.: PANDORASECRET :. JUST TELL ME ♦

                       Si chaud. Quelle délicieuse tiédeur, quelle quiétude dans cette grange. La bâtisse inoccupée était une véritable aubaine. Elle s’élevait là, au bord d’un champ, un peu avant la forêt, oscillante sur ses fondations, forte de ses murs en bois pourris par la pluie. Dans un coin, un véhicule à la robe orange somnolait, crouté de poussière. Quelques ballots de paille sèches tapissaient encore le sol d’une vieille étable, côtoyant la mousse et les herbes folles qui s’étaient fait une place dans les fissures du sol de béton. Dans le grenier qui surplombait l’unique pièce, des piles entières de pailles s’entassaient, offrant un abri sûr et confortable pour les différents mammifères qui s’y cachaient. Le tout était plongé dans une obscurité satinée, ponctuée de rayons dorés infiltrés dans les trous de la toiture. Une odeur alléchante de rongeur dodu et insouciant flottait inconditionnellement dans l’air. Pas de doute, il s’agissait bien d’un de ces petits bouts de paradis auxquels on s’attache vite. Bien trop vite.

Secret de Pandore était aux anges. Deux jours qu’il paraissait là, bien enfoncé dans un nid de paille bien chaud, c’est à peine s’il devait tendre une patte pour attraper son déjeuner tant les souris étaient stupides et dodue dans cette grange. Il demeurait là, tout ronronnant, les pattes ramenées sous son ventre, la tête posée sur un petit tas de chaume. Les yeux clos, il savourait. Le temps avait perdu de son accroche sur le félin, après tant de jours passés à errer et à subir les assauts des orages automnaux, l’abri lui était apparu comme une bénédiction, et il n’était plus tout à fait sûr de vouloir partir. En réalité il n’était plus tout à fait sûr de ce qu’il était parti faire. Depuis quelques temps le solitaire se demandait s’il ne faisait pas une nouvelle crise d’amnésie. Cela le terrorisait. Il avait peur d’oublier, de perdre l’image de sa chère et tendre, de ne plus se souvenir de ce qu’il était, de ceux qu’il aimait, même s’il les avait un peu trahit. Pas si près du but non. Pas si près de la forêt. Et pourtant, Pandore se laissait bien volontiers bercé dans le déni, ainsi affalé dans son monticule de paille. Que venait-il faire dans la forêt déjà ?..

Du bruit en bas. La souris qui faisait tant de boucan devait être sacrément grosse. L’eau monta à la bouche du matou. Devait-il se lever ? Sa paresse lui criait que non. Paresseux, oui il devenait paresseux quand sa mémoire commençait à se faire la malle. Finalement ça lui faisait bien envie quand même. Il entreprit de se lever et s’ébroua. Avisant sa fourrure pleine de paille, il y passa longuement sa langue pour la lustrer. Puis il secoua une à une ses pattes pour les dégourdir et fit le gros dos en baillant à s’en décrocher la mâchoire. Il avait l’impression d’être un vieux matou tout à coup. Agacé, il s’apprêtait à descendre quand il comprit que les sons s’étaient approchés. Une puissante odeur de chat le pris aux narines. Ce n’était pas un rongeur mais un de ses semblables. Stoppé net, Secret de Pandore plongea derrière un ballot de paille pour épier le nouveau venu qui venait d’apparaitre sur le palier.

Le guerrier blanc se retint de feuler. Qui était donc ce blanc-bec qui se permettait de s’introduire dans cet agréable paradis ? A en juger par l’odeur et l’attitude du mâle, le solitaire devina qu’il s’agissait d’un guerrier de clan, et en tenant compte de ce qu’il empestait le poisson, il était aisé de déterminer sa tribu. L’ancien guerrier du clan du Tonnerre ne le reconnu pas. C’était un matou noir et blanc assez grand et imposant. Il ne devait pas être bien vieux, mais pas trop jeune non plus, il devait avoir un minimum d’expérience. Etirant à nouveau ses muscles, décidés à prouver qu’il n’avait en rien perdu ses capacités de combattant, Secret de Pandore rampa derrière le chaume pour s’approcher de l’autre. Il ne comptait pas le prendre en traitre, simplement l’intimider en arrivant par derrière. Quand il fut positionné de manière à ce que le guerrier bicolore lui tourne le dos, il sortit de sa cachette et se racla la gorge pour attirer son attention, prenant bien soin de faire rouler sa musculature puissante sous son pelage blanc angora. Il posa ses yeux dorés sur le félin.

