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Petite Théorie & Addiction Éphémère

La fine silhouette de Maman me cache de la lumière ambrée de l’extérieur, mais je ne bronche pas. De toute façon, je sais que le Soleil ne tardera pas à se cacher pour la nuit. Je vois sa lumière immaculée tourner au orange et or, et je devine sans peine les formes inusitées que prennent les nuages pourpres dans leur ciel enflammé. Et, après, la noirceur fera sa place. Subitement. Sans prévenir. C’est une des choses que j’ai observé; la clarté prend des heures avant d’éclairer tout le ciel, alors que la nuit tombe aussi vite sur la forêt qu’un chat tombe sur ses pattes. Ou est-ce simplement parce que je suis plus impatient d’aller jouer que d’aller dormir? Pourtant, ce soir, tout cela n’est pas pour me déplaire. Aujourd’hui a été une longue journée, même si je ne suis qu’un chaton. Mon frère, mes sœurs et moi nous entraînons car nous serons bientôt des apprentis, et qu’il faut être prêt. J’ai hâte. Mais pas au point de m’aventurer hors du camp, comme tous semblent vouloir le faire. Non, moi, je respecte les règles, pas pour me faire aimer des grands ou parce que j’ai peur. J’attends parce que je sais pertinemment que tout ce qu’il y a de sauvage et de dangereux n’est pas à l’échelle « chaton ». J’aime mieux patienter, même si les autres me traitent de peureux.

Ils me jugent, parce que je suis plus sérieux qu’eux et moins enclin à l’aventure. Parce que je préfère réfléchir avant d’agir, contrairement à eux. Ils se trompent. Je suis seulement plus pensif, plus mature. J’ai beau être petit, je n’en suis pas plus inoffensif ou innocent. Heureusement, Maman ne me juge pas, du moins, elle ne le montre pas si elle le fait. Addiction Éphémère est douce, gentille, juste. Sauf qu’elle a quelque chose que les autres Reines n’ont pas. Je ne lui en veux pas – comment le pourrais-je? – mais j’ai remarqué, voilà tout. Petit Apôtre ne le remarquera pas, ni Petite Lionne ou Petite Plante. Je les aime beaucoup, de tout mon cœur même, mais ils ne voient pas le monde comme je le vois. J’imagine qu’ils ne s’en porteront pas plus mal pour autant. Maman a aussi adopté des chatons, devenus apprentis depuis le temps. Ça prouve à quel point elle a un grand cœur. Je suis chanceux d’être son fils. Sauf que, contrairement à tous, je n’ai pas oublié que je suis aussi le fils d’un autre. La plupart des autres chatons ici, à la Pouponnière, restent avec leur mère mais leur paternel finit toujours par passer. Pas le nôtre.  Il faut que je sache pourquoi.

Je m’avance doucement vers Maman, qui ne me voit pas car elle est de dos, mais doit sûrement m’avoir entendu car elle se retourne. J’agite les moustaches, pensif. J’allais tout bonnement lui poser la question, mais j’ai peur de la blesser. Je sais que le regard de certaines autres reines la rend à la fois triste, frustrée et mal à l’aise, et je ne veux pas qu’il en soit de même à cause de ce que je pourrais lui dire. Je m’assois à ses côtés et regarde vers l’extérieur, comme elle, en soupirant. Est-ce que je veux vraiment savoir? Et si mon père avait fait des trucs terribles, ou avait dit des choses terribles à Maman? Les couleurs du ciel me changent un peu les idées, et m’apaisent. C’est tellement beau et étrange à la fois. Malgré la basse température, je ne grelotte pas, je ne frissonne pas tant je suis concentré. Je ne veux peut-être pas vraiment être mis au courant, mais je pense que j’en ai besoin, autrement je ne penserais plus qu’à cela. Je me retourne vers Maman, et la contemple de mes yeux verts. Un jour, je serai aussi grand qu’elle, et aussi fort. Je serai un vaillant guerrier, je chasserai et me battrai pour le Clan. Je serai l’un des meilleurs, Étoile de la Biche, notre meneuse, pourra compter sur moi. Et ma famille sera fière de moi. Un jour.

