Je frissonnai en appelant mes guerriers depuis l'entrée du camp. Le soleil était levé depuis quelques heures déjà, mais le vent restait glacé. Heureusement que je n'avais pas choisi de partir à l'aube, je crois que ça m'aurait coûté mes pattes. Le seul fait de les attendre, assis ici, j'avais l'impression que je ne pourrais plus me relever, congelé. L'hiver était rude. Je reniflai, maudissant en silence mes patrouilleurs qui semblaient prendre un temps fou à arriver. J'avais hâte de partir pour me réchauffer et dégourdir un peu mes pattes ankylosées par le froid. Je jetai un bref coup d'oeil vers le tas de gibier, coup d'oeil que je regrettai ensuite. Les maigres et rares bouts viande qui se trouvaient là me donnait encore plus faim, et je me sentais encore plus coupable de ne pas nourrir mon Clan correctement. Tout le monde avait le ventre vide. Mais bon, je ne contrôle pas la météo, alors ce n'est pas mon problème.

Alors que j'allais rappeler mes guerriers, cette fois avec plus d'autorité, ils se pointèrent. Prince des Embruns, Mystère de la Galaxie ainsi que son apprenti, Nuage de l'Escargot. Très bien. J'avais bien choisi mes guerriers. Sans dire un mot, je me retournai et sorti du camp, leur ordonnant de me suivre d'un bref battement de queue.

Pendant que je les dirigeais en silence vers le lieu que je voulais patrouiller, je me laissai dériver dans mes réflexions, dans porter aucune importance à leur conversation.

Prince des Embruns... un sombre matou auquel j'aimerais bien me frotter. Non, sérieusement. Je me souviens qu'il est arrivé ici sous le nom de Nuage des Embruns. Il a fait son entraînement en même temps que moi. Et bien que nous aillons toujours partagé notre tanière, je ne m'étais jamais vraiment intéressé à lui. Ses origines me répugnaient, et puis... je ne le connaissais pas. Je ne voulais pas gaspiller mes mots pour lui, et je pense que c'était réciproque. Au fond, peut-être qu'on s'est comprit. Peut-être que je devrais me rapprocher de lui. Peut-être. Je pourrais en apprendre beaucoup de ce matou Et en même temps, quelque chose chez lui me fait frissonner. Quelque chose que je ne saurais dire. Quelque chose le ronge de l'intérieur, un flamme danse au fond de ses yeux, au tout profond de lui. Je la sens. Et puis... c'est un ancien membre du Clan de l'Ombre. Ne jamais se fier à ces sales rapaces.
Je ne peux cependant nier qu'il est un excellent guerrier, loyal aux Ventards. Il me ressemble, au fond.

Mystère de la Galaxie. Un guerrier qui n'a jamais su attirer mon attention, pas avant qu'il ne ramène le reste de sa famille, du moins. Depuis, j'ai de la difficulté à le supporter. Il me rend malade. Je suis malade de lui, parce que je suis affreusement jaloux de ce qu'il a su accomplir. Ramener sa famille chez lui, toute sa famille. Ses enfants, sa compagne, dans son clan, malgré les origines de celle-ci. Pourquoi n'est-ce pas si facile, pour moi?

Nuage d'Escargot n'étant qu'un apprenti, il ne m'intéresse pas particulièrement. Il reste un gosse. Et moi les gosses, ça me dérange. Toutefois, j'aimerais bien l'évaluer un jour. Il semble avoir du potentiel, le petit. Il est vaillant.

Je revins parmi les mortels, me souvenant soudainement que nous étions en patouille. Heureusement, nous n'étions pas encore arrivé, j'aurai peut-être omis de m'arrêter, dans mon songe éveillé. Ça m'aurait valu une belle chute. Barf... ça aurait pu être amusant après tout. Tomber.
D'ailleurs, parlant de chute...
Je redresse la tête vers le haut dans l'espoir de faire porter ma voix un peu plus vers mes guerriers qui marchent derrière moi.

« Je veux aller vérifier les gorges. Étoile de la Tigresse à déjà inspecté le ruisseau avec sa patrouille d'évaluation, je veux voir l'état du niveau de l'eau des gorges. Avec la sécheresse, ça a pu causer certains dégâts. D'ailleurs, une fois là-bas, je veux qu'on se sépare pour évaluer les conséquences de l'incendie. Nous sommes là pour ça après tout. Et puis on y trouvera peut-être des plantes pour Doux Parfum ou bien... qui sait, quelques lapins. »

Je préférai  ne pas trop penser aux lapins sachant très bien qu'il n'y en aurait pas. Mais que dit-on déjà? ''L'espoir fait vivre''... Quelle idée stupide. L'espoir, c'est juste une façon de se blesser. De se faire mal.

