Alors que le soleil atteint son point culminant, la novice quitte le camp d’une démarche assurée. Elle rassure le garde de son retour hâtif, juste le temps d’aller faire une petite partie de chasse en solitaire. Se retrouver seule, fuir l’effervescence du camp, c’était ce qu’elle souhaitait. Mais loin de ses pensées l’idée de faire de ceci quelque chose à long terme, elle ne le supporterait pas à nouveau, pas une seconde fois comme elle avait tenté de le faire auparavant durant deux courtes lunes, deux assemblées ratées et pourtant tant de choses auxquelles elle n’avait pas assisté. Des baptêmes, des morts et des naissances, des choses auxquelles elle aurait voulu être présente, mais mademoiselle a décidé de faire comme elle elle le souhaitait, et elle regrettait, considérant ceci comme une grosse erreur. La pire peut-être de toute son existence, pourtant si courte jusque-là.
Son joli petit cœur brisé par la mort de ses parents tambourine dans sa poitrine, son souffle est court et ses muscles ne la tiennent presque plus, elle approche d’ores-et-déjà des marécages dans lesquelles elle pourra chasser discrètement afin de ramener des proies à son clan.
Lorsque la demoiselle arrive au dit-lieu, elle prend le temps de respirer l’endroit qui l’entoure, de profiter de ce qu’elle peut voir, sentir, toucher, entendre et ressentir. Elle profite pleinement de ses cinq sens, chanceuse de tous les avoir alors que certains rêveraient de découvrir ce monde de leurs propres yeux ou de pouvoir courir comme elle elle en est capable. Elle se sent vivre, enfin, mais elle doit se concentrer : la partie de chasse ne fait que commencer.

Son regard est plongé dans les marécages à la recherche du moindre mouvement, alors que l’eau lui arrive au poitrail. Sa concentration est extrême et rien ne serait capable de la perturber ; si ce n’est ce qui l’attend.
Un léger mouvement attire son attention vers la gauche. L’apprentie ne bouge pas tout de suite, tentant d’analyser avec certitudes de quel genre de proies il s’agit. Pourtant, et ce, par manque de patience, elle finira par s’approcher doucement sans réellement savoir quel danger l’attend. La silhouette est bien trop imprécise pour qu’elle puisse définir la proie. Elle parvient simplement à se rendre compte qu’il ne s’agit pas d’un vulgaire chat.
Elle plisse alors les yeux et découvre avec horreur que deux pupilles la fixent. Ce ne sont pas simplement deux pupilles, elle sait d’ores-et-déjà à qui elles appartiennent. Son corps subit un frémissement, elle voit à nouveau la scène de la dernière fois où elle s’était fait mordre. Tous ses muscles se contractent aussi, et elle reste paralysée un instant, juste l’instant qui ne la sauvera pas d’une nouvelle morsure. Lâchant un cri strident, la féline sent alors les crocs de l’animal se planter dans sa chair. L’animal venait de la mordre au même endroit que la dernière fois.
Le reptile fuit aussitôt et Nuage de la Louve sort tant bien que mal des marécages. Pourtant, elle n’est pas déterminée à s’arrêter là, sa douleur ne lui semble pas assez intense pour avoir besoin d’aller voir immédiatement sa nouvelle guérisseuse : Conteuse de l’Aube.
Elle part donc à la recherche d’une nouvelle proie, toute aussi têtue et déterminée. Son obstination payera peut-être. Ou pas.

