La Dame marchait d'un pas décidé. Son petit ventre commençait à se voir, et au camp on se posait déjà des questions sur l'identité du père. C'était dans le droit de chaque reine de refuser d'en dire plus et de garder cela secret, même si c'était quelque chose d'assez rare. Généralement, les futures mamans s'adonnaient à diffuser l'information à cœur joie, fières du futur papa des futurs petits. Ça fait beaucoup de futurs, tout ça, pensa la belle tricolore sur son chemin. Beaucoup de futurs, et tout autant de si. On lui avait souvent posé la question, mais sa réponse restait la même. Souriante mais grave, elle expliquait sur un tout doucereux que l'attention lui faisait plaisir, mais que ce n'était pas vraiment leurs affaires. Certaines se vexaient, d'autres pas. Ce n'était pas ce qui allait empêcher la Dame de dormir. Elle n'en aurait plus pour longtemps, de toute façon...

Car en effet, Dame Allégorie avait décidé de quitter son Clan d'elle-même. De s'exiler, afin de pouvoir élever ses petits calmement. Peut-être regretterait-elle, mais au fond, elle savait que ce ne serait pas le cas. La grossesse l'avait changée, elle était déjà devenue plus douce, plus amicale, plus attentionnée. Ses crampes causées par le fameux jour où Dunkan lui avait sauté dessus la gênaient toujours, mais elle s'y était habituée. On pouvait maintenant clairement voir un petit ventre se former sous elle, et même sa démarche trahissait la vie qu'elle portait, lorsqu'elle marchait lentement pour préserver ses petits de la cavalcade. La tricolore avait donc décidé d'aller, cette démarche l'accompagnant, à la rencontre de Dunkan pour parler de leur progéniture. Elle avait également décidé qu'elle ne parlerait pas de son futur exil au grand mâle, elle ne lui faisait toujours pas confiance et souhaitait préserver ses petits de lui, aussi triste cela soit-il. Elle ne se doutait pas que le chat demanderait la garde de ses petits protégés...

Dunkan n'était en rien renseigné quant à sa visite. Elle le surprendrait, lui qui pensait sans doute ne jamais la revoir. Elle n'était pas prévue, mais en tout cas, elle était sur sa trace, à sa recherche. L'odeur sucrée du mâle vint chatouiller ses narines, et la Dame se surprit à s'imaginer de nouveau collée à lui, sa patte sur le ventre de la reine. Elle se donna une claque imaginaire : non ! Il t'a fait du mal, tu te rappelles ?

Très bonne pisteuse, elle découvrit après avoir relevé le museau une boule de poils noirs. À contre-jour, elle ne pouvait pas voir dans quel état il était. Vivait-il bien leur séparation ? L'avait-il déjà oubliée ? Ou s'était-il au contraire négligé, ne mangeant plus, ne se toilettant plus, marchant les épaules affaissées ? Elle n'en avait aucune idée, mais elle s'avança dans son dos, le vent lui venait de face et elle s'était faite discrète : il ne pouvait donc ni la voir, ni l'entendre, ni la sentir. Jusqu'à ce qu'elle prononce un mot, en tout cas.

« Bonjour, Dunkan, commença t-elle de sa voix douce habituelle. Ses traits, eux, étaient durs et froids. Je viens te parler de nos petits. »

En réalité, elle n'était pas sûre du sujet à aborder : les prénoms, c'était bien ça. La garde ? Elle n'en était pas si sûre. Peut-être s'était-elle simplement trouvé une excuse pour le rencontrer à nouveau..?

Elle se donna de nouveau une gifle intérieure, plus violente que la précédente. N'ose même pas y penser, cervelle de souris !

Lorsque le matou se retourna, la Dame fut obligée de voir la vérité en face : il lui avait manqué. Mais elle se devait de s'en empêcher, pour le bien de ses petits. C'était un dangereux agresseur ! S'il l'avait attaquée une fois, il pourrait bien certainement recommencer. Elle détailla le noiraud, sans gêne. Son poil était en fouillis, ses griffes trop longues (il ne se les était pas limées sur un arbre comme à son habitude), et son regard était vide avant de croiser celui de sa bien aimée. Bien sûr qu'il s'est négligé ! Je suis l'amour de sa vie, à quoi m'attendais-je ? pensa la femelle sans satisfaction ni prétention. Elle n'aimait pas cette situation. Elle préférerait que Dunkan perde tous les sentiments qu'il a pour elle, d'un côté pour qu'il la laisse tranquille mais de l'autre pour qu'il arrête de souffrir ! Les sentiments étaient toujours là chez la Dame, c'était irrévocable. Mais elle ne pouvait pas se permettre de l'avouer au noiraud : l'espoir nouveau le tuerait.