Maman?

C’est après avoir brisé le silence que je réalise à quel point je suis chanceux que la Pouponnière soit aussi calme; ses occupants sont ou bien déjà endormis, assoupis ou déambulent encore dans le camp. Je n’ai pas envie que tout le monde entende ce que je dis. J’essaie de ne pas rendre ma voix trop craintive, ou trop pressante, mais je pense qu’elle le devinerait de toute façon. Toutes les mères connaissent leurs chatons par cœur, c’est bien connu. Je me rends brusquement compte qu’elle connaît tout de moi, alors que je ne sais presque rien d’elle. Les chatons se concentrent sur leur petite vie et leurs aspirations personnelles, et oublient que leurs parents aussi ont leur passé, leurs secrets, leurs rêves. Et si Maman ne voulait pas me confier les siens? Ces mystères sont à elle, après tout. Je me force à faire disparaître ces pensées parasites, et je poursuis sur la lancée. Je dois paraître sûr de moi, digne, sinon elle me prendra pour quelqu’un d’effrayé. Je ne peux pas la laisser croire que j’ai peur, elle serait déçue que son fils ne soit pas plus confiant. Pourtant, dès que j’entrouvre les babines, je vois mes moustaches trembler d’énervement.

Il faut que tu me promettes de répondre la vérité à ma question, d’accord?

|| Au diable la belle mise en page, je suis pas d'humeur :v
Pas relue non plus, je verrai si j'ai le temps avant que les vacances finissent :3||

Face à l'astre solaire orangé disparaissant au loin, je profite des derniers rayons perceptibles se fondant dans ma froide et épaisse fourrure bicolore. Je l'ai tant observé, il contient tous mes futiles rêves, tous mes défunts espoirs, tous mes secrets perdus. J'ai toujours cru qu'un jour j'irai tellement près de lui qu'il m'engloutirait dans son imposant éclat et qu'à ce moment-là, et seulement maintenant je serais disparue pour toujours, loin de mon insignifiante vie qui, elle, ne tient finalement à rien. Enfin presque, eux ils ont besoin de moi. Ils sont toute mon histoire, tout ce qui importe. Mais qui sont-ils ? Mes adorables boules de poils que j'ai mis au monde. Petit Apôtre, Petite Lionne, Petit Jardin et Petite Théorie. Je tourne à demi la tête et regarde ce qu'il se passe derrière moi. Les trois premiers n'ont pas bougé, ils sont toujours allongés dans mon nid de mousse, serrés les uns contre les autres pour se réchauffer. Il ne faut pas que je tarde, je ne veux pas qu'ils aient froid, et je ne veux pas prendre le risque d'en perdre, ne serais-ce qu'un seul. Ils font partie de moi.

<| You're a piece of me |>

Tu portes à nouveau ton regard sur le soleil. Dans ton ombre étendue par l'astre solaire au loin, tu as entrevu l'aîné de ta portée, Petite Théorie. Votre relation mère-fils est bien étrange. Bien sûr tu l'aimes comme tel, mais c'est aussi bien plus. Tu te dis parfois qu'il est la raison, tellement mature dans ses gestes, ses paroles. Il est avancé par rapport à ses frères et sœurs, c'est une évidence, tu en as conscience. Il est différent, dans le bon sens du terme. Il voit la vie comme chaque guerrier dans ce clan la voit, c'est-à-dire avec ses problèmes sans solutions. Lui, il voudra savoir la vérité. Il a remarqué qu'il manquait le mâle dominant, le chef de famille et accessoirement son père, Mémoire des Océans. Tu sais qu'il lui manque, tu n'es pas sans savoir que tôt ou tard il posera des questions. Tu lui répondras franchement, il mérite de savoir et il est dans son droit de se poser diverses questions. La situation actuelle est digne d'une scène dramatique. Sauf que ce n'est pas une oeuvre de pure fiction. C'est une réalité, c'est la réalité.

