La tête posée sur ses pattes, le regard vide d’émotion tourné vers la clairière déserte et silencieuse, Nuage Sauvage cherchait les bras de Morphée, en vain. Elle ne cessait de gigoter dans son nid, car lorsqu’elle décidait de prendre une certaine position, il ne fallait qu’un petit moment seulement avant qu’elle ne sente ses membres s’engourdir. Alors elle trouvait une position plus confortable avant que la boucle infernale ne se répète. Ses paupières n’avaient aucune envie de se fermer, malgré son insistance. Elle souhaitait plus que tout sortir de cette tanière où elle s’y sentait oppressée, mais elle n’avait pas l’intention de réveiller ses camarades, qui eux, étaient parvenus à trouver le sommeil.

Pourtant, le temps filait, la lune était désormais haut dans le ciel et toujours pas moyen de s’endormir. Alors elle se décida, se levant doucement de sa litière sans effleurer la moindre vibrisse d’un autre félin, elle se mit sur ses quatre pattes avant d’examiner les alentours afin de trouver le meilleur chemin où elle aurait le plus de chance d’éviter de poser la patte sur quelqu’un. Doucettement, elle leva la queue vers le ciel afin qu’elle ne touche personne elle aussi, puis, lorsqu’elle comprit où se trouvait le meilleur chemin, elle se lança. Une queue par-ci, une tête par-là, parfois des pattes qui bougeaient parce que le félin rêvait – cela la faisant sursauter par la même occasion – son cœur battant la chamade, elle évita tout. Arrivée à l’entrée, elle soupira de soulagement et tenta de se calmer lorsqu’un éclair blanc fila sous ses yeux.

Sans aucun mal, elle reconnut Totem du Faucon, le nouveau guérisseur qui était du même âge qu’elle. Le laissant partir sans aller à sa rencontre, elle décida de se lancer à sa poursuite pour savoir ce qui se tramait. Lorsqu’elle sortit du camp – sans trop d’encombres – la féline huma l’air, à la recherche de l’effluve du matou. Elle marchait dors-et-déjà sur ses pas qui menait au lac de la lune. Elle prenait son temps, de peur d’aller trop vite et de tomber sur lui en étant obligée de justifier le fait qu’elle le suivait.

Mais par chance, elle ne tomba pas sur lui et parvint au lieu où il était allé sans problème. Il était là, assit tranquillement, scrutant le lac argenté. Au bout d’un moment, l’apprentie tricolore se décida à sortir des fourrées afin de rejoindre l’ancien apprenti-guerrier. Elle vint poser son arrière-train près de lui, prenant soin de ne pas frôler sa fourrure aussi douce soit-elle, enroulant – comme lui – sa queue autour de ses pattes, laissant involontairement un contact entre les deux chats.

— Toi aussi, le sommeil n’est pas décidé à venir t’emmener vers les rêves pour cette nuit ?

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Sortir en douce, de son air éternellement belliqueux, c'était tout à fait Nuage Sauvage et chaque chat du clan la connaissait bien pour sa passion à repousser ses limites, donner le meilleur d'elle-même et être toujours aussi joyeuse et un peu fofolle. C'était dans sa nature, le goût de l'aventure et de l'interdit.
C'était parfaitement stipulé dans le code du guerrier, puis répété, répété et encore répété par les guerriers et les anciens, par le chef et le lieutenant, par n'importe qui en fait. La demoiselle connaissait plus que bien cette règle dont elle se donnait un malin plaisir à l'enfreindre. Elle veillait à ne pas se faire prendre et toujours, les gardes du camp le savait, elle rejoignait quelqu'un à chaque fois, n'étant pas non plus abandonnée à elle-même sur un territoire hostile – même s'il s'agissait du sien – le danger est présent partout, sans qu'on ne puisse le voir. Le prédateur invisible, et dès l'instant où l'on quitte la protection, on devient une proie facile, on devient sa proie. Mais Nuage Sauvage n'avait jamais eu peur de cela.

Elle avait progressé dans la nuit noire où seule la lumière de la lune avait permis de guider ses pas jusqu'au guérisseur qui attrapait un paysage époustouflant pour le mettre dans les yeux de la petite qui venait tout juste de le rejoindre. Oui, c'était beau. Mais il n'y avait pas cela qu'elle trouvait mignon. Il y avait aussi lui et sa fourrure blanche comme neige, ses yeux bleus comme le ciel de la saison des feuilles vertes où aucun nuage blanc ne venait troublé cette couleur unique. Nuage Sauvage avait toujours été trouvé que Totem du Faucon avait du charme. Mais il ne pourrait jamais en user, maintenant qu'il avait été l'élu du clan des étoiles au yeux de la féline. Elle ne lui en voulait pas, au contraire. C'était un bon ami pour lui et elle avait déjà le béguin pour son meilleur ami – qui ne savait rien et qui ne se gênait pas de traîner un peu trop dans les pattes de Nuage de la Panthère et de Petite Onde, la fille du meneur et de la lieutenante qui plus est.
À cette simple pensée, la colère montait doucement dans le corps de la femelle, mais la présence de son ami et son air taquin ainsi que sa petite léchouille sur l'épaule de la tricolore, cela avait tout pour faire redescendre les tensions de Nuage Sauvage.

