.: DOESTAR :. CLAN'S GATHERING

Une chaleur étouffante règne sur le camp. Il est pourtant encore tôt, et le soleil n'est même pas encore au dessus des arbres, mais l'air est lourd, pesant sur mes poumons comme un étau. Harassée, je demeure aussi immobile que possible, étendue et haletante dans un coin d'ombre au pied du promontoire. Mon pelage est poisseux de sueur et colle désagréablement à ma peau. Quelle fichue journée. J'étais si heureuse de retrouver la belle saison, et voilà qu'elle nous écrase comme de vulgaire insectes sous ses ardeurs. Voilà longtemps que je n'ai vu telle coup de chaud. Même la nuit ne suffit plus à rafraichir l'ambiance, et le ruisseau qui coule près du camp est sur le point de se tarir. Un peu plus tôt ce matin, j'ai emmené mes chatons s'y désaltérer. Le courant autrefois vigoureux pour un si petit cours d'eau est à présent réduit à quelques filets d'eau qui creuse faiblement le sable. La langue râpe d'ailleurs souvent le fond lorsque l'on lape, et je ne peux m'empêcher de grimacer au souvenir du goût de terre qui a envahit ma bouche à ce moment-là. Bientôt il faudra rejoindre la rivière pour boire, les petits et les anciens ne pourront pas faire le voyage, et nous devront demander son accord au clan de la Rivière. Quémander la pitié d'Etoile Majestueuse me répugne, mon clan ne peut paraître faible. Et pourtant... Sans eau nous n'iront pas bien loin, surtout par cette chaleur. Les reines, moi y compris, ont besoin de boire, sinon comment pourront-elle produire assez de lait pour leur enfants ? Sans parler des guerriers qui s'épuisent déjà trop rapidement. Inconsciemment, je griffe le sol avec irritation. Non nous ne devons pas sembler faible, mais jusqu'où pouvons nous nous entêter à rester fier ?

