Il était là, immobile et silencieux. Son pelage se faisait caresser par la brise légère qui soufflait sans discontinuer, telle une main maternelle et ses poils fauves volaient en tous sens, tourbillonnant autour de son corps svelte et délié. Caché par l’ombre des arbres, il était invisible au regard de tous et personne n’aurait pu se vanter d’avoir pu le remarquer. Seuls ses crocs d’un blanc d’ivoire luisaient dans les ténèbres, ses babines retroussées en un rictus effroyable qui suffisait à vous faire hérisser les poils sur l’échine. Terrifiant, Illusion Éphémère l’était à n’en pas douter malgré son physique pur et éthéré qui ne laissait pas transparaitre la moindre trace de dépravation en lui. Ainsi, il était là sans vraiment l’être puisqu’il se fondait parfaitement dans le décor, dans une posture agressive qui en disait long sur ses intentions. Plusieurs minutes s’écoulèrent, toutefois, sans qu’il n’ait esquissé  le moindre geste et sans qu'il n’ait prononcé la moindre parole. Il avait tout d’une statue de marbre, autant dans la posture que dans l’expression, son visage ne laissant émerger aucune des émotions qu’il était susceptible de ressentir en cet instant.  Soudain, ses oreilles se dressèrent alors qu’un bruit retentissait au sein de la forêt. Sa bouche s’élargit en une sorte de sourire ou de simagrée, je n’aurais su vous le dire, à  l’entente de ce son et son corps aérien  s’élança à la poursuite de l’animal qui venait de détaler à quelques pas de lui, seulement. Tout se passa très vite. Ses pattes martelèrent le sol avec fracas pendant quelques secondes tandis qu’il essayait de gagner de la vitesse pour attraper ce mulot qui tentait tant bien que mal de sauver sa peau. Mais c’était peine perdue. Illusion Éphémère bondit sur l’animal apeuré et l’emprisonna entre ses griffes, l’acculant avec une barbarie sans pareille contre le tapis moussu de la forêt. Un couinement désespéré et c’en fut fini. Un liquide rouge, qui n’était autre que le sang qu’il affectionnait tant, se répandait sans ménagement sur le sol, vestige de la chasse qui avait lieu en cet endroit précis. La traque terminée, le félin pouvait enfin commencer à apaiser sa faim, ce pourquoi il avait tué cet animal en surplus du plaisir que cela lui procurait. Dans un bruit écœurant, il lui déchiqueta la peau sans éprouver la moindre émotion qui tenait du dégoût ou de la pitié. Il s’acharna même davantage sur le cadavre en lui arrachant la tête d’un coup de crocs bien placé, envoya cette dernière valser plus loin, et laissa s’échapper un rire satisfait de ses lèvres entrouvertes. Dément, le guerrier l’était à n'en pas douter mais cela ne datait pas de la veille. Il avait toujours eu ce caractère et m’est avis que rien ni personne ne changerait cela, car même si l’envie était là, l’on ne pourrait jamais effectuer un pareil miracle. Il était destiné à rester aussi sauvage toute sa vie, lui qui tuait partout où il passait, laissant une traînée de corps inertes dans son sillage. Et sans éprouver la moindre tristesse, la moindre commisération ou le moindre sentiment semblable à leurs égards. A chaque fois qu’Illusion Éphémère commettait un de ces crimes, il ressentait en lui une profonde satisfaction et jubilait, en proie à un brasier ardent qui le dévorait en son for intérieur. Il se demandait si aujourd’hui, ce serait le même refrain, si aujourd’hui une nouvelle féline viendrait se nicher contre lui, tandis qu’il l’empoisonnerait à petits feux, lui assurant une mort lente et douloureuse. Il en crevait d’envie mais encore fallait-il trouver la proie idéale, qui lui tomberait sûrement dessus au détour d’un chemin, totalement par hasard. C’était ce que le guerrier avait appris avec le temps: ne jamais chercher ses proies, elles venaient toutes seules vers vous, sans même une once de méfiance et sans que vous ayez esquissé le moindre geste pour les inviter à s’approcher. Ce bas monde recelait de créatures toutes plus ignorantes les unes que les autres, et les premières à être affublées de cette basse  intelligence étaient, selon lui, les femelles. Les femelles qui se prenaient pour les plus habiles mais qui, au final, ne voyaient pas plus loin que le bout de leurs museaux et qui se laissaient indubitablement prendre dans ses pièges. Tellement facilement que c’en était navrant, et que le guerrier affichait souvent une mine attristée devant leurs cadavres alors qu’au fond, il ne ressentait qu’une intense jouissance qui se répandait dans tout son être au fur et à mesure que les secondes s’écoulaient, que le temps s’effritait, inexorablement.