« Bonjour, Dame Allégorie. sois plus précise, voyons. De quoi veux-tu parler concernant ces merveilles ? Nos merveilles, si puis-je dire. »

Sur ces mots, il plongea son museau dans la nuque de la belle, sans aucune hésitation. Peut-être s'était-il cru au bon vieux temps ? Mais la Dame n'avait plus la force de le repousser en lui gueulant dessus, en lui ressassant les erreurs passées. Le Clan des Étoiles lui-même savait qu'elle lui en voulait encore, mais il avait compris, c'était rentré. Elle se contenta donc de le repousser doucement, mettant une distance moyenne entre-eux.

« Eh bien... s'avança t-elle sur un ton calme et posé, ce qui la rendait plus séduisante encore. Nous pourrions parler des noms ? Imaginons que j'en ai quatre. Nous rajouterons s'ils sont plus nombreux. »

Elle laissa échapper un ronronnement. Parler ainsi de ses petits comme un événement en approche la rendait folle de joie. Dommage que Dunkan soit là pour ternir cet amour maternel... Elle attendit donc sa réponse, la queue enroulée entre ses pattes courtes mais fines.

Le matou se rapprocha d'elle, comme une idée en tête. Il avait directement changé de position, de comportement. Qu'avait-il en tête, ce chat ? Préparait-il quelque chose ? Dame Allégorie ne put s'empêcher de réprimer un frisson. Et s'il voulait s'en prendre aux petits !? La femelle n'était pas sûre de s'en vouloir de penser cela, mais au fond, elle espérait avoir tort. Ce chat, il lui semblait l'avoir aimé, un jour. Pourtant, ce jour semblait loin, envolé en même temps que Dunkan l'avait plaquée au sol en lui heurtant le ventre. Était-il au courant pour des crampes, ses saignements ? Bien sûr, idiote. Vous vous êtes vus, et il a pu le constater de lui-même se disputa t-elle intérieurement. En s'avançant, le noiraud exposa son idée en répondant à sa question, le regard empli d'amour, comme dévoué à elle tout entier.

« Disons que si l’on part sur quatre, nous choisissons donc deux noms chacun dans ce cas. J’avais pensé à Petit Éternel pour l’un d’eux, celui qui mêlera nos deux pelages – je suis sûr qu’il y en aura un. J’aimerais l’appeler ainsi pour témoigner de mon amour pour toi, qu’il soit réciproque ou non, quelque soit les événements à venir, il sera toujours éternel. »

La Dame eut un mouvement de recul, très léger cependant. Elle ne s'attendait pas à une autre déclaration, si directe, si spontanée. Il ne lui avait pas redit qu'il l'aimait depuis... depuis ce fameux jour où elle avait perdu foi en lui. Il sembla se reprendre très vite, se redressant et prenant une mine plus mystérieuse, moins accessible. Cela faisait-il partie de ce qu'il mijotait plus tôt ?

« À ton tour, belle demoiselle. »

La reine soupira mais n'en fit pas plus. Il faudra qu'elle pense à bien se lustrer le poil pour que personne ne repère l'odeur sucrée du solitaire. L'odeur avec laquelle elle dormait si elle ne se nettoyait pas, l'odeur qui avait accompagné leur accouplement, leur union pour toujours... la Dame secoua la tête, folle de rage envers elle-même. Combien de fois vais-je devoir te le répéter !? Il n'est pas bien pour toi ! Il t'a fait du MAL ! Oublie-le. Elle se reprit soudain, ayant retrouvé son calme, mais étant toujours perturbée par la chaleur qui l'avait emplie lorsqu'elle avait pensé au bon vieux temps. Il lui semblait même que ses petits s'étaient calmés, qu'ils avaient approuvé ses pensées. Vous ne m'êtes pas d'une grande aide petits garnements, adressa t-elle silencieusement à ses chatons avec amour.