Je pousse un soupire las, et consent finalement à me lever. Petite Cannelle et Petit Gingembre sont consignés au frais dans ma tanière jusqu'au soir. Ils s'ennuient, je le sais, mais dehors ils se fatiguent en quelques instants, et je ne peux risquer de les exposer à la violence du soleil. Pour le moment, il est plus sage de les laisser à l'ombre. Le promontoire se dresse devant moi telle une montagne infranchissable. J'ai si chaud que l'idée d'y grimper m'assomme déjà. Néanmoins si j'attend encore, l'astre diurne sera haut, et inondera le camp de sa lumière. Bientôt la roche sera bouillante et brûlera mes coussinets, autant profiter qu'il soit encore à l'ombre des cimes. Je me ramasse sur moi même et bondit au sommet de mon perchoir. Le clan s'active mollement. Ici et là, des chasseurs vont et viennent, se saluent, partagent une proie. Les reines font jouer leur petits au frais tant qu'elles le peuvent encore, tandis qu'un apprenti rechignent à aller s'entrainer par telle canicule. D'un geste de la queue je fais signe à son mentor d'attendre pour quitter le camp, signifiant par la même que j'ai une annonce à faire. Il acquiesce en clignant des yeux et vient s'assoir au pied du rocher. Certains l'imitent, ce qui ne m'empêche pas de lancer l'appel rituel :
« Que tout ceux qui sont en âge de chasser s'approchent pour une assemblée du clan. »  
Mon miaulement résonne dans la clairière, et un à un les buissons commencent à s'agiter. Une nuée de fourrure multicolore en émerge, et bientôt le clan entier se trouve installé en arc de cercle à mes pattes, le museau tendu vers moi. Je me redresse un peu pour que ma voix porte bien.
« Mes chers compagnons, l'heure est grave. Le niveau des ruisseaux qui parcourent le territoire est au plus bas, et nous n'auront bientôt plus d'autres solutions que de demander la permission à Etoile Majestueuse de nous abreuver dans la rivière. Je ne cache pas que cette extrémité ne me réjouit pas le moins du monde. »
Je marque un pause, observant tour à tour les félins rassemblés.
« Les temps sont durs, même si les proies sont nombreuses, nous souffrons de la chaleur et de la soif. Cependant nous devons garder la tête haute. Il est temps pour moi de baptiser quelques nouveaux apprentis et guerriers. »
Un murmure d'excitation parcoure les rangs des jeunes chats. J'émet un petit ronron amusé avant de me pencher vers la foule.
« Petite Fleur, Petit Bourgeon, Petite Théorie, Petit Apôtre et Petite Lionne, approchez mes petits. »
Les chatons obtempérèrent, la fourrure gonflée. Je me penche vers la petite femelle tricolore.
« Petite Fleur, à partir de ce jour et jusqu'à ce que tu deviennes guerrière, on te connaitra sous le nom de Nuage de Fleur. Plume Givrée, tu es une guerrière loyale et patiente, je te confie l'entrainement de cette jeune chatte. »
Je laisse le duo se saluer avant de me tourner vers le félin suivant. Le fils de Plume de Braise, Petit Bourgeon.
« Petit Bourgeon, à partir de ce jour et jusqu'à ton baptême de guerrier, tu te nommeras Nuage du Bourgeon. Aiguille de Sapin sera ton mentor, c'est une chasseuse émérite et sage, je ne doute pas qu'elle saura t'enseigner tout ce qu'elle a appris. »
Ne restait plus que les trois chatons d'Addiction Ephémère. Quatre, ils auraient dû être quatre, pourtant Petite Plante avait disparue. J'ai un pincement au cœur en pensant au vide que cela a pû laisser pour sa fratrie. Les jeunes félins vont devoir affronter cette douleur et cette incompréhention pour continuer à avancer. Je me penche sur eux.
« Petite Théorie, à compter de ce jour et jusqu'à ton baptême de chasseur, tu seras connu sous le nom de Nuage des Théories. C'est Bruine du Matin qui t'entrainera. Je sais qu'elle est actuellement très prise avec ses chatons, cependant ils seront bientôt sevré et elle pourra plus aisément t'entrainer en les confiant à une autre reine. C'est une guerrière douce et attentionnée, et il est grandement temps pour elle de recevoir son premier apprenti. »
La reine calico se détacha de sa portée pour venir saluer avec enthousiasme son novice.
« Petit Apôtre, dès aujourd'hui et jusqu'au jour de ton baptême, tu te nommeras Nuage d'Apôtre. C'est Senteur de Menthe, une guerrière courageuse et vive qui t'enseignera comment devenir un guerrier hors-pair. Fais de ton mieux pour progresser ! »
Je pose mon regard sur ma sœur qui fend les rangs pour rejoindre le chaton, avant de me tourner vers le félin restant. Petite Lionne. Son cas est plus compliqué.
« Petite Lionne, tu as fait le vœu de devenir apprentie-guérisseuse, et Nymphe Olympienne aurait dû être ton mentor. Nul n'aurait pu prévoir sa mort, et te voilà sans mentor. Néanmoins tu ne peux demeurer dans la pouponnière alors que tes frères sont déjà novice. Je te nomme donc apprentie-guérisseuse, dans l'attente que le clan des Etoiles ne nous désigne un nouveau soigneur. Sans doute viendra-t-il te visite en rêve pour de donner tes premiers enseignements. Si aucun signe n'arrive d'ici là, je t'accompagnerais à la Pierre de Lune à la demi-lune pour t'introniser auprès de nos ancêtres et de tes homologues des autres clans. A compter de ce jour et jusqu'à ce que tu sois baptisée guérisseuse du clan, on te connaitra sous le nom de Nuage de Lionnes, fait de ton mieux pour servir tes camarades. »
Je m'incline devant la jeune chatte, sincèrement désolée qu'elle soit ainsi privée de mentor. L'absence de guérisseur handicape grandement le clan, et bien que Guépard des Neiges, devenus anciens, soit toujours disponible pour aider en cas d'urgence, il devient impératif de trouver un nouveau soigneur.
« Nuage de Pureté, j'ai également un mentor à t'attribuer. Douce Lumière s'occupera dès à présent de ton entrainement. C'est une chasseuse douée et rusée, je ne doute pas qu'elle te prodiguera un enseignement de qualité. »
Je pivote ensuite vers les apprentis, cherchant des yeux mes deux élues.
« J'ai également deux nouveaux guerriers à nommer. Nuage d'Ange et Nuage d'Hirondelle se sont entrainé dur au cours des lunes passées, et elles sont à présent apte à devenir des chasseuse à part entière du clan du Tonnerre. Nuage d'Ange, à partir de ce jour tu te nommeras Aile d'Ange. Nos ancêtres rendent hommage à ton assiduité et ta patience, et nous t'accueillons dans nos rangs en tant que guerrière à part entière. Nuage d'Hirondelle, je te rebaptise Nuée d'Hirondelle. Le clan des Etoiles reconnaît ta détermination et ton courage, et nous t'accueillons également dans nos rangs en tant que chasseuse. Vous deux veillerez cette nuit sur le sommeil de vos compagnons, comme le veut le code du guerrier. »
Une clameur monte parmi les félins qui se mettent à acclamer les félins fraichement baptisés. Je me joins de bon cœur à eux, laissant libre cours à leur joie, avant de demander à nouveau le silence.
« Il va falloir organiser une patrouille pour aller rendre visite à Etoile Majestueuse dans les jours qui viennent, avant que l'eau ne disparaisse complètement du territoire. Essayez de ne pas vous attirer les foudres du clan de la Rivière, ne vous approchez pas trop de la frontière. S'ils nous en refusaient l'accès, tout serait fini. Je compte sur vous ! »