Je continuai le reste du trajet en silence, maudissant tout ce qui peut ressembler à de la neige.

Mystère de la Galaxie ouvrit les yeux. Quelqu'un venait de l'appeler avec force. Qui cela pouvait bien être ? Sans doutes Constellation du Tigre pour la patrouille. Le guerrier au pelage tigré ne voulait pas croire que c'était lui, trop bien installé dans son nid de mousse. Il referma alors ses yeux ambrés et s'endormit. Pourtant la voix continuait d'appeler les participants de la patrouille. Agacé, le félin se leva, se donna un léger coup de langue sur le poitrail et sortit dehors. Dehors, le vent glacé soufflait avec force, ce qui bloqua la respiration du guerrier. Son ventre gargouilla mais lorsqu'il regarda la pile de gibier il eut une grimace de déception. Cela faisait déjà plusieurs temps que les proies se faisaient de plus en plus rare. L'Hiver était la saison la plus destructrice de toutes les saisons. Ses yeux se dirigèrent vers la sortie du camp où il vit le lieutenant du Clan du Vent attendre ses guerriers. Mystère de la Galaxie se hâta de le rejoindre. Il était le dernier arrivé visiblement. Mais il ne comptait pas s'excuser, après tout ce que ses camarades ont osé dire sur sa famille arrivée depuis peu ici.
La patrouille était dirigée par Constellation du Tigre, le lieutenant du clan. Mystère de la Galaxie le trouvait, avant, sympathique d'apparence même si ils ne s'étaient jamais vraiment parlés mais depuis que Pureté des Iris, la compagne du guerrier, et ses autres petits étaient arrivés au camp du Vent, le grand félin regardait de travers son camarade. Il y avait Prince des Embruns, un félin plutôt mystérieux et discret. Mystère de la Galaxie et lui s'étaient réellement parlés qu'une seule fois seulement. Le dernier participant n'était d'autre que son apprenti, Nuage de l'Escargot. Cela faisait plaisir à l'aîné qu'il participe à la même patrouille que lui, comme ça il pourrait le surveiller.
Constellation du Tigre remarqua que tout le monde était prêt, alors il sortit du camp d'un geste de la queue pour inciter ses camarades à le suivre. La patrouille marchait en silence, le lieutenant en tête, Mystère de la Galaxie à sa suite. Le félin aurait préféré rester au camp du Vent, au moins il ne faisait pas autant froid qu'ici. Il tourna la tête et regarda son apprenti, marchant lui aussi sans rien dire. La tension était à son comble ici. Il fallait que tout le monde se motive pour passer cette dure période ensemble. Après tout, ce n'était qu'une seule fois par an. Le guerrier souffla et un nuage glacé sortir de sa gueule. La température continuait encore et encore à se rafraîchir. Il avait, clairement, mais il gardait ça pour lui. Désormais il avait une famille à protéger alors il ne voulait surtout pas les inquiéter.
Le lieutenant marchait toujours en tête, traversant la Lande sans broncher. Soudain, il bifurqua à droite et quitta ce lieu exposé au vent hivernal. Mystère de la Galaxie fut bien content de ne plus entendre le hurlement des rafales de vent dans ses oreilles. Constellation du Tigre brisa enfin ce silence de glace, en parlant avec force pour que tout le monde entende ce qu'il avait à dire :

« Je veux aller vérifier les gorges. Étoile de la Tigresse à déjà inspecté le ruisseau avec sa patrouille d'évaluation, je veux voir l'état du niveau de l'eau des gorges. Avec la sécheresse, ça a pu causer certains dégâts. D'ailleurs, une fois là-bas, je veux qu'on se sépare pour évaluer les conséquences de l'incendie. Nous sommes là pour ça après tout. Et puis on y trouvera peut-être des plantes pour Doux Parfum ou bien... qui sait, quelques lapins. »

Les Gorges ? Mystère de la Galaxie tourna doucement sa tête vers son apprenti, ne voulant pas attirer l'attention des autres patrouilleurs. Le félin ralentit l'allure, lançant passer Prince des Embruns devant eux. Le mentor murmura tout doucement dans l'oreille de Nuage de l'Escargot :

« Pas un mot sur ce que l'on a fait l'autre jour aux Gorges, est-ce clair ? »

Si l'apprenti venait à déclarer ce que Mystère de la Galaxie avait fait là-bas, Etoile de la Tigresse pourrait le priver d'apprentissage durant toute sa vie de guerrier.

