Patte Illusoire bondit derrière un papillon, telle une chasseuse aguerrie. Plus tard, elle serait celle qui ramènerait le plus de proies au clan, et ses deux parents seraient fières d’elle. L’insecte battit de ses ailes colorées et s’envola dans le ciel, devenant hors de la portée de la chatonne au pelage tigrée. La jeune enfant pesta de frustration et finit par voir si elle pourrait trouver d’autres papillons dans le camp. Patte Illusoire comprenait vite les choses ; ainsi, elle avait vu que les papillons voletaient souvent près des fleurs. Elle fit volte-face et courut à travers le camp du Tonnerre. La chatonne revint à son lieu de départ : un carré de pâquerettes près de la pouponnière. En début d’après-midi, elle s’était mise à côté de ces fleurs pour les observer avec admiration – elle avait décidé de le faire seule car elle ne voulait pas que ses frères, sûrement moins sensible qu’elle à la nature, ne finisse par les écraser. Puis un papillon avait surgi et elle l’avait pris en chasse.

La petite chatte resta longtemps pensive en regardant les fleurs. Elle commença à s’imaginer des histoires : des papillons qui naissaient d’entre les pétales de ces pâquerettes, ces fleurs blanches qui grandissaient jusqu’à atteindre la taille du promontoire, des tanières recouvertes de fleurs à en devenir immaculée. Patte Illusoire avait une imagination débordante, parfois qualifiée d’absurde. Elle resta là, à s’occuper les pensées, oubliant sa chasse aux papillons. S’imaginer des histoires était une activité qu’elle adorait. Il lui suffisait d’être seule et son imagination créait milles choses abracadabrantes. Patte Illusoire finit par se relever. Maintenant, elle avait envie de bouger. Elle aperçut alors une chatte dans le camp, bien plus grande qu’elle, mais qui semblait sympathique. Cette chatte avait un pelage écaille de tortue, mais surtout, les mêmes yeux émeraudes que Patte Illusoire ! La chatonne en était convaincue : elle voulait avoir une nouvelle amie, et elle ne songea pas une seconde à la différence d’âge. Elle s’approcha de l’apprentie et la fixa avec curiosité.

« Bonjour, moi c’est Patte Illusoire ! Je suis la fille d’Esprit du Lion et de Cœur du Printemps, se présenta-t-elle, ainsi que future grande chasseuse du clan du Tonnerre. Tu veux bien être mon amie ? »

Patte Illusoire lui adressa un sourire en faisant une moue adorable en espérant que la chatte au pelage écaille n’était pas trop occupée. Elle n’arrivait pas à déterminer si il s’agissait d’une apprentie ou d’une guerrière, mais dans les deux cas, elle devait avoir beaucoup de tâches. D’ailleurs Patte Illusoire était un peu triste de se dire qu’une fois apprentie, elle ne pourrait plus jouer autant. C’était pour cette raison qu’elle essayait de profiter de son temps libre que lui procurait son rang de chatonne. Peut-être que la chatte devant elle accepterait peut-être aussi de jouer avec elle ? Elle voulait se trouver de nouveaux compagnons de jeux, et si possible, des présences féminines car la petite chatonne était entourée d’une fratrie de trois frères.

« Oh, je vois, une future grande chasseuse. Je suis sûre que tu y parviendras. Moi je suis Nuage Symphonique, je considère ton père comme mon frère, alors je suis aussi un peu ta tante, si on y pense. On est comme une famille ! »

Patte Illusoire mit quelques secondes à tout comprendre car la dose d’informations était plutôt importante, mais une fois qu’elle eut fait son raisonnement, un grand sourire éclaira son visage brun. Nuage Symphonique était sa tante ! Elle se rappelait un peu de ce qui lui avait dit ses parents. Cœur du Printemps avait une sœur, Reflet du Ruisseau, et un frère, Nuage de Réglisse. Mais ce n’était pas du côté de sa mère que Nuage Symphonique venait, mais celui de son père. L’apprentie qui se trouvait devant elle, ainsi que son frère, Nuage du Virtuose, avait été élevé en même temps qu’Esprit du Lion, son père. Cela faisait beaucoup de famille pour Patte Illusoire qui n’arrivait pas toujours à s’en souvenir. La chatonne aux yeux émeraudes se sentit alors intimidée et honteuse : que devait penser sa tante d’elle, elle qui n’arrivait même pas à reconnaître les membres proches de sa famille ? Mais Nuage Symphonique s’approcha d’elle et lui lécha le haut de la tête, en signe d’affection, ce qui rassura Patte Illusoire : sa tante l’acceptait au sein de la famille et d’ailleurs, elle l’avait même encouragée pour devenir une grande chasseuse.

« Alors, tu veux sûrement jouer avec moi non ? Dès que j'aurais mangé un morceau, je suis à toi, mais tu peux rester avec moi, je n'en ai pas pour longtemps. »

Oh oui, elle voulait jouer ! Et il était hors de question qu’elle quitte sa tante, même l’espace d’un moment. Elle était déjà totalement sous le charme de Nuage Symphonique qui était si gentille avec elle. Patte Illusoire accompagna gentiment l’apprentie jusqu’au tas de nourriture. La chatonne au pelage tigrée n’avait pas encore le droit de manger de la viande car elle était encore trop jeune. Mais cela ne la dérangeait pas : le lait de Cœur du Printemps lui convenait ! Nuage Symphonique prit un petit rongeur. Patte Illusoire n’arriva pas à l’identifier : souris, mulot, campagnol, elle connaissait ces différents mots mais ne pouvait les mettre sur la proie correspondante. « Il y a un jeu qui te ferait plaisir ? »

Patte Illusoire se souvint que Nuage Symphonique lui avait proposé de jouer avec elle dans sa réplique précédente et elle se retint de faire une danse de la joie. Elle était super contente : elle allait passer du temps avec une grande ! La chatonne regarda son aînée avec joie et admiration. Elle ne regrettait pas d’avoir croisé le chemin de sa tante. Elle baissa la tête pendant quelques secondes, réfléchissant à tous les jeux qu’elle connaissait. Finalement, elle eut une idée : cache-cache. Patte Illusoire adorait ce  jeu car il fallait user de son imagination pour trouver des cachettes convenables. Néanmoins, à force de jouer avec ses frères, ceux-ci connaissaient toutes ses cachettes à elle et inversement, du coup, c’était moins amusant. Mais Nuage Symphonique ne connaissait pas ses cachettes ! Elle attendit poliment que sa tante finisse de manger et miaula :

« J’aimerais bien jouer à cache-cache, s’il te plaît. » Elle n’ignorait pas que Nuage Symphonique avait été chatonne, elle aussi, mais elle crut bon de rappeler les règles, au cas où. « Je compte jusqu’à trente, et toi, tu te caches jusqu’à je te trouve. Après on échangera. Donc je commence maintenant, conclut-elle. »

La chatonne s’assit, posa ses pattes sur ses yeux émeraudes, la privant de la vision, et commenàça à compter de sa petite voix jusqu’à trente.