L’automne allait tous les surprendre.

Étoile Azurée le savait, bientôt, avant qu’ils ne se rendent compte que les feuilles avaient roussies, les maladies seraient déjà là. La Saison des Feuilles Vertes tendait à sa fin et la cheffe du clan du Tonnerre savait que ça allait être une nouvelle – dure – épreuve de survivre aux prochaines lunes. Elle avait confiance en son clan, il était fort, mais elle avait quand même un peu peur. La température avait déjà baissé et des brises glaciales faisaient leur apparition. Au moins, le camp était au milieu des arbres, il était légèrement protégé de ses vents chargés de mauvais présage.

La cheffe du clan du Tonnerre jeta un regard autour d’elle. Elle se situait au plein cœur de la forêt du clan du Tonnerre et était alors entourée de ces silhouettes familières de chênes, bouleaux et noisetiers. D’ailleurs, par terre, elle voyait des multitudes de noisettes et cela la faisait sourire. En effet, ces noisettes attireraient les écureuils, avant que la Saison des Neiges les renvoie se cacher. Mais aujourd’hui, elle ne cherchait pas à chasser. Étoile Azurée, stressée par le froid arrivant, se demandait si Pétale d’Asphodèle avait des réserves sûres pour tenir deux saisons. Alors elle avait décidé de faire une petite cueillette de plante, laissant momentanément le clan à Esprit du Lion, son lieutenant. Elle ne connaissait pas le nom des remèdes, mais elle espérait trouver quelque chose. Ce serait toujours ça de pris pour le guérisseur, pensait-elle.

Elle n’était clairement pas dans son élément. Étoile Azurée pouvait reconnaître n’importe quel proie en humant son fumet grâce à un entraînement de six lunes lorsqu’elle était apprentie, mais elle était incapable de reconnaître une plante médicinale. Tout au plus elle savait que les toiles d’araignées étaient utiles, pour avoir vu de nombreux guérisseurs en utiliser. Étoile Azurée leva son museau vers le ciel, espérant pouvoir capter une odeur déjà sentie dans la tanière de Pétale d’Asphodèle. Mais ce fut en vain et la cheffe décida de continuer avec une recherche visuelle.

Elle aurait peut-être dû s’informer auprès de Pétale d’Asphodèle avant pour lui demander si il y avait un endroit en particulier où se trouvait un remède en particulier. Sur le coup, elle n’y avait pas pensé et elle perdrait trop de temps à revenir au camp et repartir. Alors la chatte noire comptait sur son instinct. Elle, même avec quelques vies, n’était pas invincible et avait déjà dû faire une visite chez le guérisseur. Si elle tombait nez à nez avec la plante qui l’avait déjà guérie, elle la reconnaîtrait.

Soudain, près d’un petit buisson vert – qui prendrait bientôt une teinte rousse -, quelque chose attira son attention. L’odeur lui piquait le nez. Étoile Azurée se dirigea doucement en cette direction pour mieux observer.

Étoile Azurée s’approcha de la plante pour l’examiner. L’odeur lui semblait familière, sans qu’elle ne puisse l’expliquer. Puis surtout, elle avait une forme inhabituelle. Elle n’était pas une experte, mais ça pouvait peut-être être intéressant pour le guérisseur. Elle commença à taillader la tige avec ses griffes. Mordre avec les crocs aurait été plus efficace et plus rapide, mais la chatte noire savait qu’il ne fallait pas s’y risquer face à une plante supposée médicinale. Elle ne voulait pas s’exposer à des effets non voulus. Son travail prit alors fin et la tige céda. Alors qu’elle allait recueillir la plante dans sa patte pour la ramener au camp une brise de vent la prit au dépourvue. Avant qu’elle ne comprenne, la plante s’envola dans les airs et disparut de son champ de vision. La cheffe du clan du Tonnerre pesta, mais tout c’était passé trop rapidement, elle ne pouvait rien y faire.

La chatte noire regarda l’endroit où elle se trouvait. Aucune autre plante ne semblait « médicinale » à ses yeux et Étoile Azurée comprit qu’allait rentrer bredouille au camp. Elle resta immobile quelques secondes, complètement dégoûtée par ce qui s’était passé. Elle espérait que Pétale d’Asphodèle arriverait quand même à trouver assez de plantes pour passer les mauvaises saisons.

Néanmoins, Étoile Azurée ne pouvait pas accepter avoir perdu du temps comme ça. La cheffe du clan du Tonnerre décida alors de chasser – domaine dans lequel elle excellait plus que celui de la recherche des plantes médicinales. Cette fois-ci, elle n’eut besoin que de quelques secondes pour sentir le fumet d’une proie. Étoile Azurée abandonna donc le domaine des plantes et leva le museau pour s’abandonner à cette autre activité. La chatte noire fit quelques pas, suivant la piste d’une proie, en ayant adopté la position du chasseur. Son arrière train était baissé au maximum et son ventre frôlait ainsi le sol, constitué de quelques feuilles mortes. Sa queue était relevée, histoire de ne pas faire du bruit en remuant quelque chose qui trahirait alors sa présence. La cheffe marchait à pas feutrés et le silence commença à l’entourer.

Après plusieurs détours entre les arbres, le fumet qu’elle avait senti se faisait plus fort : elle allait bientôt trouver sa proie. Elle appréciait beaucoup ces moments solitaires où il n’y avait qu’elle et la nature. Et les proies. Étoile Azurée avait souvent, en effet, tendance à préférer des moments où elle était seule et où elle oubliait toutes les responsabilités qui lui pesaient sur les épaules. Un mouvement attira alors son attention.