ϟ UNEARTH
Oft evil will shall evil mar.



Encore un cauchemar. Encore un de ces innombrables cauchemars. Je m’éveille, le souffle court, les yeux larmoyants et le cœur battant à tout rompre. Je reste étendu sur le sol de la tanière quelques instants avant de me rappeler que tout est fini. Il est mort, je l’ai tué, et pourtant, cette simple pensée ne me procure aucun soulagement, aucune satisfaction. Bien au contraire, et comme chaque fois que j’y pense depuis qu’il a péri, je me prends à frémir, comme si la mort elle-même me rappelait que je suis lâche, impuissant, résigné, condamné et que je finirai tôt ou tard par rejoindre mon ordure de demi-frère.

Tu seras méprisable, imbuvable, insupportable.

Après m’être levé, je me secoue pour couper court à mes pensées et me dirige d’un pas traînant en direction du ruisseau, en quête de fraîcheur. Le matin a fini par soumettre le monde à son joug impérieux. Quelques rayons se faufilent à travers les feuilles des arbres, ce qui n’empêche pas la clairière de rester foncièrement obscure. Je contemple un instant mon reflet, penché au-dessus de l’eau. Ma bouche se tord en une lippe cauteleuse. Une grimace de dégoût, du dégoût que m’inspire mon existence. Après tout, je suis faible. Je ne suis pas courageux. Au cours de ma vie, j’ai appris que, parfois, le courage, c'est juste de serrer les dents contre la souffrance, et de s'efforcer d'avancer au jour le jour, lentement, vers une vie meilleure. Alors oui, je maintiens ce que je dis. Je n’ai rien de courageux en moi. Je reste obstinément focalisé sur les événements du passé. Avant, je savais que je ne pourrais pas vivre tant que je n’aurais pas fait couler le sang. Son sang. Mais malgré ça, j’avais une volonté de fer et elle ne faiblissait pas. Je m’étais promis de le tuer, tout en me rappelant des paroles qu’un ancien m’avait soufflées, un jour pluvieux, après que je me sois confié à lui. Je m’en souvenais comme si c’était hier. La colère décuple ta puissance mais si tu la laisses te dominer, elle va te détruire. Chaque fois que je me la rappelais, j’inspirais un grand coup. Il avait raison. Je devais maîtriser la bête qui, en moi, grondait, rugissait et se débattait. Je ne devais pas laisser Tobias aller et venir comme bon lui semblait. Il en allait de ma propre vie. De ma misérable existence.
J'expire longuement. Aujourd’hui encore, bien des lunes après, bien des lunes après sa mort, je continue à y penser. Ça me hante, ça me taraude. Je ne sais pas pourquoi mais je ne suis pas soulagé. Bien au contraire, j’ai peur. De quoi, je l’ignore. Mais il ne se passe pas un jour sans qu’un frisson d’effroi ne vienne parcourir mon corps, sans qu’une idée noire ne me traverse l’esprit.

J’ai peur. J’ai honte.

