant mon escorte à la fourrure blanche ralentit l’allure. Etonné, je me rapprochai d’elle en sifflant :
« -
Qu’est-ce que tu fais !? Glace, la vallée encore…-
Pan… »
Je m’arrêtai à ses côtés, secoué par le ton peiné de sa voix. Elle pleurait. Surpris, je clignais plusieurs fois des yeux : Glace ne pleurait jamais, d’ailleurs on ne lui avait pas donné son nom au hasard ! Mais je savais pourquoi ses sanglots et ce regard de chien battu.
«
Pan, pourquoi tu as décidé de partir ? Quand on était petit… quand on était petit…on avait décidé que l’on grandirait ensemble et que nous deviendrions tous les deux Forces. -
Glace. -
Je sais, je sais… mais tu… tu vas… -
Glace. Tu es devenue une merveilleuse espionne. -
Pas une force. Fit-elle en souriant faiblement.
-
C’étaient des rêves d’enfant. Nous sommes adultes à présent. J’ai décidé de suivre ma propre voie : je ne m’épanouirai jamais là-bas. -
Oh ! rit doucement ma belle.
J’avais oublié combien tu étais attaché à ton épanouissement. Tu aurais pu t’épanouir avec moi. Devenir une Force puissante. Avoir une famille… -
Avec toi tu veux dire !? M’étonnai-je, l’échine hérissée.
-
Nan ! Beurk, t’es dégoûtant, Pan ! » S’insurgea-t-elle en faisant un bond de plusieurs mètres.
Nous rimes ensemble, tellement cette idée était absurde. Glace était comme ma sœur. Et je savais son faible pour Faucon Tigré.
Après cette brève discussion, elle se ressaisit et m’amena à la frontière. J’avais oublié combien la forêt était verte et luxuriante, magnifique à ravir et attirante. Terriblement attirante.
« On se quitte là, Pan. » Lâcha Glace en agitant ses moustaches blanchâtres.
Même si ma gorge se serrait, j’avais la nette impression que je devais y aller. Je secouai la tête de bas en haut, l’émotion me serrant la gorge.
«
Oh, tu vas pas t’y mettre aussi ! Je vais me mettre à pleurer, si tu continues. Râla Glace en balançant la queue.
-
Désolé, désolé. » Marmonnai-je.
Je baissais les oreilles en reprenant mes esprits. Glace me fixait avec ses yeux d’azur froids et pourtant je savais qu’elle était amicale… et très triste.
«
J’espère que l’on se reverra, Pan. Tu seras toujours mon meilleur ami. -
Toi aussi, Glace. »
~
J’étais perdu dans cette immense forêt avec tous ses arbres qui ne m’étaient pas familiers. Mes chers sapins n’étaient plus là et à la place, je voyais des arbres à feuilles qui m’étaient inconnus et qui m’épouvantaient tellement ils revenaient sans cesse, tous similaires les uns aux autres. C’est pourquoi, quand des buissons se profilèrent, je me suis dit que c’était un bon endroit pour dormir et je me suis glissé sous les arbustes avec plaisir. Mais le repos ne me gagnait pas ; mon cerveau bouillonnait d'idées confuses et de questions insatisfaites qui me rappelaient la douleur séparation que je venais de vivre ! Je me tournais et me retournais sans trouver une quelconque position confortable. L'air m'oppressait en pensant à Glace, qui devait avoir commencé son entraînement depuis quelques heures. Pensait-elle à moi, elle ? Même si je me répétais qu'il ne valait mieux pas, mon coeur réprimait difficilement un soupçon d'envie. J'avais envie qu'elle pense à moi pour ne plus me sentir seul. J'avais envie que toute la Tribue rumine ma perte et cette pensée horrifiante, je la chassais sans vergogne : ma nouvelle vie était ici. Je ne serai plus seul longtemps. Sauf si je restais ici à me morfondre sur mon compte.
Je me suis glissé en dehors de mon abri de fortune ; le soleil éclairait encore faiblement mais la visibilité était parfaite. La chaleur de la journée s'était transformée en atmosphère paisible. Trottinant gaiement, en entrouvrant la gueule. Je ne m'attendais à rien sentir ; mais parmi l'odeur de l'humus sec, de la senteur sucrée des fleurs, je sentis quelque chose d'inhabituel. La présence de deux félins me surprit.
A finir