« Eh bien... s'il y a une femelle, j'aimerais l'appeler Petite Amaryllis. J'ai toujours aimé cette fleur, je n'ai jamais vraiment compris pourquoi. Peut-être grâce à son parfum ? »

Sucré. Son parfum sucré. Dame Allégorie poussa un soupir de capitulation, mais c'était vrai. Selle avait choisi ce prénom en honneur à l'odeur suave qu'elle sentait actuellement, à laquelle elle ne devrait plus jamais succomber. Mais ça, Dunkan n'en sera jamais, jamais informé.

« Eh bien ? Elle se lustra nerveusement le poil du poitrail, mettant faussement son agacement sur le compte de l'impatience, tentant de chasser cette idée de sa tête. Qu'attends-tu ? C'est ton tour. »

Le malaise passa. Du moins, Dame Allégorie avait très bien compris que Dunkan avait saisi qu'il y avait eu un souci. Sans plus attendre, elle avait détourné la conversation, d'un côté pour s'éviter de penser à ces sentiments qui ne voulaient pas partir, mais aussi par curiosité : quel serait le prénom que son amour interdit d'antan avait choisi pour leur petit ? Elle ne pensait pas être aussi excitée à l'idée de le découvrir. Mais maintenant que l'instant était là, ça lui courait sur l'échine : elle se devait de le savoir.

« Je te propose Petit Aspic pour le prochain. Il compte beaucoup à mes yeux, si cela ne te dérange pas, bien sûr. »

Ce nom semblait un peu cruel aux premiers abords. Pourquoi donner le prénom d'un serpent à un chaton, un bébé si doux, si mignon ? Mais aux vues de l'attitude qu'avait prise son interlocuteur, la Dame décida de ne point discuter cela. Après tout, si on y réfléchissait bien, le mot en lui même était beau à prononcer. Il respirait la loyauté, la force et le courage. La Dame se mit à sourire à son insu : elle voyait déjà son petit porter ce beau prénom, fier et brave.

« Eh bien, alors ? Allez, c'est à ton tour ma belle. »

La voix du noiraud l'arracha de nouveau à ses pensées. Hmm, oui, c'était bien à elle... elle n'avait pas réfléchi à un quatrième prénom, à vrai dire : trois chatons serait déjà une immense bénédiction, mais quatre alors, ce serait sublime... peut être un peu trop. C'était pour cela qu'elle ne s'était pas avisée de trop s'avancer. Mais on le lui demandait, alors elle réfléchit à toute vitesse, tentant de trouver le dernier prénom de sa future portée.

« J'aime beaucoup Petit Éléphant. Balourd mais très sage au fond... voilà ce que m'inspire ce prénom. »

D'où lui était sortie cette appellation ? Dame Allégorie avait presque l'impression que c'était le Clan des Étoiles qui le lui avait soufflé. Ce n'était pas si mal... elle l'adorait, à vrai dire. Cela dégageait tellement de choses... Maintenant qu'ils avaient leur quatre prénoms, ils n'avaient plus vraiment grand chose à se dire. La Dame se demanda : auquel on va attribuer lequel ? Petit Éléphant sera t-il gris, Petit Aspic sera t-il courageux, Petite Amaryllis aura t-elle le même parfum que la fleur, Petit Éternel... sera t-il vivant ? Un voile passa au creux de son regard. Le Clan des Étoiles la prévenait, ce mauvais pressentiment n'envisageait rien de bon. Un flashback s'imposa à la reine : le choc, le coup, le sol sous son crâne, et le sang tachant le sol... elle avait peur pour ses petits depuis ce fameux jour. Il était grand temps d'en parler.

La belle tricolore prit une grande inspiration : parler de ce moment lui était très douloureux, mais elle n'avait pas le choix. Peut-être cela lui permettrait-il de pardonner à Dunkan ? Au fond, elle n'y croyait pas beaucoup. Mais bon, il fallait toujours essayer...

« Dunkan... je pense que tu te souviens du jour où tu m'as fait mal. »

Elle laissa sa phrase en suspens, attendant que son amant la continue. Elle espérait au plus profond d'elle qu'il saurait se défendre, qu'il arriverait à la convaincre : parce que diable, elle lui en voulait toujours autant. Mais ses sentiments revenaient, se battant avec sa bonne conscience, et elle ne voulait plus que former une famille réunie avec le matou. Mais une petite voix dans sa tête lui précisait que ce serait plus difficile qu'elle ne le pensait...