« Qu’est-ce que tu viens faire ici blanc-bec ? T’es bien loin de ta rivière. » Argua le solitaire, un sourire aux babines.

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                       Le félin bicolore sursauta et pivota vers le solitaire, plongeant son regard bleu dans le sien. Il semblait bien irrité, et Secret de Pandore s’en réjouit, il avait donc fait son petit effet. Sa queue frissonna de plaisir, voici bien longtemps qu’il ne s’était pas confronté à un chat de clan, et quelques réminiscences de sa vie de guerrier le submergèrent. Il devait bien l’avouer, la vie au camp lui manquait. Il avait tout quitté avec la mort de Pluie d’Anarchie. Tout le bonheur qu’il avait construit, tout ça s’est évanoui dans sa folle échappée.  Retrouver l’odeur iodé du clan de la Rivière lui procurait un plaisir fou. Pas autant que s’il avait s’agit de celle de son clan, mais un brin de apaisement tout de même.
Le matou le toisait, méfiant. A son air concentré, Pandore perçu une petite hésitation. Il devait se demander d’où un solitaire tel que lui connaissait les clans et leurs odeurs. Prenant un air effarouché le guerrier sorti les griffes et lança un regard plein de défit au chat blanc. Le solitaire le lui rendit, toujours tout sourire. Il triturait le bois de ses propres armes depuis quelques minutes déjà. Il n’avait pas spécialement l’envie d’en découdre, mais il n’avait pas non plus l’intention de se laisser marcher sur la queue. Si le chasseur voulait se battre, il n’allait pas le regretter.

« Je viens faire ce que je veux. C'est tout. » Gronda-il.

Mais c’est qu’il mordrait ! Secret de Pandore émit un ronron amusé. Sa queue balayait le sol à cadence régulière et il changeait constamment l’appui de ses pattes arrière, comme prêt à bondir. Pourtant l’autre sembla se raviser car il relâcha les muscles tendus de ses larges épaules d’un coup. Il rentra ses griffes et laissa tomber son arrière-train pour s’assoir face à Pandore. Une pointe de déception submergea le matou immaculé. Mais il fit de même et fixa ses yeux dans ceux du jeune chat.

« Comment as-tu su que je venais de la Rivière ? Et tu m'as l'air bien robuste pour un chat solitaire. » Fit l’autre en léchant avec application l’une de ses pattes, comme pour se calmer.

Curieux avec ça ? Robuste ça oui, il l’était, le chat adverse était-il tenté d’y gouter, à cette robustesse ? Secret de Pandore hésita. Devait-il être sincère on continuer de jouer un peu. L’idée était tentante. Il préférait attendre d’avoir un peu d’estime pour le chasseur avant de lui confier ses sources.

« Avant de me demander d’où je tiens mon expérience comme un puéril petit apprenti, commence par te présenter avant que je n’en sache trop sur toi sans que tu n’aies rien révélé. Ton mentor ne t’a jamais appris à peser le poids de tes paroles petit ? Tu as pourtant bien dû assister à une assemblée… »

Le mâle blanc se stoppa. L’assemblée. Bien sûr le jeune chat avait bien dû s’y rendre. Et s’il avait vu les apprenties que lui recherche ? Peut-être étaient-elles même guerrières à présent. Une vague de culpabilité le saisit. Dire qu’il ignorait tout jusqu’à leur couleur de pelage.  Ils les avaient tant condamnées pour la mort de sa compagne à l’époque, il n’avait même pas pris le temps de s’intéresser à ses propres filles. Un vague instant il se souvint du pourquoi il était là aujourd’hui, et il s’agrippa à cette pensée pour ne pas la laisser couler. Ce chat pourrait peut-être lui en dire plus sur ses enfants, les avait-il déjà rencontrés ? Un fol espoir fit emballer son cœur. Il devait y aller en douceur, ne pas brusquer.

