La journée venait de commencer et une fine pluie prenait possession du Clan de la Rivière mais également de tout Cerfblanc. Nuage de la Panthère avait décidé, la veille, qu'elle irait chasser seule - son statut de presque guerrière lui valait qu'on la traite ainsi, étant donné que c'était par choix personnel qu'elle avait refusé de monter de grade - mais la sentence donnée par son guérisseur et meilleur ami, Totem du Faucon, tenait toujours. Elle se devait de garder sa patte blessée lors de leur périple en sécurité. De plus, la bruine empêchait toute bonne excursion de chasse, étant donné qu'elle brouillait les odeurs et qu'elle ne permettait pas aux chats de suivre une quelconque piste. C'était donc pour cela que la plupart des félins du Clan étaient restés au camp, occupés à profiter de leur temps libre pour rester avec les personnes chères. D'autres étaient partis en patrouille, et certains étaient allés entraîner leurs apprentis. Nuage de la Panthère n'avait plus de mentor depuis bien longtemps : elle avait toutes les compétences d'une guerrière accomplie, l'âge également. Seul son cœur n'était pas au rendez-vous. Nuage Mordoré...

Marchant clopin-clopant vers la tanière du guérisseur pour rendre une petite visite de courtoisie à son meilleur ami, Nuage de la Panthère poussa un petit cri de stupeur. Une chatte plus petite qu'elle, plus jeune aussi, venait de la percuter de plein fouet en bougonnant une sorte de pardon très dur à comprendre. La boule de poils écaille se dirigea ensuite vers un rocher plein d'une mousse humide. Elle doit être de corvée pour les anciens... pensa l'adorable femelle sans relever le petit incident qui venait de se produire. À tous les coups elle avait fait quelque chose de mal et s'en était retrouvée punie, Panthy comprenait. Elle l'avait fait tant de fois, autrefois. La chatte nuit fit demi-tour et, d'un pas saccadé par son boitement régulier, elle se dirigea vers l'apprentie jusqu'à arriver à sa hauteur. En regardant mieux elle découvrit Nuage Sauvage, une femelle qui traînait souvent avec son petit frère de cœur, Nuage Argenté. L'avait-elle reconnue en la bousculant ? Elle n'avait même pas levé la tête... Pleine de sa bonté habituelle, la noiraude annonça, le visage empli d'un sourire bienveillant :

« Tu ne m'as pas laissé le temps de te répondre, commença t-elle sur un ton doux. Ce n'est pas grave pour tout à l'heure, ça arrive à tout le monde. »

Elle commença à collecter des petites boules de mousse à son tour. La belle n'avait rien à faire, alors aider cette petite chatte ne lui coûtait rien. Et puis, si Étoile des Ronces lui en tenait vigueur, elle pourrait lui rappeler que la solidarité était quelque chose d'essentiel au sein d'un Clan. Emplie d'un grand respect pour le chef de son Clan adoptif, elle n'était pas du moins du genre à courber l'échine face à l'autorité si elle la trouvait injuste. Panthy tourna la tête en direction de Nuage Sauvage et lui adressa un sourire à tomber. De ces sourires qui avait chamboulé le cœur de Nuage Argenté, par exemple...

« Je vais t'aider. Dès que tu auras amassé assez de mousse, nous irons ensembles jusqu'à la tanière des anciens. Ils serons fiers de toi, j'en suis sûre. »

Alors qu'elle entreprenait de ramasser le maximum de mousse possible pour que Nuage Sauvage soit félicitée en conséquence, Nuage de la Panthère sentit un regard de marbre se poser sur elle, la glaçant jusqu'aux os. Lorsqu'elle releva le visage, déconcentrée de sa tâche, elle découvrit une Nuage Sauvage froide, écumante de rage. La réplique qui s'ensuivit fut sans appel, c'était la suite logique à cette réaction dont Panthy ne connaissait aucunement l'origine.

« Je n'ai pas besoin de ton aide. »

Puis elle se détourna et se dirigea d'un pas rapide vers la tanière des anciens. Une autre femelle se serait énervée, bouillonnante, et aurait craché des mots durs au visage de la petite sur le respect des plus âgés, même du même grade, la solidarité et l'acceptation. Mais Panthy n'était pas de celles-là. Sa gentillesse maladive l'obligeait à découvrir la source du problème pour contribuer à s'en débarrasser. Elle serait un peu la magnifique fille des films, ayant tous les beaux garçons à ses pieds et, qui en plus, travaillerait bien, serait aimée de tout de part sa bienveillance et son intelligence, et donnerait le maximum d'argent à des œuvres de charité. Le genre de fille qui nous donne envie d'arrêter directement la diffusion du film, en manque d'un idéal. La chatte nuit abandonna sa boule de mousse et se lança à la poursuite de la femelle, boitillante. La rattrapant tant bien que mal, elle annonça, sur un ton compréhensif :

« Qu'est-ce qui ne va pas, Nuage Sauvage ? Elle attendit quelques instants et, n'obtenant aucune réponse, relança la petite femelle tricolore. C'est ta corvée qui t'embête, c'est ça ? Tu sais, on a tous fait des bêtises, même Étoile des Ronces a dû se faire punir de nombreuses fois... »

Elle attendit la réponse de son interlocutrice, le pas léger, le visage doux.