Le nom sembla plaire à Dunkan. Il se perdit un instant dans les grands yeux bleus de la Dame, puis son regard se porta de lui-même vers le ventre arrondi. Elle accueillait de la vie à l'intérieur, la nourrissait par le biais de son existence même. Qu'y avait-il de plus beau, de plus magique ? Ce monde empli de guerres, de combats, de règles idiotes quant aux amours que l'on doit avoir ou non, ne méritait pas que ses merveilleux enfants n'y posent la patte. Aucun chaton ne devrait d'ailleurs naître dans ce contexte, sous ces conditions. Pourtant, ça continuait d'arriver... et on s'y était habitué.

« Oui, cet acte est devenu mon pire cauchemar... Je regrette tant si tu savais... Mais où veux-tu en venir ? » s'interrogea le noiraud en posant de nouveau son regard outre-mer sur la gestante.

La question n'était pas des plus idiotes. Où voulait-elle en venir ? Eh bien, à vrai dire, elle voulait tenter de se trouver une bonne raison de le pardonner, pour elle, pour lui, pour leurs enfants. Il l'avait lamentablement poussée au sol, lui marchant littéralement dessus, blessant probablement un de leurs petits. Dame Allégorie allait être mère, elle le savait donc : quelque chose n'allait pas. Elle portait la vie de ses enfants en elle, le sang de son sang, elle se devait de le sentir. Comment diable pouvait-elle penser pouvoir le pardonner ? Son cœur la menait pourtant sur ce chemin là. Le fourbe...

« Nulle part, commença t-elle de sa voix posée et grave. Je voulais seulement qu'on en discute. Tu m'as blessée, ce jour-là. Et tu sais très bien que c'était autant physiquement que mentalement. »

Sa voix était calme, mais au fond, tout se déferlait : les yeux du chat qu'elle aimait penchés au dessus d'elle, brillant d'un feu bleuté, si fort que les larmes qui en tombaient étaient incandescentes. Il l'avait jetée au sol, lui avait fait du mal. Elle se repassait cette scène des millions de fois, par bribes, par instants, dans ses rêves aussi. Elle se devait de vivre avec. Quelqu'un d'extérieur pouvait bien penser que la Dame exagérait, qu'il n'avait fait que la pousser. Mais ils comprendraient s'ils avaient été là, la rage qui était passée dans les yeux de Dunkan, la façon dont il s'était changé en monstre ce court instant. La belle tricolore ne l'avait pas reconnu, ce chat noir penché au dessus d'elle. Il s'était enfui, l'abandonnant au creux d'un arbre auprès duquel elle s'était réfugiée pour le tenir éloigné d'elle, en larmes, bouleversée. Et lui était parti, juste ainsi. Elle le lui avait ordonné et l'aurait probablement frappé s'il ne l'avait pas fait, mais cette scène se repassait en boucle dans son esprit, et la Dame avait toujours aussi mal. Comment diable oublier cela lorsqu'elle le verra si près de ses enfants, de son monde entier, qu'elle aimait déjà d'un amour sourd avant même de ne les avoir rencontrés ?
C'était bien simple : elle n'oublierait pas. Elle avait déjà décidé de déserter le Clan de l'Ombre... mais Dunkan n'en saurait jamais rien.

Au plus profond d'elle, elle suppliait le Clan des Étoiles que Dunkan aie le bon discours, qu'il réussisse à la convaincre. Car son esprit semblait faire la guerre à son cœur, l'un refusant et l'autre réclamant le chat qui lui avait fait si mal précédemment. Dunkan lui manquait, c'était indéniable, mais la pauvre femelle était déchirée. Et si un de ses petits avait été blessé durant cette altercation ? Elle savait très bien qu'il y en avait minimum deux, elle les sentait en elle, leurs petites pattes s'accrochaient péniblement aux parois de leur habitation provisoire, elle aimait les sentir ainsi quand ce n'était pas dans l'une de ces crampes douloureuses qu'elle avait plusieurs fois par jour depuis le fameux jour. Mais aujourd'hui, rien n'arrivait, les crampes semblaient ne pas vouloir venir. Est-ce que le Clan des Étoiles leur envoyait un message ? Leur disait-il qu'il était d'accord avec cette liaison, qu'il voulait que Dunkan soit excusé ?