Du sang s’échappe en petit filet continuellement de son épaule, mais Nuage de la Louve ne se préoccupe pas de celle-ci. Elle continue de traquer, aux aguets, sa plaie ne l’empêchant en rien de chasser. Le museau en l’air, elle guette la présence d’une nouvelle proie. Pour le moment, rien de bien fameux. Mais elle ne perd pas espoir, continuant sans relâche de s’aventurer prudemment dans les marécages, à la fois préoccupée par la recherche de proies mais aussi par le danger des prédateurs ; il se trouvait que les serpents semblaient être peu cléments avec elle, préférant la mordre avant de la fuir plutôt que de la fuir directement.
Mais quelques instants à nouveau, elle divague dans ses pensées. La petite rêveuse s’envole vers l’esprit de sa mère, cherchant à savoir ce qu’elle pourrait penser d’elle actuellement : était-ce une forme de courage de continuer de chasser alors qu’on est blessé ou est-ce une forme de stupidité ? Elle ne savait pas ce qu’elle en dirait, elle n’eut pas le temps d’y réfléchir plus longtemps qu’elle se rendit compte qu’elle était sortie des marécages et qu’un bruit venait de perturber son attention.
Droit devant elle, un écureuil était concentré sur ce qu’il tenait entre ses pattes, bien trop inconscient au goût de la demoiselle qui se léchait ses babines d’avance de cette si belle trouvaille. Elle avançait prudemment afin de ne pas se faire repérer et malgré son impatience, elle ne fit aucun faux pas. Et tandis que son ventre gargouillait, elle bondissait déjà dans les airs. L’instant suivant, le corps du rongeur se trouvait être inerte entre ses mâchoires. Une réussite non négligeable pour la femelle qui reprit aussitôt du service, à la recherche d’une dernière proie avant de rentrer.

Fort heureusement, la jolie demoiselle qui était aux aguets, détecta un petit rongeur qui mangeait quelque chose entre ses pattes. Il était là, à regarder tout autour de lui, dans la constante peur de sa faire repérer et attaquer par un prédateur. Sans qu’il ne le sache, il était pourtant bien là son prédateur, camouflé par les buissons aux alentours. L’animal ne se doutait pourtant de rien, il ne sentait rien. L’effluve de la musaraigne parvient à maintes reprises jusqu’à son museau, lui mettant l’eau à la bouche. Et à mesure qu’elle se faisait patiente, elle sentait que son ventre s’apprêtait à gargouiller. Au moment où il allait d’ailleurs le faire, Nuage de la Louve n’eut pas d’autre choix que de se jeter directement dans la gueule du loup, au risque de se faire repérer. Alors, elle crut bondir. Mais elle ne le fit pas. Son ventre gargouilla, le petit animal l’entendit à travers la résonance de la terre, il leva la tête, regarda rapidement autour de lui tandis que son petit cœur allait déjà à vive allure. D’abord, il ne vit rien, puis il regarda un peu plus patiemment autour de lui et lorsque son regard croisa les yeux ambrés de l’apprentie, leur sang de fit qu’un tour à chacun. Il s’enfuyait, elle s’élançait d’ores et déjà à sa poursuite. Cela faisait un moment que cela ne lui était pas arrivé. Elle espérait y arriver, malgré la morsure à son épaule. Mais elle ne se faisait pas de soucis, elle était forte.

Nuage de la Louve ne manqua pas sa proie et, fière d’elle, elle relevait la tête fièrement tout en boitillant et en grimaçant à la fois. Elle sentait bien qu’il était temps de rentrer, alors elle se décida à aller retrouver son joli petit écureuil enterré qui ne devait attendre plus qu’elle désormais pour être mangé. Bien sûr, elle n’avalerait rien avant que reines, chatons et anciens aient avalés quelque chose. Pas avant même que le reste du clan ne soit servi. Elle avait quelques bonnes manières qu’elle avait de sa mère et qu’elle tenait à honorer. Elle se l’était promis : rien ni personne ne souillerait sa mémoire. Elle fut une grande meneuse, mais elle se sentait bien stupide en se mettant à sa place. Un peu trop tête de mule. Elle sait qu’elle doit aller voir la guérisseuse le plus vite possible, mais Nuage de la Louve traîne, encore et encore, laissant le sang s’écouler doucement le long de sa patte, laissant alors quelques traces sur le sol de son territoire. Encore une erreur de jeune apprenti qu’elle ne devrait plus faire. Elle risquait gros en laissant son sang ainsi. La petite se décida donc à essayer de camoufler quelque peu les traces de sang qui traînait au sol avec un peu de sable, mais elle le savait, c’était peine perdue ; il était temps de rentrer. Pourtant, il y avait un pan de feuille dont Conteuse de l’Aube pourrait avoir besoin. En se retournant pour s’apprêter à y aller, la petite se piqua l’arrière-train. Elle prit d’abord peur et se retourna doucement, puis elle remarqua du gui, quelque chose dont elle aurait aussi sûrement besoin. Et ce fut avec toutes ces choses qu’elle rentra au camp, inconsciente des dangers qu’elle prenait en laissant sa plaie ouverte et exposée.