« Allez, je te devance un peu. Je m’appelle Secret de Pandore, très honoré. »

Regard Pacifique posa sa patte à terre et regarda le félin dans les yeux. Il sembla hésita un court instant. Le guerrier de la Rivière savait très bien à quel danger il s'exposais en restant ainsi, muscles détendu et étant assis.

« Avant de me demander d’où je tiens mon expérience comme un puéril petit apprenti, commence par te présenter avant que je n’en sache trop sur toi sans que tu n’aies rien révélé. Ton mentor ne t’a jamais appris à peser le poids de tes paroles petit ? Tu as pourtant bien dû assister à une assemblée… » lança le matou blanc, avant de finir sa phrase dans le vide.

L'observant, Regard Pacifique regardait le changement d'attitude. Il paraissait perdu, perdu dans ses pensées, à réfléchir. Le félin tacheté battait de la queue sur le plancher. Il n'avait pas aprécier la remarque sur le faite qu'il soit un puéril petit apprenti et comptait bien renvoyez au mâle encore plus qu'il ne lui avait dit, mais il fut pris de court par le félin blanc.

« Allez, je te devance un peu. Je m’appelle Secret de Pandore, très honoré. »

Regard Pacifique tourna la tête, hébété. Le félin qui lui parlait était-il celui qui venait de le rabrouer à l'instant ? Non pas qu'il soit mécontent de se changement, il se demandait se qu'il pouvait bien se passez dans sa tête. Secret de Pandore. A l’évocation du nom, il se souvint en avoir vaguement entendu parler lors d'une de ses premières assemblée, mais il ne savait plus pourquoi. Le changement de comportement abrupte de celui-ci donnait à Regard Pacifique l'envi d'en savoir plus, beaucoup plus sur lui. Le regardant dans les yeux, il se prépara à répondre.

« Moi c'est Regard Pacifique. Enchanté. » 

Il ondula la queue, hésitant à en demander plus sur lui. Après tout, pourquoi pas ? On pouvait toujours espérer. De plus, Regard Pacifique avait l'air de représenter un grand intérêt pour Secret de Pandore. Il se leva et se déplaça vers un tas de paille pour s’asseoir dessus, au lieu du plancher du grenier. Observant le félin blanc, il remua les oreilles.

« Et ... Tu était un guerrier avant ? » demanda-t-il, d'une voix franche et sûr.

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                       Le minet bicolore semblait ne pas avoir apprécié sa remarque, ce qui amusa Secret de Pandore. Cependant son regard reflétait son trouble. Avait-il été surpris par le brusque revirement du matou immaculé ? Il avait toujours été comme ça, cassant au départ, tendre à l’arrivée. Cela venait en partie de sa timidité, il se donnait contenance avant toutes choses. Tandis qu’il attendait la réponse, il remarqua que le guerrier le dévisageait, l’air pensif. Peut-être que son nom lui évoquait quelque chose finalement ? Un peu tendu à l’idée de connaitre sa réputation dans la forêt, il se demanda si Etoile de la Biche avait parlé aux clans de sa cruauté. Peut-être avait-elle donné l’ordre de l’abattre si on l’apercevait, après tout il était un traitre, et aucun clan quelque qu’il soit ne resterait insensible devant la barbarie de son crime. Il avait laissé un chaton d’à peine une lune seul dans la forêt, par pure lâcheté. Il secoua la tête et reporta son attention sur le chat, s’attendant à tout moment à ce qu’il percute. Mais le moment ne vint pas et il se contenta de répondre :

« Moi c'est Regard Pacifique. Enchanté. »

Pandore lâcha un petit soupir de soulagement et ouvrit la bouche pour parler. Mais Regard Pacifique s’était éloigné et posait à présent son arrière train dans la paille pour se mettre à l’aise. Le solitaire ravala un remarque cinglante, supportant difficilement qu’on s’incruste dans son chez lui de cette manière. Il devait se contenir s’il voulait lui soutirer les informations qu’il voulait. D’un pas mesuré, le matou le suivit en grommelant intérieurement et se vautra dans son nid, face à l’autre qui renchérissait sur une question.