.: DOESTAR :. CLAN'S GATHERING

Je laisse le clan se disperser, songeuse, toujours perchée sur mon promontoire. Le soleil glisse doucement derrière les troncs, marbrant le sol par intermittences irrégulières. J'essaye d'oublier cette impression suffocante pour me concentrer sur mes camarades. Une patrouille, je dois dresser une patrouille. Des guerriers calme, posée, qui ne risque pas de froisser l'adversaire. Je soupire, l'idée de demander de l'aide me contrarie beaucoup, surtout alors que nous devrions prospérer. Que va penser le clan de la Rivière ? Pire, s'il nous interdisait l'accès au courant ? Inconsciemment je bas l'air de ma queue, agacée. Soudain, une ombre félin me fait loucher. Je tourne la tête pour apercevoir Fierté du Lion trottiner vers le promontoire, l'oeil déterminé. Le guerrier se ramasse au pied du rocher et monte pour me rejoindre. Je dois admettre qu'il a du culot, habituellement je suis la seule à monter ici, il aurait pu me demander de descendre. Je ne dis rien pourtant, contenant mon irritation. On est serré sur ce petit morceau de roche, il y a à peine la place pour deux chats, et le chasseur est plutôt baraqué. Agitant le bout de ma queue, j'attend qu'il prenne la parole, contemplant toujours assidument le camp. Les chatons de Bruine du Matin l'avait rejoint tandis qu'elle s'entretenait avec son nouvel apprenti. Elle semblait ravie de sa nomination. Plus loin, quelques apprenti guettaient l'arrivée de leur nouveaux camarades de tanière, impatients de leur faire découvrir leur nouveau chez-eux. Je suis coupée de mon observation par la voix rocailleuse de Fierté du Lion.

«  Etoile de la Biche ? Je me propose pour être le meneur de la futur patrouille, si tu veux bien. » 

C'est donc ça. Je secoue la tête et pose mon regard sur le félin.

« Je mènerais moi-même la patrouille, j'ai besoin de parler directement à Etoile Majestueuse.  Je miaule calmement. Viens, je vais convoquer les vétérans.

Je descends de mon perchoir d'un bond léger et vient me poster à l'ombre du promontoire, à distance respectueuse de ma tanière pour éviter que les deux petits fouineurs qui s'y trouvent ai l'envie de venir nous épier. Je me tapie dans le sable, invitant mon camarade à me rejoindre.

« J'aimerais que les vétérans du clan me rejoigne pour parler de la marche à suivre. »

Ma voix porte jusqu'au fond du camp. Les guerriers se redressent et s'approchent pour former un cercle. Je les fixe un à un, fière de compter dans mes rangs de si valeureux chasseur.

▬  Autrefois, il y avait un lac.

Le soleil était au zénith en cette belle journée. Il dardait sur les terres ses puissants rayons lumineux, embrasant les lieux d’une chaleur épouvantable à laquelle nul ne pouvait échapper. Pas même le grand sombre, dont la silhouette glissait sur le sol, avec une impression de lenteur infinie. Il filait à la manière d’un fantôme, errant sur un territoire qu’il ne connaissait que trop bien. Celui de son clan. Il tentait de se tenir droit et de paraître solide mais la terrible soif qu’il n’avait pu étancher depuis bien des jours l’en empêchait.
En quête d’un point d’eau qui lui permettrait de se rafraîchir, Secret des Océans scrutait les environs de ses yeux d’un bleu profond. Mais l’espoir n’était plus là, et la force l’avait quitté. Une sécheresse sans précédent, la pire sûrement qu’ait jamais connu le guerrier, s’était installée sur les terres et dépossédait les félins de leur énergie vitale. Étaient-ils destinés à mourir d’une façon aussi cruelle, agonisant sans même avoir pu recevoir une infime goutte d’eau ? Tout le laissait présager, et Secret des Océans, comme tant d’autres, aurait donné cher pour pouvoir enfin se désaltérer.
Le moindre effort était un véritable supplice pour le grand noir. D’un moment à l’autre, il pouvait défaillir et ne plus jamais se relever. En plus de ne pas avoir bu depuis des jours et des jours, il n’avait pas mangé non plus. Le gibier avait déserté, tout simplement.