<| It's true, I love you |>

Lentement, perdue dans tes pensées tu fixas inconsciemment ton esprit sur la respiration de ton fils, et même sur le battement de son cœur car tout ce qui était sensé exister autour de toi, tu en avait fait abstraction. Plus aucun bruits sauf ceux de ta progéniture, sur la sienne. Il pensait, profondément enfoui dans sa conscience te semblait-il. Puis, il bougea se rapprochant de toi. Il sembla surpris, il devait sans doute penser que tu ne l'entendais pas. Il te sembla si grand d'un coup, il n'avait plus rien à voir avec le chaton chétif que tu avais mis au monde. Bientôt il sera apprenti puis un grand guerrier. Il est près pour ça, depuis toujours. Maintenant que tu y penses, tu te sens inexpressive. Il doit avoir tellement à te dire, tellement à te raconter. C'est de même de ton côté. Tu aimerais tant pouvoir lui dire que tu l'aimes, encore et encore. Mon dieu, que doit'il penser de toi ? Il s'assoit à côté de toi, soupirant, ton regard ne le quittant plus. Il est contrarié, tu le sais, tu l'as mis au monde tout de même. Il semblait hésiter, alors tu le quittas des yeux. Mieux vaut le laisser dans sa réflexion intense, si cela peut lui faire du bien.

- Maman ?

Il brisa le silence d'un mot. Une simple question composée d'une seul adjectif, ton surnom. Pourtant tu étais touchée. Pourquoi ? Va savoir. D'un coup, ton monde devint votre monde, juste à tous les deux, comme un jardin secret. Votre univers. En posant à nouveau ton regard dans ses prunelles vertes pâles, égales à de la végétation perdue dans les ténèbres, tu t'es sentie impuissante. Il semblait incompris mais également confus. Quelque chose le tenaillait. Tu le sentais, cela devait être l'instinct maternel, sans aucun doute. Il entrouvrit la gueule, dévoilant à la lumière du jours ses minuscules crocs blancs de chatons ainsi que sa petite langue râpeuse. Il resta comme ça quelques instants, il hésitait sur ce qu'il allait me demander. Mon regard l'encourageait.

- Il faut que tu me promettes de répondre la vérité à ma question, d’accord ?

Tu baissas les yeux, oui, tu tombais de haut. Tu savais déjà ce qu'il allait te demander. Un long frisson te parcourut lentement le corps faisant s'hérisser chaque parcelle de ton maigre corps qui ressentait cette désagréable sensation. Voilà, c'était donc ce fameux instant que tu redoutais tout à l'heure. Non, tu n'allais pas te défiler, toutes les bonnes conditions sont réunies. Tes yeux d'une couleur d'un ciel couvert de nuages en hiver, jusque là voilés, se relevèrent vers ta progéniture. Tu arborais un regard confiant et déterminé. Tu l'étais.

- Très bien, je vais répondre sincèrement à tes questions Petite Théorie. Je sais qu'elles me concernent, et également ton père, Mémoire des Océans. Tu es désormais assez grand pour savoir, alors je vais te dire. Je t'écoute, parle moi enfant.

Ta voix était neutre, comme si tu avais mûrement réfléchi à ce que tu allais dire. Que nenni, à l'intérieur de toi, ta fierté défiait ta raison pour former ce sentiment de chaos, comme si tu étais perdue, au milieu de tout ce qui t'était cher. Tu avais peur.

HRPG:

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Petite Théorie & Addiction Éphémère

Très bien, je vais répondre sincèrement à tes questions Petite Théorie. Je sais qu'elles me concernent, et également ton père, Mémoire des Océans. Tu es désormais assez grand pour savoir, alors je vais te dire. Je t'écoute, parle-moi enfant.