« Et ... Tu étais un guerrier avant ? »

Après un instant, Secret de Pandore se contenta de hocher silencieusement la tête, les yeux mi-clos. Oui guerrier il l’avait été, et il se plaisait à penser qu’il le serait toujours. Guerrier fier et brave. Guerrier lâche et paresseux. Père d’un jour, compagnon éperdu. Il aura été tout ça. Et aujourd’hui qu’était-il ? Il n’en savait trop rien. Une loque ? Non plus à présent. Un solitaire oui, bien seul à la vérité, ce qui en fin de compte ne choquerait personne. Que faisait-il ? Il rentrait. Il rentrait. Il rentrait. Le matou se répéta ces deux mots obstinément, il savait qu’il allait encore oublier. Saleté d’amnésie, elle le prenait toujours quand il ne fallait pas. Il frémit encore, la phrase s’était évanouie. Que faisait-il ?

« Qu’est-ce que je fais ici, tu le sais ? » Demanda-t-il à l’autre, complètement chamboulé.

Il rouvrit les yeux, terrifié par l’arrivée subite d’un chat devant ses yeux. Mais aucun chat n’avait jaillit de l’obscurité. Était-ce un rêve éveillé ? Secret de Pandore ne se sentait pas très bien, il avait l’impression d’être terriblement vieux tout à coup. Quel âge avait-il ? Cinquante lunes peut-être… Etait-ce vieux ? Oui assez, mais pas assez pour faire de lui un ancien. Il se redressa d’un bon et tituba sur le plancher, vers la sortie, avant de se rappeler de l’autre qui l’observait.

« Aide moi petit, je ne sais plus où je vais, implora-t-il d’une voix rauque. Mais je sais que c’est important. »

Le matou blanc hocha la tête. Guerrier. De quel clan il venait ? Pourquoi avait-il abandonné sa vie de guerrier pour une vie comme celle-ci ? L'avait-il déjà vut ? Qui était-il vraiment ? Tant de questions émergeaient des pensées de Regard Pacifique. Cette rencontre était et devenait de plus en plus mystérieuse. Il voulait posées toutes ses réponses d'un coup, comme une vague, et avoir les réponses. Il détestait les mystères, bien qu'il en soit un lui aussi. Il secoua la tête, perdu dans ses pensées quand une voix l'interrompit et le tira de son esprit.

« Qu’est-ce que je fais ici, tu le sais ? » Demanda-t-il à l’autre, complètement chamboulé.

Comment ça ? Comment pouvait-il savoir ce qu'il faisait ici puisque que il se le demandait lui aussi ? Il avait l'air perdu, perdu dans ses pensées, dans ses gestes. Non, il ne le savait pas, il ne savait pas se qu'il faisait ici. Peut-être devait-il le ramener au clan de la Rivière, Étoile Majestueuse le connaîtrais peut-être et il pourrait savoir se qu'il fait ? D'un bond, Secret de Pandore se leva, et marcha vers la sortie. Où va-t-il ? Si il ne sait même pas se qu'il fait ici, où voudrait-il allez ? Il se leva et fit tourbillonnez les brins de paille d'or quand il bondit vers le matou blanc.  

« Aide moi petit, je ne sais plus où je vais, implora-t-il d’une voix rauque. Mais je sais que c’est important. »

Regard Pacifique dévisagea le matou. Comment voulait-il partir, sans savoir où allez ? Il ne se fit pas prier se plaça à ses côtés. Puisque il était guerrier, peut-être devait-il le ramener dans la forêt de Cerf Blanc ? Oui, il devait l'amener, au Clan de la Rivière, peut-être aurait-il des souvenirs ? Il tourna ses yeux bleu dans ceux de Secret de Pandore.

« De quel clan vient-tu ? Tonnerre ? Vent ? Ombre ? »

Peut-être il pourrait même le ramener dans son clan ? Il était perdu, alors peut-être que des lieux qu'il connaissait pourrait l'aider ? Il était robuste, et il n'avait rien à faire dans une veille grange toute mité. Sa place était dans un clan, avec les siens. Il l'aida à descendre les escaliers pour se diriger vers la sortie.

« Et ... Tu voudrais pas retourner dans la forêt ? Peut-être que cela pourrait t'éclairer non ...? » demanda-t-il d'une voix peu sure.