Mais il se savait proche de son but. Ici, il y avait un lac. Un grand lac où il pourrait s’abreuver autant qu’il le voudrait. La pensée que lui aussi avait subi la sécheresse ne le traversa même pas. Pas même une seconde. Bientôt, il aurait étanché sa soif et tout cela ne serait qu’un souvenir lointain.
Malheureusement, non. Sa déception fut immense quand il remarqua qu’il n’y avait aucun point d’eau à l’horizon. Pourtant, et il en était sûr et certain, il y avait autrefois un lac. Il était persuadé que ce n’était pas le fruit de son imagination. Mais tout se bousculait dans sa tête. L’absence de ce lac qui aurait normalement dû se trouver là signait sa fin toute proche. Il ne pourrait pas rester éternellement déshydraté, il adviendrait bien un moment où la soif qu’il ressentait le vaincrait à jamais.
Sa respiration ralentit et il pila net, ses yeux fouillant désespérément et vainement la surface lisse qui se trouvait, auparavant, à cet endroit précis. Mais il n’y avait que de l’herbe brûlée par la chaleur accablante.

Un cri, un son strident s’échappe de ma bouche bée. L’hébétement m’enserre dans son carcan pour m’étouffer sans plus tarder. Suffocant et affligeant, je réussis non sans peine à m’extraire de ce tourment agonisant, hors d’haleine et ébahi par ma déveine.

Il se réveilla en sursaut, la respiration haletante. La soif était toujours aussi présente que dans son rêve mais, il le savait, le cauchemar ne faisait que commencer. Lentement, il se releva et s’extirpa de la tanière des guerriers. En un instant, il eut l’impression qu'un étau se resserrait sur lui, le comprimait, le faisait suffoquer, l'empêchait de respirer. Il lui a alors semblé que tout basculait autour de lui et que le sol lui-même s’ouvrait comme un gouffre béant. Il se sentit défaillir sans pour autant esquisser le moindre mouvement. La lumière l’aveuglait. Elle recouvrait ses yeux d’un voile blanc. Il ne sentait plus que la chaleur accablante du soleil sur sa peau et son cœur qui battait à tout rompre dans sa poitrine. Il aurait pu s’abreuver du mince filet d’eau qui coulait encore dans la rivière mais il le savait, les chatons en avaient plus besoin que lui.
Le miaulement d’Étoile de la Biche le sortit alors de sa torpeur léthargique. Le moment était venu pour une assemblée du clan. Las, il trouva quand même la force de  se glisser parmi l’attroupement de guerriers qui se forma  en un rien de temps.

« Mes chers compagnons, l'heure est grave. Le niveau des ruisseaux qui parcourent le territoire est au plus bas, et nous n'auront bientôt plus d'autres solutions que de demander la permission à Etoile Majestueuse de nous abreuver dans la rivière. Je ne cache pas que cette extrémité ne me réjouit pas le moins du monde. »

La voix de la meneuse retentit dans la clairière. A ces mots, Secret des Océans redressa vivement la tête. C’était impensable.  Ils ne pouvaient pas s’abaisser à un tel niveau. Il y avait une autre solution. Il voulut se lever pour protester mais Étoile de la Biche reprenait déjà la parole pour annoncer les baptêmes qui allaient avoir lieu. Le guerrier poussa un soupir et sombra de nouveau dans sa torpeur, écrasé par la chaleur. Il ne reprit ses esprits que quand  la meneuse intima de nouveau aux vétérans de la rejoindre. Il s’approcha du cercle que formaient les autres et prit librement la parole. Cette fois, il dirait ce qu'il avait à dire. «  Attendez, nous ne pouvons pas nous incliner face au clan de la Rivière. Il y a une solution. » Son regard bleu profond se balada sur chacun des guerriers présents. Il semblait avoir retrouvé sa vivacité d’antan. « Cette solution, vous m’entendez, c’est de prendre les Rochers du Soleil que nous leur avions concédé il y a de cela bien des lunes ! » clama t-il. « Détenir ces terres nous permettrait un accès direct à l’eau… Et tous nos problèmes seraient résolus.... De l'eau, de l'eau à profusion. » Il en rêvait. La sécheresse lui parut tout d’un coup plus supportable. Il y avait encore de l’espoir.

.: STORMDUSK :.