Un appel retentit en échos au cœur de la forêt et coupe court à mes pensées. Sans attendre, je détale à toute allure en direction du camp. L’espace d’un instant, je me sens libre. J’ai envie de poursuivre cette course, de continuer à entendre le martèlement de mes pattes sur l’herbe gelée, et pourtant, je dois retomber dans l’ineffable réalité. Le lieutenant, Constellation du Tigre, droit et fier comme à son habitude, m’attend là à l’orée de notre repaire, en compagnie de Mystère de la Galaxie et de son apprenti, Nuage de l’Escargot. Je m’arrête en arrivant à leur hauteur et j’incline légèrement la tête en guise de salut. Je suppose que j’ai été désigné pour partir en patrouille avec eux alors autant mettre toutes les chances de mon côté pour que tout se passe bien, même si aucun ne semble m’apprécier. Tous voient en moi un guerrier mystérieux et discret, au lourd passé, mais personne n’a jamais cherché à me comprendre. Personne ne l’a jamais voulu. Tous se tiennent loin, à l’écart de moi, pour me fixer de leurs petits yeux vipérins, pour me jauger. Je suis sûr qu’ils me voient encore comme indigne de confiance, même après tout ce temps passé dans le clan du Vent.
Mais ils n’ont peut-être pas tort. Je ne suis pas né ici, j’ai délibérément quitté mon clan natal et pourtant, je sais au fond de moi que ma place est là-bas. Je leur prête toujours allégeance, même après toutes ces lunes, et je ne peux pas m’empêcher de penser à ma famille, qui y vit encore. Princesse des Roses, ma sœur, Somptuosité Imparfaite, mon père et Prosopopée Onirique, ma mère. Nuage de la Louve, également, qui partageait à l’époque mes jeux d’enfants, aujourd’hui devenue la cheffe du clan. Tous me manquent.
Sauf un. Folie Noire. Le demi-frère que j’ai toujours eu honte d’avoir, celui qui m’a fait subir moults sévices mais qui en a aussi payé le prix. Aujourd’hui, il est enseveli six pieds sous terre et plus jamais il ne brisera la vie de quelqu’un, comme il l’a fait avec moi.

• • •

Le lieutenant, d’un signe de la queue, nous invite à le suivre et je prends le pas aux côtés de mes compagnons. Silencieux comme à l’accoutumée, je marche sur les traces de Constellation du Tigre, perdu dans les méandres de mon esprit. Personne ne bronche, tout est calme. Je ne sais pas vraiment ce qui nous attend et une part de moi ne veut pas le savoir. Étrangement, je redoute ce qui va se passer, parce que j’ai comme la terrible impression que le danger plane au-dessus de nos têtes et menace de nous tomber dessus à tout instant.

Mais n’est-ce pas plutôt-moi qui représente un risque ? Tobias est un fléau pour tout le monde.

Bientôt, j’entends la rivière en furie qui gronde au fond d’un canyon, dans un tumulte assourdissant. Là, le lieutenant qui semblait lui aussi avoir divagué le temps du trajet reprend ses esprits et nous explique la raison de notre venue. « Je veux aller vérifier les Gorges. Étoile de la Tigresse a déjà inspecté le ruisseau avec sa patrouille d'évaluation, je veux voir l'état du niveau de l'eau des Gorges. Avec la sécheresse, ça a pu causer certains dégâts. D'ailleurs, une fois là-bas, je veux qu'on se sépare pour évaluer les conséquences de l'incendie. Nous sommes là pour ça après tout. Et puis on y trouvera peut-être des plantes pour Doux Parfum ou bien... qui sait, quelques lapins. » J’acquiesce, toujours sans mot dire, plus silencieux que jamais, mais toujours avec ce pressentiment, ce mauvais pressentiment qui me hante et me colle à la peau depuis que nous avons quitté le camp.

Après tout, qui sait ce qui nous attend ?
Ici-bas, le danger, le sang et la mort sont omniprésents. Nul n’est à l’abri.

Le trajet ne fut plus très long avant d'arriver aux gorges, mais avoir su, j'aurais préféré mettre une plus grande distance entre nous et cet endroit de malheur.
À peine arrivés qu'une odeur immonde me colla aux narines : l'odeur de la mort. Bien que ténue, elle semblait d'autant plus atroce. Mes poils se hérissèrent sur mon échine et je stoppai net, signalant à mes guerriers de faire de même d'un sec mouvement de queue. Je fronçai le museau, dégoûté par le parfum environnant. Je détalai la petite bute sur laquelle nous nous étions arrêtés pour trouver la source de l'odeur, m'assurant que mes guerriers faisaient de même. Une fois près des gorges, je grognai froidement, sans émotion: « Trouvez-moi la charogne qui dégage cette odeur de mort avant que ça ne fasse fuir tout le gibier. » Sans plus attendre, je me mis à la recherche de la carcasse, scrutant la neige des environs. J'essayai de ne pas trop humer l'air, mais malheureusement je du m'en remettre à mon odorat, puisque la nouvelle couche de neige de la nuit précédente avait du enterrer les preuves.