Les yeux azurés de la cheffe du clan du Tonnerre aperçurent tout d’abord deux petites pattes oranges qui comportaient chacune trois « doigts » fripés. Ensuite, elle vit quelques plumes de couleur suie puis un bec blanc surmonté d’une paire d’yeux oranges vifs. Le pelage grisâtre de l’animal ne laissait aucun doute : c’était un pigeon qui picorait avec des gestes vifs dans le sol. Trop occupé à cet tâche, l’oiseau ne l’avait pas vu venir et ne s’était pas encore aperçu de sa présence. Cela faisait un avantage pour elle. Étoile Azurée resta sans bouger pendant quelques secondes, histoire d’analyser la situation. Réflexion qu’elle devait faire vite, car le pigeon pouvait à tout moment s’envoler lorsqu’il aurait fini sa tâche. Les paroles de son ancien mentor revenaient souvent dans son esprit lorsqu’elle s’abandonnait à ces activités : « les oiseaux n’ont ni un bon odorat, ni une bonne ouïe et ne sentent pas les vibrations du sol, néanmoins, ils sont terriblement rapides ». La guerrière n’avait donc pas besoin de faire attention au sens du vent, ni de ses pas sur le sol – bon, elle ne devait quand même pas marcher comme si elle représentait à elle toute seule une horde de blaireau. Il fallait juste qu’elle soit hors du champ de vision du pigeon mais assez proche tout de même pour bondir vers lui. Étoile Azurée n’aimait pas vraiment le don des oiseaux qui était de pouvoir s’envoler, cela pouvait en effet devenir très frustrant pour elle. La chatte noire regarda autour d’elle. Les arbres constituaient pour elle un avantage : si elle chassait dans une clairière et que l’oiseau la voyait, il s’envolerait loin dans les cieux et il lui serait impossible de le retrouver. Ici, au contraire, l’oiseau s’envolerait dans un des arbres qui les entouraient et elle n’aurait plus qu’à être patiente et attendre qu’il décide se reposer à nouveau sur le plancher des vaches. En espérant que le clan des Étoiles soit avec elle. Étoile Azurée avança alors d’un pas léger. Il était temps. Elle avait rapidement regardé autour d’elle : il n’y avait aucune proie ou aucun autre chat du clan qui ne pouvait, d’une façon ou d’une autre, entraver sa traque. Un deuxième pas se posa au sol alors qu’Étoile Azurée s’approchait de plus en plus du pigeon. Puis, le pigeon se tourna légèrement – peut-être pour picorer dans un nouvel endroit – mais quoi qu’il en soit, le regard du prédateur et de la proie se croisèrent au plus grand malheur d’Étoile Azurée. Moins d’une demi-seconde suffit au pigeon pour décoller. La trajectoire de l’oiseau fut un peu en bol car il atterrit ensuite quelques mètres plus loin, derrière un buisson. La cheffe noire sourit, contente que l’oiseau ne soit pas parti trop loin : c’était parti pour une seconde traque.

Étoile Azurée s’approcha vers le buisson derrière lequel le pigeon avait atterri lors de sa fuite. Cette fois, elle ne comptait pas se refaire repérer. Elle avait de la malchance précédemment, mais le clan des Étoiles avait fait que la proie était restée dans les environs. Il s’agissait d’une nouvelle chance. Elle marcha doucement en faisant attention à son environnement pour ne pas faire frémir les branches des fougères près desquelles elle passait. Dans un état de grande concentration, Étoile Azurée évoluait dans sa bulle, plus rien d’autre n’importait. Elle resta derrière le buisson et s’autorisa un coup d’œil de reconnaissance. Le pigeon s’était remis à picorer. Stupide piaf. Mais elle n’allait pas se plaindre de la légèreté d’esprit de l’oiseau. Doucement, elle contourna le buisson et bondit dans un geste vif sur la proie. Le pigeon battit des ailes, paniqué, en vain. Les crocs de la chatte noire se refermèrent sur sa gorge et la dernière once de vie s’éteignit dans ses yeux orangés. Étoile Azurée remercia silencieusement le clan des Étoiles et enterra sa proie près du buisson : grisée par cette petite victoire, elle comptait bien s’autoriser une seconde partie de chasse.

Étoile Azurée se tourna alors en jetant un petit regard de ses yeux azurés. Sa traque avec le pigeon n’était probablement pas passée inaperçue dans les alentours. La probabilité qu’il y ait une proie était faible, elle allait donc devoir s’éloigner un peu de cet endroit. La chatte noire se déplaça avec grâce entre les arbres pour arriver dans une autre zone de chasse, tout aussi calme que la précédente. Soudain, un éclat roux attira l’attention de la chatte noire. Outre les feuilles colorées par l’automne, seul l’écureuil possédait cette couleur flamboyante. En effet, un écureuil se tenait là, à quelques pas d’elle, sous ses yeux bleus. Étoile Azurée décida d’agir vite. Elle diminua en quelques enjambées la distance entre le rongeur et elle et fondit sur lui. Néanmoins, la cheffe du clan du Tonnerre avait mal calculée son saut et ses pattes se refermèrent… sur du vide. L’écureuil profita de cette erreur pour s’échapper et ni une ni deux, s’était carapaté vers un arbre. Quelques secondes plus tard, les branches se refermèrent sur lui. Étoile Azurée, dépitée, donna un coup de patte rageusement dans un marron qui traînait par terre et tourna le dos à l’arbre qui avait mis sa proie en sécurité.

La cheffe ne se sentait plus d’humeur à chasser, après cet échec. Après tout, elle avait déjà attrapé une proie, ce n’était pas si mal, même si elle avait déjà fait mieux. Elle repartit vers l’endroit où elle avait enterré son pigeon pour se diriger ensuite en direction du clan. Peut-être que sur le chemin, Etoile Azurée trouverait quelque chose à ramener à Pétale d'Asphodèle.