Nuage Sauvage semblait l'ignorer du plus profond de son être. Comment diable pouvait-on être aussi borné ? La grande patience ainsi que l'immense gentillesse de Nuage de la Panthère étaient en train de se ternir tous les deux, la petite l'empêchait d'être douce et prévenante avec elle. Pourtant, elle n'avait encore rien dit de particulier, appart lorsqu'elle avait exprimé son envie de faire sa tâche seule. Cela pouvait être interprété de nombreuses manières, comme une frustration ou une envie de se rattraper seul pour la bêtise commise précédemment. Le ton glacial que l'apprentie prit trancha avec les paroles douces que Panthy avait eues à son égard. Elle se décida enfin à la regarder dans les yeux et lui cracha au visage, hors d'elle.

« Mêle toi de tes affaires ! La femelle écaille s'attela de nouveau à sa tâche, laissant tout d'abord Panthy dans l'incompréhension la plus totale, mais abandonna bien vite en se rendant compte que ses efforts étaient vains. Elle se tourna de nouveau vers son interlocutrice et lui lança des éclairs avec ses yeux d'ambre. Les chats des alentours commençaient à se retourner vers eux, interloqués ou gênés par le vacarme occasionné. Tout ça, c'est de ta faute de toute façon ! De quoi parlait-elle ? La chatte nuit n'en avait pas la moindre idée. Mais par la volonté du Clan des Étoiles ou simplement par pure coïncidence, Nuage Sauvage le lui informa à la seconde d'après. Madame rend Nuage Argenté fou d’elle, lui retire tous ses espoirs et fait de lui son frère, en quelques discussions alors que moi, je suis quoi ? Juste une vulgaire meilleure amie alors qu’on se connaît depuis la pouponnière, depuis notre naissance et qu’on a fait les quatre cent coups. Tu es qui, toi, pour t’immiscer dans notre relation qui semblait si parfaite avant que tu ne pointes le bout de ton museau, hein ?! »

Nuage de la Panthère était connue pour son sang-froid, sa bonté et sa compréhension. La femelle n'était plus du genre à s'énerver pour rien, plus depuis la disparition de son compagnon. En parlant de lui, comment cette petite osait-elle l'accuser de chercher des admirateurs alors que Nuage Mordoré était dehors, dans un endroit totalement inconnu, mort ou vif, ça on ne le savait pas. Elle lui était fidèle plus qu'à quiconque, plus qu'à Totem du Faucon, plus qu'à Nuage Argenté, plus qu'à Étoile des Ronces lui-même ! Une rage sourde, causée par la pensée de son amour perdu et la façon dont elle l'avait assimilé à la discussion, lui monta au cerveau. Elle s'avança vers la femelle plus jeune qu'elle, menacante, et se mit à crier. Panthy était bien gentille, certes. Mais se laissait-elle marcher sur les pattes ?
Certainement pas.

« Dis-moi, toi. On se connaît ? Enfin, je ne sais pas, peut-être que tu t'es renseignée sur moi, sur ma vie, sur mon passé ? Je dirais que non, et tu sais pourquoi ? Parce que sinon, tu saurais que j'ai un compagnon ! Nuage de la Panthère lui hurlait dessus. Elle ne se contentait pas de la petite morale qu'une aînée faisait à quelqu'un de plus jeune, mais réellement d'une bonne grosse engueulade. Son cœur débordait d'amour et de tristesse, et tout ressortait maintenant. Ce n'est pas de ma faute si Nuage Argenté s'est épris de moi, ce n'est pas de ma faute si MADAME est frustrée que son amour fou ne l'aime absolument pas en retour. Est-ce mon problème ? Pas du tout. D'ailleurs, pour la petite information, je ne lui ai pas fait perdre tous ses espoirs, mais au contraire lui ai appris à mieux vivre avec lui-même. Il n'a été triste qu'un instant ! »

La belle femelle, d'habitude si candide, si compréhensive, n'arrivait plus à s'arrêter. Elle balançait à la petite importune ses quatre vérités, et elle était d'ailleurs loin d'en avoir fini avec l'apprentie.

«  D'ailleurs, espèce de bile de souris déconfite, tu comprendras que tu n'as plus à te soucier de moi, mais bien de la jolie petite femelle que je lui ai présenté à ma place, et à laquelle il porte déjà une grande affection. C'est triste, hein !? C'est dommage, qu'en penses-tu ? Alors là est la preuve que ce que tu avances est totalement débile. Je ne suis pas la responsable, puisque Silver s'est épris d'une autre. T'es-tu déjà demandée si le problème venait de toi, frêle petite Nuage Sauvage !? »

À la fin de sa tirade, elle lui cracha au visage avec hargne, avant de tourner les talons et de gratter le sol de ses pattes comme pour simuler une litière, et les excréments qu'elle enterrerait avec. Où était passée Nuage de la Panthère ? Bien là. Et elle ne regrettait pas une seule seconde ce qu'elle venait de dire à Nuage Sauvage. Elle assumait ses choix, elle ne se cachait pas derrière des sous-entendus et des excuses minables. L'apprentie écaille ne voulait juste pas voir la vérité en face : Silver ne l'aimait pas, elle ne lui plaisait pas. C'était elle le problème. Pourtant, elle avait tout fait pour rejeter la faute sur une si douce chatte, telle que Panthy. Cette dernière alla se camper devant la tanière des apprentis et entama de se lustrer le poil que son échine hérissée avait mis en désordre.