Je fini par m'arrêter devant un petit monticule de neige, de là où l'odeur semblait émaner. Je rappelai mes guerriers éparpillés rapidement, puis lorsqu'ils furent tous à mes côtés, je me mis à déblayer la fraîche poudreuse dans un silence remplit de malaise. Puis finalement, je donnai un dernier coup de patte avant de voir apparaître quelque chose de noir contraster avec le cercueil blanc qui l'entourait. « Merde. C'est une oreille... » soufflai-je, sous le choc. Une oreille de chat. Le froid l'avait brûlée, massacrée. « VITE! » hurlai-je pendant que je me mettais à creuser frénétiquement, avec l'énergie du désespoir. « AIDEZ-MOI À LE SORTIR DE LÀ! » Pendant que nous nous affairions tous à cette horrible besogne je ne pouvais que me questionner. Était-ce un membre de notre clan? Qui manquait à l'appel ce matin? Je ne savais pas moi! Je ne recensais pas chaque guerrier tous les matins, comment pouvais-je savoir!? Était-il mort? Probablement.

Bientôt le corps fut complètement déterré et je pus reconnaître de qui il s'agissait. Anarchie de la Chimère. Apothéose. Bien qu'elle ne s'avéra pas être une guerrière de notre clan, je ne fus qu'encore moins rassuré. Un frisson parcouru ma colonne pendant que j'imaginais les dommages de cette découverte ferait à notre clan. Je me retournai lentement vers les membres de ma patrouille, pour vérifier à leur expression si ils savaient de qui il s'agissait. Difficile à dire, puisqu'ils avaient tous l'air choqués. Je fermai les yeux puis soupirait sombrement. « Cette chatte n'est pas n'importe qui. » commençai-je gravement. « Elle s'appelle Anarchie de la Chimère. Du moins... s'appelait. Elle est la lieutenante du Clan de l'Apothéose. Ces chats près de la ville. Ils sont dangereux. Et si ils découvrent que le corps de LEUR lieutenant se trouve sur NOTRE territoire, nous sommes morts. » sifflai-je, sentant la rage monter en moi. Je connaissais Anarchie de la Chimère parce que son Clan, le Clan de l'Apothéose s'était une fois pointé à l'une de nos assemblées. Leur passage, bien que pacifique, m'avait laissé un atroce goût dans la bouche. Ils étaient dangereux. Je le savais, tout le monde le savait. Je me retournai à nouveau vers le corps pour l'observer. Quelque chose d'étrange au niveau de sa gorge attira mon attention. Je me rapprochai, arc-boutant mon corps par dessus le cadavre. Je retins mon souffle lorsque je compris de quoi il s'agissait. Je me redressai et d'une vois grave je grondai : « Nous sommes officiellement morts. »

CONTROL FREAK

Constellation du Tigre & Mystère de la Galaxie
Nuage de l'Escargot & Prince des Embruns

Reprenant une marche réticente, le jeune novice commençait à cogiter au plus profondes de ses pensées. La réaction de son mentor était pourtant strict et claire, il ne devait dire aucun mot, étranglé par le mensonge et le doute. Étant le dernier de la file, il suivait avec difficulté les trois grands félins, présentables, eux, sous les cieux et à la corpulence musclée. Ses yeux étaient rivés sur le sol, prenant grand soin de savoir où il mettait les pattes, une devant l’autre, évitant toute chute envisageable sur un terrain retourné tel que celui-ci. Malencontreusement, Nuage de l’Escargot n’avait pas vu le geste d’arrêt du lieutenant et, s’excusant, il bouscula maladroitement Prince des Embruns. Le simple fait que le guerrier oserait tourner le regard vers le jeune mâle, il en était déjà gêné, mourant d’envie de s’enfuir dans un trou de souris. Reprenant ses esprits, il sentait une légère odeur de dégoût. Une odeur nauséabonde qui pouvait faire fuir n’importe quel prédateur. Une odeur de mort, comme pensait Constellation du Tigre. « Trouvez-moi la charogne qui dégage cette odeur de mort avant que ça ne fasse fuir tout le gibier. » ordonna-t-il sur un ton sévère. Il était impossible de négocier avec ce portrait qui tenait fermement l’autorité. Un jour, elle finira par lui causer des creux sur le museau. Sans qu’il le répète une deuxième fois, l’apprenti s’exécuta. Mettant en œuvre son flair proche du sol, il flairait sans trop se concentrer sur ce qu’il recherchait exactement. En soit, il faisait semblant. Être entouré de guerriers expérimentés le gênait, il ne se sentait pas à sa place, comme un intrus parmi les ravissants paons. Le vilain petit canard de la bande. La touche de noir sur un fond blanc. Il priait pour mettre fin à ce numéro et, comme si les cieux l’avait écouté, le lieutenant du clan interrompra la recherche en hurlant à gorge déployée. « VITE ! AIDEZ-MOI À LE SORTIR DE LÀ ! » Voyant les autres se jeter vers le meneur, Nuage de l’Escargot fit de même sans trop se poser de question. Lorsqu’il s’approcha à peine du trou qui commençait à prendre forme peu à peu, une vague de cette odeur immonde lui monta jusqu’à la tête. Il ne put s’empêcher de balancer un « beurk » au fond de sa pensée. Sans se fixer sur cette empyreume qui venait jusqu’à piquer les yeux, il se mit à creuser aussi. Encore et encore, scrutant peu à peu le corps sans vie qu’ils venaient de découvrir. Il lisait sur les museaux des guerriers une inquiétude repoussante. D’ailleurs, sur le sien aussi on pouvait la lire. Une peur bleue pointait également le bout de son nez. Petit, jeune, et voilà qu’il se retrouvait face à son premier corps.