Le soleil est si chaud en ce moment. C'est intenable. Je suis tellement impressionnée de la vitesse à laquelle l'été a évincé le printemps. Fini la fraicheur des jours allongés, l'air est maintenant lourd et moite, pesant sur mes épaules comme un guerrier belliqueux. Je soupire, renonçant à remettre de l'ordre dans ma fourrure poisseuse. La nuit a été longue. J'ai patrouillé au crépuscule avec mon Constellation du Trèfle et Bois de Frêne. Une petite virée entre les mâles de la famille qui s'est déroulé sans accroc, bien qu'il fasse encore lourd même à cette heure. Sur le chemin j'ai osé franchir la frontière du Clan de la Rivière pour imbiber un peu de mousse dans le cours d'eau. J'ai fais vite oui, je sais que cette intrusion pourrait coûter cher au clan, mais les chatons ont besoin d'eau, et aujourd'hui ils sont ma raison de vivre. J'ai donc fait le chemin du retour avec ma boule de mousse, la tête figée pour perdre le moins de liquide possible. La nuit était tombée quand je suis rentré dans le camp. J'ai filé à la pouponnière pour déposer mon fardeau. Les chatons dormaient déjà. Tous sauf Petit Glaïeul qui fixait l'entrée de la pouponnière, les yeux dans le vague. Je sais qu'elle attend toujours que sa mère ne rentre. Elle a envie d'y croire, et je n'ai pas le cœur de la détromper. Je me suis couché près d'elle et j'ai léché longuement son petit crâne blanc pendait qu'elle buvait. Je suis resté longtemps, jusqu'à ce que la lune soit à son zénith. Je voulais la voir dormir, je voulais regarder mes enfants plonger dans un sommeil sans peur. Je regrette ses nuits délicieuses où nous dormions tout les cinq, les chatons et leur mère, dans notre nid suspend dans un tronc creux. Maintenant c'est fini, ils ne dorment plus contre moi, je n'ai rien à faire dans la pouponnière.

Un appel retentit. La voix d'Etoile de la Biche résonne dans la clairière. Harassé, j'émerge du bosquet pour rejoindre mes compagnons. Ma mère est perchée en haut du promontoire, la tête fièrement dressée. Elle dit tout haut ce que tout le monde songe tout bas. La rivière sera bientôt le seul point d'eau irrigué, et il va nous falloir admettre notre faiblesse pour survivre. Qu'importe, je me battrais pour l'eau s'il le faut, mon clan doit vivre. Un peu remonté, je passe le reste du discours à ratissé la terre avec mes griffes. Etoile de la Biche baptise plusieurs chatons et apprentis. J'aime ce genre de cérémonie, tant parce que voir ma mère là est une fierté que parce qu'elles traduisent la vigueur du clan. Un peu ragaillardie, je m'apprête à sortir quand la meneuse est rejointe par Fierté du Lion, un matou arrogant et beau parleur. Je frémis, agacé de le voir prendre les devants. Ils échangent quelques mots avant que la chatte tigrée ne descende son promontoire pour convoquer les guerriers. Je m'approche au petit trot, désireux de prendre part à la conversation. Ils semblent tous très motivés à l'idée de participer à la patrouille qui visitera le camp de la Rivière. Mémoire des Océans s'était installé sous le rocher, un peu plus loin, Douce Lumière écoutait la conversation l'air concentrée, tandis que Nuée d'Hirondelle quémandait le droit de participer à sa première patrouille en tant que guerrière. Possession du Nogitsune demandait également à prendre part à l'expédition, tandis que ma mère accueillait chaque requête avec un calme impressionnant. Soudain, c'est Secret des Océans qui prend la parole.

«  Attendez, nous ne pouvons pas nous incliner face au clan de la Rivière. Il y a une solution. Cette solution, vous m’entendez, c’est de prendre les Rochers du Soleil que nous leur avions concédé il y a de cela bien des lunes ! » clame t-il, fébrile. « Détenir ces terres nous permettrait un accès direct à l’eau… Et tous nos problèmes seraient résolus.... De l'eau, de l'eau à profusion. »

Je ne peux m'empêcher de penser que c'est une excellente idée. Pourquoi dépendre d'un clan lorsque l'on peut assoir notre supériorité une bonne fois pour toute. Je veux me battre, je veux défendre mon clan. Je veux que mes chatons soient fier de leur papa. Une bouffée brûlante s'empare de mes veines, j'ai soudain hâte de me battre.

« Je suis d'accord avec lui Etoile de la Biche, nous ne pouvons nous soumettre, gagnons notre accès à la rivière ! »

J'allais me lever quand quelque chose vient percuter violemment mon dos. Petit Nénuphar vient de me rentrer dedans en riant.

« Soir d'Orage, je vais me battre avec toi ! »

.: WATERLILYKIT :.