Je continue de la regarder, et elle fait de même. Malgré la chaleur douce et diffuse de la Pouponnière, elle ne peut réprimer un frisson. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est à cause de moi et de toutes mes interrogations. Son regard descend pour rencontrer le sol, et je me recroqueville un peu sur moi-même. Je devine sans peine, même si elle essaie de me le dissimuler, qu’elle a un peu peur. De ce qu’elle dira, de ce que je comprendrai, de ce que je retiendrai. Aurais-je peur, à sa place? Une partie de moi me répond que je n’aurai pas besoin de redouter cette question, car, si j’ai des chatons, je serai un père présent pour eux. L’autre partie se fâche en disant que la vie n’est pas si facile, et que bien des imprévus peuvent survenir. Sauf que l’absence quasi-totale de Mémoire des Océans, mon géniteur fantôme, est plus qu’un petit imprévu. Absence localisé, car le je vois passer du temps avec ses autres chatons, issus d’autres femelles.

J’ai envie de réconforter Addiction Éphémère, de lui dire qu’elle n’a pas à s’inquiéter. Prétendre que j’ai changé d’avis, que je n’ai plus besoin de savoir. Sauf qu’elle m’a toujours appris à ne pas mentir. Son regard rencontre à nouveau le mien, et j’y décèle une étincelle de détermination et de confiance. En un instant, elle est redevenue la chatte que je vois tous les jours, forte et fière. C’est une des choses qui me fascinent chez les parents : ils ont toujours l’air de ce qu’ils veulent aux yeux de leurs enfants. Je la vois, grande, sans peur et sans reproche, parfaite. Je me fiche de savoir ce que les autres pensent d’elle, je me fiche de ce que Mémoire des Océans pense d’elle. Au moins, je sais ce que je ne veux pas savoir. Reste à déterminer ce que je sais. Je me retourne machinalement pour jeter un coup d’œil à mes frère et sœurs, qui ronflent toujours, roulés sur notre lit de mousse. Évidemment.

Rassuré, je me concentre sur mes questions. Comment les formuler? Comment les formuler sans blesser personne? L’image que je me suis faite de mon père est floue, curieux mélange entre l’illustre ancien chef du Tonnerre et le chat déloyal et rustre par excellence. Je sais bien que Mémoire des Océans n’est plus le premier, et n’a jamais été le second. Les récits de ses combats sont narrés par les anciens, et son courage et sa force ne sont plus à prouver. Pourtant, quelque part, quelqu’un a fait de lui un meneur déchu, un chat amnésique qui ne reconnaît même plus ses meilleurs amis. Est-ce pourquoi Maman a décidé qu’il ne ferait pas un bon père pour nous? Est-ce pourquoi IL a décidé qu’il ne ferait pas un bon père pour nous? Et s’il ne voulait plus de nous, plus du tout? Je fronce les sourcils à cette idée. Quel matou peut vouloir oublier les siens, la chair de sa chair? Oubliant cette idée, je repense aux reines qui n’aiment pas Maman, à celles qui montrent les crocs lorsqu’elle approche. Y a-t-il un lien entre tout cela? Démêler les relations d’Addiction Éphémère et celles de Mémoires des Océans est quelque chose d’assez particulier, et je ne sais plus où donner de la tête.

Est-ce que ça a un lien avec Plume de Braise?

Cette question m’est venue spontanément, et j’ouvre grand les yeux alors que Maman s’apprête à y répondre. J’agite la tête vivement, comme pour lui signifier d’oublier ce que je viens de dire, mais j’imagine trop bien que ce n’est pas chose qu’on oublie facilement. Plume de Braise avait sa place ici, à la pouponnière, avant qu’elle ne retourne dans la tanière des Guerriers. Sans être vraiment agressive, je sais qu’elle avait quelque chose contre nous. Je le voyais dans son regard, et désormais, elle nous évite comme la peste. Pourtant, ses chatons n’ont pas l’air de nous haïr aussi. Je pense qu’ils sont tous Apprentis, maintenant, et je n’ai pas eu conscience de frictions entre eux et nous. Par nous, j’entends Maman, Petit Apôtre, nos sœurs et moi, même si, techniquement, nous ne sommes encore au courant de rien. D’ailleurs, je me demande si je devrais parler aux autres de cette conversation, pour avoir leurs avis sur le sujet. S’ils en ont un; c’est tellement compliqué que j’ai moi-même de la difficulté à tout saisir. Je finis toutefois par corriger ma question, espérant sembler assez mature pour qu’on me dise tout ce que j’ai besoin de savoir. Maman a promis de répondre sincèrement, mais elle n’a pas promis de tout dire.