Illusion Éphémère entama  une  marche silencieuse dans la forêt, se délectant de ce silence qui s'était installé et qui sonnait à ses oreilles comme une mélodie muette. Comme si le Temps s'était arrêté, et que les minutes et les secondes ne s'écoulaient plus, suspendues dans l'air. Comme s'il était devenu sourd, par cette absence de tonalité, par l'absence du chant des oiseaux et des craquements de branches. Tout ici n'était que désolation, tout ici était immobile, en suspens. Et lui se déplaçait au milieu de ce tableau étrange, l'allure altière et son regard d'épervier se baladant sur chaque détail du paysage qui se dessinait sous ses yeux céruléens, effroyables mais saisissants. Un regard capable de vous faire hérisser les poils sur l'échine  et de vous faire trembler de peur sans que vous puissiez vous contrôler. S'abreuver du désespoir et de la peur des autres, il raffolait de cela et pour rien au monde il ne s'en serait passé. Voir ses proies se recroqueviller et le supplier d'une voix presque éteinte l’excitait au plus haut point et à cette unique pensée, un rire émana de sa gorge déployée. Un rire sans joie, mais un rire sarcastique, et moqueur vis à vis de tous les corps inertes qui défilaient sous ses yeux, dans sa tête. Au fond, la vie n'était purement et simplement qu'un jeu. Un jeu cruel, certes, mais un jeu, avec des gagnants et des perdants. Et si l'on voulait gagner, il fallait être plus fort mais aussi plus impitoyable que les autres. Il ne fallait pas être affaibli par le temps qui passait, mais être prêt à tous les coups pour accéder à la première place. C'était la loi du plus fort, et ça, personne ne pourrait jamais le changer, même avec toute la bonne volonté du monde. Le félin à la fourrure striée de noir passait et repassait ainsi sa langue sur ses babines puis sur son pelage pour ôter toute trace de sang et se repaître de cette saveur appétissante. Le voyage se poursuivit tout du même sans que rien ne vienne le perturber, et le silence qui s’était installé lui donnait l’impression d’être seul en ces lieux alors que ce n’était pas le cas. Les bois pullulaient de créatures et il ne doutait pas que quelques-unes se soient décidées à venir l’épier furtivement pour voir ce que pareil prédateur faisait en ces lieux et quelles étaient ses intentions. Illusion ne leur accorda cependant pas la moindre importance et ne daigna même pas river son regard sur elles lorsqu'il en croisait aux détours d’un chemin, car elles avaient tôt fait de détaler. Mais aussi parce qu’il n’escomptait pas s’occuper un tant soit peu de leurs petites personnes. Ainsi guidé par son instinct, le sombre guerrier déboucha bien vite sur un lac d’une magnificence sans pareille. Le halo argenté de la lune venait éblouir la surface irisée de l’eau qui se mouvait au gré de la brise nocturne. Loin d’en avoir le souffle coupé, pourtant, le félin esquissa quelques pas en sa direction et s’arrêta au bord. Ses globes céruléens étaient rivés sur l’étendue iridescente qui laissait apparaître une image miroitante de sa propre personne. Une image hâve et terne pourtant qui ne dévoilait que sa physionomie. Sans donner le moindre indice sur son caractère impétueux et volcanique.