Je trépigne malgré la chaleur. J'ai chaud mais je m'en fiche, j'ai besoin de bouger, j'ai envie de tester mes limites, de voir comment je peux marcher. A peine une lune que je suis née et je dois encore tant apprendre sur moi, sur ce qui m'entour. Papa nous a amené dans le clan où il est né avec Maman. Il nous en a souvent parlé avant, dans ses histoires. Je suis contente d'être ici, je me sentais proche de ces chats dont il me dépeignait le portrait presque tout les soirs, et j'avais envie d'en être. Bien sûr, on ne serait pas là si Maman n'était pas partie, elle me manque, mais je sais qu'elle reviendra si le Clan des Etoiles le veut. La touffeur est impressionnante, même à l'ombre. Las, je jette un œil à Petit Muscari et Petit Glaïeul. Ces gros fainéants paressent dans la litière, les yeux clos, les flancs se soulevant rapidement. Ils crèvent de chaud, je les comprend, mais je m'ennui moi.

Dehors, un appel résonne. Interpelée, je glisse le museau hors de la pouponnière pour voir ce qu'il se passe, mais Bruine du Matin me repousse à l'intérieur en sortant avec sa ribambelle de chatons. C'est la sœur de ma mère, elle est gentille, mais elle dit qu'on est encore trop jeune pour participer aux assemblées. Déçue, je rentre docilement dans la tanière et vient me coucher près de la paroi, là où je pourrais entendre le discours d'Etoile de la Biche. La meneuse est inquiète de la pénurie d'eau, mais elle essaye tout de même de redonner espoir à ses guerriers en nommant de nouveaux apprentis et guerrier. Tant mieux ! Plus la pouponnière sera vide et moins nous auront chaud. N'empêche que j'étouffe moi là-dedans, l'ai confiné est suffoquant. J'attend que l'assemblée se termine pour me glisser dehors, juste sur le perron, le temps de respirer un peu. C'est agréable, l'atmosphère semble moins pesante pour mes poumons. Ragaillardie, je prend le temps d'observer le camp. La clairière est dégagée et verte, nappée de sable foulé par d'innombrables pas. Les guerriers commentent l'intervention d'Etoile de la Biche. Bruine du Matin est assise vers la réserve, surveillant d'un œil ses petits et s'entretenant en même temps avec un jeune félin que j'ai déjà vu dans la tanière. Un peu plus loin, deux apprentis épient avec concentration un scène qui se déroule un peu plus loin. Suivant leur regard, je remarque un attroupement de guerrier autour d'Etoile de la Biche elle-même. Ils semblent en grande discussion. Plissant les yeux, je remarque le pelage sombre que j'affectionne tant. Soir d'Orage est parmi eux ! Folle de joie, je bondis sur mes pattes et me rue vers mon père pour lui sauter sur le dos en riant, ignorant les regards ahuris des autres chasseurs.

Soir d'Orage se retourne en sursaut, me faisant glisser de ses reins. Je roule sur le dos dans le sable tandis qu'il pose un regard sévère sur moi. Ohoh... grosse bêtise. Je me redresse instinctivement et cherche à m'enfuir pour éviter le sermon, mais il est plus vif que moi. D'un patte il me bloque et m'attire sous son ventre.

« Petit Nénuphar tu ne peux pas faire ça, ne pas interrompre les guerriers fait partie du respect rudimentaire, et un chaton doit rester à sa place. » Feule-le matou.

Je me recroqueville entre ses grosses pattes grises, effrayé. Il ne s'énerve pas souvent mon Papa, et quand il le fait attention à vos moustaches. Mais j'ai bien vu qu'il est rouge sous son pelage, ses oreilles se sont colorés. Il est embarrassé parce que vont penser les guerriers. La queue battante, il jette un regard éperdu à Etoile de la Biche. Il a peur qu'elle l'envoie me ramener à la pouponnière, et lui veut rester. J'ai soudain honte d'avoir agit comme une cervelle de souris. Je jette un œil à la meneuse. Son regard est certes dur mais empreint de sympathie, et ses moustaches s'agitent comme pour signifier son amusement. Je me dégage tant bien que mal de l'étreinte de mon père et tourne les talons.

« C'est bon je peux rentrer seule, je sais où est la pouponnière. » Je marmonne en m'éloignant.

« Je viendrais vous voir tout à l'heure. » Lança le matou gris avant de se recoucher, non sans s'excuser auprès de ses camarades.

.: DOESTAR :.

En peu de temps, une myriade de guerrier est venue s’agglutiner autour du promontoire, convoitant une place à l'ombre pour rester relativement au frais. Je me recule un peu pour agrandir le cercle et laisse de la place à tout le monde, observant un à un les guerriers qui s'approchent. Mémoire des Océans, l'ancien meneur du clan avant moi, s'avance d'un pas incertain se tient un instant debout devant moi, léchant nerveusement le bord de sa lèvre.

« Puis-je me joindre à vous ? » Miaule-t-il.