« J’aimerais tant me faire pardonner de cet acte, tu sais que je ferais n’importe quoi. Mais tu ne semblais pas décidée à me laisser faire, à me laisser une chance de rattraper mon erreur. La plus grosse erreur de toute ma vie. Je sais bien que si tu me pardonnes, rien ne sera complètement comme avant parce que j’ai brisé quelque chose que nous ne pouvons pas totalement réparer. Mais laisse-moi au moins ramasser et rassembler les morceaux, essayer de les remettre en ordre, laisse-moi cette chance. »

Des sanglots s'entendaient dans sa petite voix faible, elle tremblait pendant qu'il avouait ce qu'il avait dû refiler depuis plus de deux lunes désormais. La Dame en resta estomaquée. Ce chat... quel effet il lui faisait. Sa fourrure noir de jais, ses longues pattes élancées qui le rendait plus grand qu'elle, ses grands yeux bleus tranchant avec la sombre clarté de sa robe nuit, oh, elle pourrait se perdre dans ce regard... Il venait de la convaincre. Il était désolé, il était triste et s'en voulait. À quoi bon continuer de se faire du mal en s'éloignant de lui, en s'empêchant de l'approcher ? C'était inutile, elle n'en pouvait plus. Dans un hoquet, la Dame se précipita dans les bras de son amant, collant son corps au poitrail du matou qui était plus grand que lui.

« Oh, Dunkan, si seulement tu m'avais dis ça plus tôt... »

Qu'ils étaient bien là, tous les deux. Ça faisait si longtemps qu'ils se cherchaient, que la Dame repoussait le chat nuit, qu'elle lui hurlait de ne plus jamais lui parler. Mais au fond, c'était son cœur meurtri qui appelait, qui suppliait son hôte de pardonner à Dunkan, de revenir vers lui. Leurs odeurs se mélangeaient, son odeur si particulière, sucrée, comme cette fameuse amaryllis dont elle avait pris le nom. Cela faisait tellement de bien que de revenir vers lui, de se laisser aller. Elle s'était retenue si longtemps...

« Que dirais-tu que l’on refasse comme lors de notre première rencontre, à se séduire ? Mais cette fois-ci, j’aimerais que l’on parle tous les deux de nos passés. Je connais si peu de choses sur toi… »

Comme au début... c'est-à-dire ? Lorsqu'ils s'étaient vus, ils avaient conçus leurs petits qui, bientôt, se dégourdiraient les pattes sur le sol humide. La Dame ne pensait pas que c'était de cela qu'il parlait, qu'il ne lui demandait pas de passer à l'acte. Il parlait bien de l'instant où ils avaient appris à se connaître, à s'apprécier. Mais la tricolore ne savait pas se dévoiler. Il faudrait que ce soit lui qui ouvre la danse...
Dame Allégorie se décolla lentement de son ancien amant avant de répondre de sa voix naturelle, calme et suave, qui faisait apparemment tant frissonner le matou.

« Bien. Je te laisse me raconter tout sur toi, alors. »

C'était une façon dissimulée de lui préciser qu'elle ne se dévoilait à personne, alors qu'il fallait qu'il l'aide un peu avant que son tour ne vienne.

Dunkan semblait être un peu gêné de commencer, mais son regard s'adoucit immédiatement après, comme s'il s'était rendu compte de quelque chose. Allait-il vraiment tout lui avouer de son passé ? Le chat de jais ne semblait pas être du style à se dévoiler à tout le monde comme une nuque de chaton, lui qui courait tant de jupons sans vraiment s'attendre à un lendemain. La Dame se rendit alors compte à cet instant du niveau qu'avait atteint son amant quant à l'amour qu'il lui portait. Il n'avait jamais connu ça, il était fou amoureux d'elle.

« D'accord, mais chaque fois que je raconterai une chose sur moi, ce sera ensuite ton tour, d'accord ? déclara le matou noir. Ça semblait correct, il n'y avait pas d'entourloupe, pas de sous-entendu, rien. Ça convenait à la Dame. Mais alors qu'elle s'apprêtait à répondre, Dunkan continua son speech, sans lui laisser le temps d'en placer une. Bien, je ne sais pas par où commencer... hum... que veux-tu savoir sur moi ? Que veux-tu connaître de mon passé ? »

La belle tricolore répondit du tac au tac, sûre d'elle.

« Tout. Je veux tout savoir. »

Tout, peut-être par petites bribes, mais tout. Elle savait qu'elle devrait se dévoiler aussi : tant pis. Elle ferait autant d'efforts que le grand solitaire. Mais c'était à lui d'ouvrir la danse...