Lorsque le félin déterré avait été assez découvert, Constellation du Tigre ne semblait pas en revenir. Comme… choqué par l’être méconnaissable. Par curiosité, le novice posa son regard sur Mystère de la Galaxie puis Prince des Embruns. Ils devaient, eux aussi, sûrement savoir de qui il s’agissait. Il ne comprenait rien mais voulait bien en savoir plus. Qui était-ce ? D’où venait-elle ? Il possédait des questions auxquelles il voulait, exigeait des réponses. « Cette chatte n'est pas n'importe qui. Elle s'appelle Anarchie de la Chimère. Du moins... s'appelait. Elle est la lieutenante du Clan de l'Apothéose. Ces chats près de la ville. Ils sont dangereux. Et si ils découvrent que le corps de LEUR lieutenant se trouve sur NOTRE territoire, nous sommes morts. » annonça-t-il. Le jeune mâle connaissait le clan de l’Apothéose. Il était né là-bas, sa sœur y est restée depuis. Les pupilles écarquillées face à cette nouvelle, il n’avait pas tout de suite ressentit l’impact que cela allait amener plus tard. Être en guerre avec le clan de sa sœur ? Eux, innocents de ces actes, aillant également eu pour opportunité de se retrouver ? C’était impensable. Il reposa attentivement son regard sur le lieutenant, ce dernier allant scruter le coup de cette féline, piqué par la curiosité nourrie avec avidité. « Nous sommes officiellement morts. » Nuage de l’Escargot voulait absolument savoir ce qu’elle avait au cou. Pourquoi dire que nous officiellement mort ? Le clan serait-il en danger durant les prochains jours ? Sous l’emprise de la panique, mais également sous l’illusion éphémère produisant la mort en face de ses yeux, il recula de deux pas. Qu’allaient-ils faire maintenant le corps retrouvé ? Prier pour que cela ne se remarque jamais, vivant dans le doute, la crainte et la peur ? Tout en espérant qu’aucun problème ne vienne s’écraser faiblement à l’entrée du clan. L’apprenti s’apprêtait à demander ce qu’il y avait sur son cou, mais Mystère de la Galaxie le rattrapa aussi vite que possible, le coupant dans son élancé. « Par les guerriers de jadis, c'est impossible. Il faut que l'on trouve une solution, on ne peut pas se permettre de laisser le cadavre ici il faut... » C’était bel et bien la première fois qu’il voyait son mentor dans cet état. Lui qui semblait si courageux à traverser les gorges déchainée, aujourd’hui, il était misérablement désarmé face à ça. Il avait laissé la phrase en suspens, comme s’il attendait que quelqu’un d’autre reprenne la parole, portant avec sûreté les derniers mots. « ... L'amené au clan et découvrir qui a fait ça. On ne peut pas la laisser ici, quelqu'un d'autre finira par la découvrir à nouveau. » Il avait eu cette folle impression qu’un autre esprit s’était emparé de sa conscience pour dire des choses pareilles. Le petit devenait grand un peu plus chaque jour, il voulait et se forçait à donner une image de grand, d’adulte. Fixant le corps froid un court instant, il finit par relever les yeux et regarder à quelque part autour de lui, s’arrêtant net sur un point visé. Que penserait Nuage des Danses. Ce qu’il redoutait le plus, c’était d’avoir l’obligation d’entrer en guerre avec son clan d’origine. Une crainte se cachait sous ce corps fragile et ce regard si mystérieux et réfléchit. La crainte de devoir la revoir en furie, ne portant aucune pitié.