D'un geste de la queue, je l'invite à s'assoir, avisant par la même Nuage de Lionnes qui s'est installée dans un coin. Je la contemple un instant, indécise. En sa qualité d'apprentie-guérisseuse, elle sera sans doute la seule chatte du clan apte à recevoir des signes de nos ancêtres et à nous soigner si la patrouille tourne mal. Il serait peut-être judicieux qu'elle sache dès à présent les responsabilités qui lui seront bientôt incombé, à commencer par son rôle de conseillère.

« Nuage de Lionnes, viens par ici toi aussi, je veux que tu écoutes attentivement ce que nous allons dire. »

Je tapote du bout de la queue une petite place tout près de moi pour garder un œil sur la petite chatte. Je ne peux m'empêcher de vouloir toujours materner les jeunes chats du clan, c'est un réflexe de mère je suppose, et le clan est en quelques sortes mon petit. Qu'importe, je reporte mon attention sur les chasseurs. Nuée d'Hirondelle, fraichement baptisée, semblait pleine d'entrain pour participer à sa première patrouille. Je l'invite à s'assoir avec nous. J'aurais besoin de toute l'aide nécessaire. Douce Lumière venait d'arriver, la tête haute, fière de faire partie du conseil. Je la salue d'un hochement de tête tandis qu'elle s'installe près de Secret des Océans, qui malaxait le sol visiblement impatient.

«  Attendez, nous ne pouvons pas nous incliner face au clan de la Rivière. Il y a une solution. »

Il parcoure l'assemblée d'un regard calme, déterminé. Mes oreilles se dressent bien haut sur mon crâne, soudain curieuse d'entendre la proposition du guerrier.

« Cette solution, vous m’entendez, c’est de prendre les Rochers du Soleil que nous leur avions concédé il y a de cela bien des lunes ! » clame t-il. « Détenir ces terres nous permettrait un accès direct à l’eau… Et tous nos problèmes seraient résolus.... De l'eau, de l'eau à profusion. »

Ses pupilles brillent d’excitation. Une série de frisson parcourent soudain mon corps tout entier. L'idée est excellente, pourquoi capituler, nous sommes un clan fort et robuste, nous pouvons prétendre à remporter les rochers. Soir d'Orage hurle son approbation. Réfléchissant à toute vitesse, je passe en revue les guerriers qui se tiennent devant moi, quand un petit cri enthousiaste fait tourner la tête de tous les félins réunis, vers une seule et même cible, Soir d'Orage, mon fils. Le jeune mâle gris sombre fixe les guerriers, soudain rouge sous sa fourrure. Agrippée à son arrière-train, sa fille, Petit Nénuphar, s'égosille joyeusement. Furieux, il se tourne vers sa fille pour la sermonner, brûlant de honte. D'un ton sec il renvoie la petite femelle à sa tanière avant de me jeter un coup d'oeil gêné. Mes moustaches frétillent, trahissant mon amusement. Je le connais par cœur, il aura beau faire son bourru pour paraître autoritaire, il est fou de ses chatons. Mais à peine la chatonne a-t-elle disparue qu'un nouveau félin s'approche d'un pas hésitant. Possession du Nogitsune.

« Coucou... euh bah je... j'aimerais bien peut-être si possible faire partit de la patrouille... je dis bien si cela est possible sinon je comprendrai vous savez... et je vais me taire dans la seconde qui suis. »

Je lui adresse un sourire encouragent.

« Viens, installe-toi ! » Je miaule en lui indiquant un place près de moi.

Je n'ai pas le temps d'ajouter quoi que ce soir que c'est Petit Fléau qui s'approche en piaillant.

«  Moi aussi je veux venir ! »

Elle semble bouillante d'impatience. Je l'attire vers moi d'un geste maternel, comme je l'aurais fait avec ma propre fille et lui donne un petit coup de langue sur le sommet du crâne.

« Pour le moment tu ne peux pas prendre part à ce genre d'affaire Petit Fléau, mais bientôt tu seras une brave chasseuse et tu pourras venir défendre ton clan. Retourne à la pouponnière maintenant petite guerrière. » Je ronronne doucement avant de la pousser du bout du museau.

Je me retourne enfin vers Secret des Océans, les yeux brillants. Il a raison ce jeune chat, on ne peut pas s'incliner, je ne peux pas capituler, pour eux, on doit se battre, défendre notre fierté et rendre nos chatons fiers de leur parents.