Par Plume de Braise, je veux dire, elle est la compagne de… de Mémoire des Océans, et elle ne nous aime pas, pas vrai? Elle voudrait que nous ne soyons jamais nés…

Le mot « Papa » reste coincé dans ma gorge. Comment appeler ainsi un chat qui ne m’a jamais adressé plus de deux mots lors d’une conversation, rien que pour me dire de le laisser passer, et me regarde qu’avec un mélange de mépris et de pitié dans le regard? Il a laissé une femelle pleine, et n’a jamais pris ses responsabilités. Il a laissé les chatons seuls, et s’est choisi une famille qui lui plaisait davantage. Il n’a aucune excuse, aucune raison valable. Au lieu de cela, il préfère fanfaronner avec les petits d’une autre et se balader vêtu d’une gloire qui n’est plus la sienne. Ne se rend-il pas compte à quel point il a l’air stupide? D’un certain point de vue seulement, par contre. Certains doivent le voir comme un chat qui a laissé son amourette pour se consacrer à une famille plus sérieuse, et une vie sociale mieux vue. Je hais Mémoire des Océans autant que je m’ennuie de lui, je veux le voir disparaître autant qu’auprès de nous. Mais, plus que tout, je veux le voir souffrir autant qu’il a fait souffrir Maman. Après, peut-être que je lui pardonnerai.

MÈRE CASTOR:

Il me regarde, encore. Je sais que j'ai touché à une corde aussi sensible pour moi que pour lui. Mémoire des Océans commençait à devenir un sujet tabou. Ce n'était pas bon, pas pour eux. Ils faut qu'ils aient conscience qu'on ne renie jamais ses origines, surtout quand on a la chance de les connaître, pas comme moi. Je n'ai jamais sur qui étaient mes parents. De ma mère, il ne me reste qu'une image d'une sublime fourrure grise délavée au niveau des pattes ainsi que de ses yeux qui sont aujourd'hui les miens. De mon père, il ne me reste que son odeur réconfortante mêlée à la pluie et au goût de mes larmes. Je n'oublierai jamais cette nuit, ni ce cri de désespoir qui semblait avoir retenti dans toute la forêt ce soir là, telle une immense complainte libérée. Je me souviens de ses yeux gris posant sur moi un dernier regard horriblement tendre et plein d'espoir, et de ces gouttes roulant entre nos deux corps, le sien à présent froid. Jamais je ne cesserai de me conter la même histoire, de me rabâcher qu'elle a donné sa vie pour sauver la mienne. Never.

Tu te sens si proche et si loin de Petite Théorie. Si complexe, si unique. Tu avais parfois l'impression qu'il essayait de te réconforter, de sa manière propre et maladroite. Comme s'il te prenait en pitié, mais sans vraiment le faire car il doit être l'un des seuls à savoir que tu détestes ça. Tu enseignes à tes enfants l'assurance et le courage d'assumer leurs erreurs. C'est la base de la vie. Après, ils feront ce qu'ils voudront de ce que tu leur as enseigné, une fois que tu ne seras plus parmi eux. Mais jusqu'à preuve du contraire tu as la responsabilité de l'éducation de ces enfants. Certaines autres reines ne voient pas tes enfants d'un très bon œil. Qu'elles te rejettent, c'est comme bon leur semble, mais qu'elle s'en prennent à des chatons n'aillant rien demandé, c'est tout bonnement inadmissible. Alors tu les protèges, encore un peu, ne serais-ce que quelques lunes avant qu'ils n'apprennent l'art de la chasse et qu'on ne les envoie frôler la mort au plus près durant les combats. Tu en as conscience plus que certaines autres femelles. Ils doivent s'épanouir et un jour voler de leur propres ailes. Tu ne sera pas toujours à leurs côtés pour les guider. Lors de ces moment difficiles, ils apprendront à ne compter que sur eux-mêmes et à être seuls plutôt que mal accompagnés.