ϟ  UNEARTH
Oft evil will shall evil mar.



Nous poursuivons notre chemin sans embûche, dans le silence le plus total, jusqu'à ce que le lieutenant, qui ouvre la marche, s'arrête sans prévenir. D'un mouvement sec de la queue, il nous intime de faire de même et nous obtempérons sans broncher. C'est alors qu'une odeur nauséabonde me prend à la gorge : je retrousse mes babines en une grimace de dégoût et c'est à peine si je fais attention à Nuage de l'Escargot qui me bouscule maladroitement.  « Trouvez-moi la charogne qui dégage cette odeur de mort avant que ça ne fasse fuir tout le gibier ! » ordonne alors Constellation du Tigre.
Mû par une peur palpable, le cœur rongé par l'appréhension, je hume l'air et je gratte la neige tandis que j'imagine sans peine ce que nous finirons par trouver. C'est la mort qui nous attend, prête à nous accueillir à bras ouverts. C'est l'odeur de la mort que je sens là, prête à nous dévoiler son rictus malfaisant. C'est la mort que nous trouverons, et je sais d'ores et déjà que je ne me suis pas trompé quand Constellation du Tigre nous appelle dans un hurlement rempli de crainte.  « VITE ! AIDEZ-MOI À LE SORTIR DE LÀ! » Je le vois qui creuse avec frénésie, et je devine ce qu'il a trouvé avant même de m'en approcher.

Sans plus attendre, je rejoins mon lieutenant pour lui prêter moins forte. Je le sens, chacun de nous a peur, chacun de nous ressent cette crainte qui nous consume et nous dévore les entrailles. Chacun de nous se demande qui est enterré là et finalement, la vérité a tôt fait de s'apposer à nous. « Cette chatte n'est pas n'importe qui. Elle s'appelle Anarchie de la Chimère. Du moins... s'appelait. Elle est la lieutenante du Clan de l'Apothéose. Ces chats près de la ville. Ils sont dangereux. Et si ils découvrent que le corps de LEUR lieutenant se trouve sur NOTRE territoire, nous sommes morts » souffle le lieutenant dans un soupir, alors que nous sommes tous là, réunis autour du cadavre de la guerrière.
Le corps déterré, je reste là, imperturbable, à regarder celle qui appuyait autrefois Spectre du Cerf, le meneur de l'Apothéose. Je l'avais déjà entrevue à quelques Assemblées, mais je ne lui avais jamais adressé la parole. Je ne l'avais jamais connue, et je l'avais encore moins apprécié parce que je haïssais les chats de son clan. Mais malgré mon air froid et impassible, sa mort m'affecte plus que quiconque pourrait le croire. Je sais déjà tout ce que cela implique pour notre clan, et un frisson me parcoure quand Constellation du Tigre gronde d'une voix sévère:  « Nous sommes officiellement morts. » A ces mots, je me détourne de la carcasse et je finis par réaliser que si je n'en laisse rien paraître, j'ai la terrible sensation qu’une fissure vient de s’ouvrir en moi, et qu’elle s’étend si rapidement qu’elle va me briser en deux.

Les remarques commencent à fuser, mais c'est à peine si j'y prête attention. J'ai d'ores et déjà l'impression que le ciel va nous tomber sur la tête, d'une minute à l'autre. Nous sommes morts, tous autant que nous sommes.
Au bout de quelques minutes pourtant, la voix du jeune apprenti qui nous accompagne s'élève et c'est, abasourdi, que je l'écoute nous proposer de ramener le corps au camp. Je me retourne lentement et le transperce de mes yeux vairons. Ma voix est froide, dure comme la roche mais j'ai de la peine à contenir les émotions qui bouillonnent en moi et les pensées qui se bousculent dans mon esprit : « si nous amenons le corps au camp, la nouvelle va se répandre comme une traînée de poudre, et le clan de l'Apothéose va nous tenir pour responsable de la mort de leur chancelière. » Je serre les crocs et je me crispe, avant de conclure. « Je ne sais pas qui a fait ça... mais qui que ce soit, il devait avoir la ferme intention de déclencher une guerre. »