— Bonjour Nuage Sauvage, tu sais que tu ne devrais pas être là ?

Et tandis qu'il lui mettait une petite pichenette, l'intéressée tira la langue d'un air comique et taquin. Il le savait bien, si elle n'avait pas le droit d'être là, alors elle s'y trouvait. Quoi de mieux de la logique des belliqueux ? Chez elle, les règles sont là pour le bien des clans, mais aussi pour être transgressées. Elle aurait voulu répondre au matou, mais en cherchant ses yeux, elle trouva les yeux et l'admiration devant le lac de la lune.

— C'est magnifique. Tu ne trouves pas ?

Elle se mit donc à déposer ses yeux à son tour sur le lit d'eau. Elle devait avouer qu'en pleine nuit, elle trouvait l'endroit si beau qu'elle s'ajouta un objectif en plus dans la vie. Elle se jura qu'avant sa mot, elle aurait fait tous les plus beaux endroits du territoire sous le clair de lune en compagnie de quelqu'un qui lui était cher.
D'abord, elle resta quelques instants bouchée-bée devant une telle beauté, ne faisant qu'admirer, oubliant presque la question de son camarade – oui, presque, car elle demeurait toujours dans un coin de sa tête. Celle-ci revint d'ailleurs lui frapper le crâne, la sortant de sa contemplation.

— Je pensais pas qu'un jour j'aurai la chance d'observer ceci un jour. Et avec toi, en plus.

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Le regard perdu dans le vague, Nuage Sauvage affichait un sourire béat devant tant de splendeur. Elle ne pensait pas qu’une telle merveille pouvait exister et qu’elle n’apparaissait qu’à la nuit tombé. En dehors de ce moment, le paysage était beau oui, mais pas aussi spectaculaire. De plus, l’apprentie se voyait être en bonne compagnie. Un instant ou deux, parfois, elle s’imaginait que le chat à des côtés était son meilleur ami, Nuage Argenté, auquel elle n’était pas indifférente mais lui n’avait d’yeux que pour d’autres femelles bien plus merveilleuse qu’elle. C’est pourquoi elle souhaitait l’oublier ce soir pour ne penser qu’à ce si bel instant.
Plongée dans les méandres de ses pensées, elle fut surprise lorsque Totem du Faucon la plaqua au sol gentiment, l’air joueur.

— Je t’ai eu !

Alors que leur museau se touchaient presque, Nuage Sauvage, elle, ne put retenir un joli rire cristallin et sincère. Le genre de rire dont on pouvait facilement tomber amoureux. Il s’écarta et se mit à rire lui aussi. La jolie féline se releva, mine de rien. Pourtant, elle avait les muscles à demi-tendus et le regard malicieux. L’instant d’après, elle n’hésita pas à le plaquer à son tour, joueuse.

— Et là c’est moi qui t’ai eu.

Leur museau, à nouveau, se frôlaient et cette fois-ci, Nuage Sauvage put voir l’intensité du regard bleu de son camarade, ce qui la déconcerta. Elle rit tout de même en se détachant de lui, lui lançant un regard plus que complice.

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La nuit est belle ce soir. Cela faisait longtemps que la jolie demoiselle ne s’était pas sentie si bien alors qu’elle était censée dormir et ne pas être dehors seule – enfin, elle n’était pas seule que cela puisqu’accompagnée du guérisseur du clan. Les deux amis s’entendaient à merveille et Nuage Sauvage le savait : elle parviendrait à faire jalouser son meilleur ami ainsi, même si cela lui coûtait énormément de se servir d’un ami pour parvenir à ses fins amoureuses. Cela en devenait presque délirant et sordide. Elle n’avait pas le droit de lui faire ça ! Et pourtant, n’était-ce pas ce qu’elle faisait ?

— Hé Wild ! Tu viens, on fait la course jusqu'au camp ?

Une lueur de défi illumina les prunelles ambrées de la petite femelle sous le clair de lune. La détermination traverse son doux regard – qu’elle affiche souvent lorsqu’elle est calme, sereine et non en colère. Elle se serait bien avancée jusqu’au matou, prenant la pose en bandant les muscles, attendant son signal pour démarrer, mais elle se garda bien de rester en retrait afin de laisser une chance à son ami de gagner. Certes, il avait commencé un entraînement d’apprenti-guerrier sous la tutelle de Ruse du Renard, mais rien ne lui disait s’il avait perdu en vitesse et en endurance.
Leur regard se croisèrent et au moment où elle acquiesça dans un léger hochement de tête, elle fila au quart de tour, plus rapide que jamais. Elle aimait plus que tout sentir le vent s’engouffrer entre ses poils et les faire virevolter, elle appréciait sentir l’air pur s’emparer de ses narines, une odeur si belle de la nature. Elle en oubliait presque sa course ; alors elle rouvrir les yeux et accéléra de plus belle.
Parfois, elle se disait qu’elle aurait peut-être sa place dans les landes aux côtés du vent, mais elle s’enlevait rapidement cette idée de la tête : elle aimait bien trop sa rivière pour trahir son clan.

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