C'était en hiver, et la glace était si frêle. Tu n'as pas écouté ce que t'ont enseigné tes parents. Debout, face au vent et à cette étendue glacée, tu ne devais pas avoir plus de 7 lunes. Mais sans précautions tu t'es aventurée sur la glace, innocente et ignorante enfant. Au début, tu as bien ris. Ayant déjà attrapé une souris qui servira à nourrir ton clan, tu patinais maladroitement sur la glace. Depuis la tragique disparition de tes frères et sœurs, deux hivers plus tôt, tu te reconstruisais avec ce que tu trouvais. Entre amours d'enfance et amusement, tu vivais dans la joie, blessée au fond tout de même. Tu avais déjà rencontré Mémoire des Océans à ce moment là. Il avait alors de grandes chances de devenir lieutenant, il t'attirait pour son courage et sa détermination. Tu voulais être comme lui, et sur la glace tu étais comme lui. Sauf que la glace céda. Tu ne te souviens plus de ce qu'il s'est passé ensuite. Au loin, le cri déchirant d'un corbeau t'avait marquée. Comme quoi tout était écrit en fin de compte.

Tu revins à tes pensées et refixa ton attention sur Petite Théorie. Tu attendais sa question qui se faisait désirer, même si au fond tu la désirais. elle vint enfin.

- Est-ce que ça a un lien avec Plume de Braise ?

Plume de Braise. Cette question était étrange, elle semblait avoir franchi la barrière de ses babines sans y avoir été invitée. Confuse, tu attendis qu'il précise, mais tu replongea bien vite dans des souvenirs. Pourquoi les décrirais-je ? Ce ne sont que des morceaux de souvenirs, éparpillés dans ta mémoire, à droite à gauche. Pour reconstituer la réalité il faudrait parcourir ta boîte crânienne en long, en large et en travers. C'est sans importance de toute façon, les souvenirs sont inutiles et devraient décéder à chaque fois que l'on se les remémore. C'est ce que tu penses, et moi aussi. Je suis ta conscience.

- Par Plume de Braise, je veux dire, elle est la compagne de… de Mémoire des Océans, et elle ne nous aime pas, pas vrai? Elle voudrait que nous ne soyons jamais nés…

Tu te raidis, tu avais senti son hésitation. Il n'avait pas réussi à prononcer "Papa". Était-il déjà traumatisé ce pauvre petit ? Tu ne l'espérait pas. Et si jamais tu lui avais gâché la vie, avec tes caprices infantiles ? Tu ne t'en remettrais jamais, te laissant mourir de tristesse dans des souffrances jusque là inconnues. Pourtant, tu ouvris la gueule et lui répondit.

- Plume de Braise a ses raisons de m'en vouloir, tu sais. Néanmoins, c'est une chatte à l'esprit sain et elle n'irait jmais vous reprocher quoi que ce soit. Fils, les seuls fautifs ne sont que tes parents.

Ta réponse était bourrée de sous-entendus, tu le savais. Tu devais afficher une mine décomposée, rongée de l'intérieur par les remords d'un abandon injuste. Il fallait continuer de vivre, de toute manière. Tant pis s'ils n'avaient pas de père pour les aimer. Tu comptais pour deux.