« C'est une excellente idée Secret des Océans. Il est grand temps de reconquérir notre accès à la berge. On ne peut pas laisser le clan de la Rivière nos piétiner. Qu'est ce que vous proposer ? »

.: DOESTAR :. CLAN'S GATHERING

Mémoire des Océans prend la parole en premier, le timbre sûr, puissant. Je reconnais bien là celui que j'ai un jour servit comme lieutenant. Il a beau être diminué, il n'a rien perdu de son impressionnante musculature. J'écoute ce qu'il a à dire avec attention, un peu par habitude, comme lorsqu'il était encore chef du clan.

« Prendre les Rochers du Soleil est une excellente idée. Nous aurions accès à de l'eau mais aussi au territoire qui regorge de proies. De l'eau et des proies. Ce serait une excellente annexe pour notre clan. Il n'y pas beaucoup de solutions pour prendre les Rochers du Soleil. Déjà, je pense que l'on devrait commencer par renforcer le marquage de notre territoire. Mais, l'issue sera forcément une bataille. Je doute qu'Etoile Majestueuse veuille céder son territoire si facilement bien que son clan n'en ait pas grande utilité. »

J'acquiesce silencieusement. Il a raison. Avant de provoquer le Clan de la Rivière dans une bataille, commençons par prendre possession de nos nouvelles terres. Il n'est pas question que j'aille demander la permission à Etoile Majestueuse pour récupérer ses rochers. Nous marquerons une nouvelles frontières, et verrons ensuite si ce clan de poisson-chat a le cran de venir le récupérer. Mais je n'ai pas le temps de penser plus loin que c'est Fierté du Lion qui prend la parole.

« Une escapade nocturne, c'est ça ce qu'il nous faudrait. Nous viendrons dans leur camp aussi silencieux et discret que nous n'effleurons le sol. Nous assommerons ceux qui garderaient le camp et nous pénétrerons dans celui-ci. Nous détruirons tous sur notre passage jusqu'à ce que ce clan cède à notre envie suprême. »

Fierté du Lion... toujours dans l'excès et dans la violence. Je secoue la tête et lève les yeux eux ciel, avant de les braquer vers le guerrier.

«  Si je peux me permettre... entame une petite voix fluette, détruire leur camp et blesser des innocents c'est pas la meilleur des solutions... Ça nous apporterait que des ennuis, et ce serait vraiment pas gentil pour eux ! Demander un accès au point d'eau c'est la solution la moins dangereuse. Et si ils veulent pas, ben reste la solution de Papa... Euh, de Mémoire des Océans, je veux dire. »

L'intervention de Nuage de Lionnes semble surprendre tout le monde. Près de moi, elle s'agite, nerveuse. Son pelage s'est hérissé sur son échine après la déclaration de Fierté du Lion. D'un geste apaisant, je pose ma queue sur ses épaules pour essayer de la rassurer un peu, coulant un regard pour l'observer. Elle ne veut pas se battre, je le sais, je le sens dans sa voix.

« Il n'est pas question d'attaquer leur camp, et encore moins de le détruire. Nous voulons un accès à l'eau, et nous ne nous battrons que pour ça. Nous sommes de guerriers brave et valeureux, pas des cœurs de renards près à mettre en état de faiblesse des chatons et des anciens, même adverses. » Je rétorque, le pelage hérissé, avant de reprendre en fixant l'apprentie. «  Cependant Nuage de Lionnes, demander l'autorisation à Etoile Majestueuse c'est signifier que nous sommes faibles. Montrons leur le contraire, mais avec dignité. Gagnons notre breuvage. Nous sommes de guerriers ! »

  « Nous pourrions attendre la nuit venue pour les attaquer, renchérit Douce Lumière. Cela nous permettrait de les surprendre. Avant, il faudrait guetter une patrouille et l'attaquer. La quasi-totalité des guerriers participeraient à la bataille. Il faut que l'on trouve un moyen de les mener sur le lieu qu'il nous faut conquérir. »

L'attention se porte vers la guerrière qui semble soudain très loin, à des lieux d'ici. Elle fixe obstinément le vide. J’aperçois Soir d'Orage qui lui assène une pichenette sur l'oreille, les yeux ronds, comme pour la réveiller, sans succès. Puis peu à peu son regard se réanime, son pelage se dresse, elle halète.

« Est-ce que ça va Douce Lumière ? » Je m'inquiète. « Tu veux qu'on appelle Nymph... Guépard des Neiges ? » Je lance en chassant l'image de la défunte guérisseuse de mon esprit. Comme elle ne répond pas, je reprend. « Non, nous n'attaquerons pas en traitre. Nous allons commencer par changer le marquage, et investir librement les rochers en attendant que le clan adverse vienne à notre rencontre. Ensuite, voyons s'ils oseront nous défier pour défendre ces cailloux arides. Qu'en pensez-vous ? »

Assemblée du Clan
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