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Petite Théorie & Addiction Éphémère

Après un long silence, elle me dit qu'ils sont les seuls fautifs, que Plume de Braise ne nous ferait jamais de mal, que c'est une bonne chatte. Pourtant, au-delà de ce qu'elle me dit, au-delà des mots qu'elle a prononcés, se cache une signification obscure, que je tente de comprendre. Les sous-entendus sont une affaire d’adulte, bien trop grave pour les chatons d’ordinaire. Je me lèche distraitement le poitrail en réfléchissant. Les quelques nœuds formés dans mon court pelage cendré ne résistent pas très longtemps mais je continue tout de même, machinalement, comme pour combler un silence embarrassant. Maman ne crée jamais je malaise, elle a toujours les bons mots pour me réconforter. À côté d’elle, je me sens pataud, comme un nouveau-né qui ne sait pas marcher et qui fonce dans tout le monde. Mon père, s’il avait assumé sa tâche, serait-il comme elle, ou bien garderait-il ses distances? Tellement de questions, tellement peu de réponses… Je relève enfin les yeux pour essayer de croiser le regard d’Addiction Éphémère. Une lueur dans ces yeux gris me laisse croire qu’elle attendait cette conversation depuis longtemps, comme si elle me connaissait si bien qu’elle avait prédit mes angoisses et mes inquiétudes.

Maman, dis-moi…

Encore une fois, je laisse planer un silence. Pas par peur, ou par gêne, simplement parce que je l’ai interpelée avant même d’avoir une question à poser. Je me sens stupide. Encore. Une partie de moi aimerait ne jamais avoir commencé cette discussion; j’étais peut-être mieux muré dans mon ignorance et ma stupidité de chaton. Les autres ne se posent pas de telles questions, ne se créent pas de tels dilemmes inutilement. Pour la première fois, je suis frustré d’être ainsi, aussi pensif et supposément mature. Je m’en veux de faire de la peine à Maman, elle qui a déjà tellement souffert, elle ne mérite pas de repasser à travers tout ça. En même temps, l’autre part de moi me dit qu’il faut bien que ça bouge. J’ai le droit de savoir, il s’agit tout de même de mon père. Je n’ai pas choisi d’être aussi… compliqué, mais c’est ainsi, autant utiliser ma curiosité à des fins plus ou moins utiles, à tout le moins. Et ça aurait pu être pire : j’aurais pu aller demander à Mémoire des Océans lui-même. L’idée m’arrache presque un sourire. Comment l’ancien illustre chef du plus fort des quatre Clans aurait-il réagi si l’un de ses petits bâtards était venu à lui pour prendre de ses nouvelles. « Coucou Papa, je suis l’un des enfants que tu as gentiment reniés. »

Tiens, c’est la première fois que j’emploie, même mentalement, le terme de bâtard pour me qualifier. Étonnement, cela ne me fait ni chaud ni froid. Faut-il que j’en déduise que je suis en paix avec mon moi intérieur? Je crois que oui. J’ai compris, ce soir même, que les actions de mes parents ne doivent pas influencer mes ambitions. Les déboires de mon paternel ne doivent pas me nuire, je ne peux pas me permettre de les laisser m’abaisser. Cependant, je dois tout de même faire attention. Je me promets de ne jamais utiliser cet adjectif devant Maman, ou mes compagnons de portée. Ils seraient déçus, peinés, et offensés. Surtout Maman. Malgré tout ce qu’elle pourra me dire, je sais bien que rien de tout cela n’est de sa faute. Nous ne sommes pas les victimes, nous ne sommes que les dommages collatéraux.

… Qu’est-ce qu’il pense réellement de nous?

Je n’ai même pas envie de prononcer son nom, le « il » seul me suffit. Après tout, il n’a jamais rien fait pour nous, il ne nous parle pas, il nous ignore. C’est sa faute si d’autres méprisent Maman, c’est sa faute si elle est malheureuse, par moment. Tout revient toujours à lui, pourtant il ne daigne jamais pointer ne serait-ce que le bout de son museau.



||Woohoo, la flemmeeeee °°||


|| Édit Sunnyquiselepermet : Je passe trop pour le méchant *meurs||