.: DOESTAR :. SI#

                       La pluie battait une mesure rauque, noyant de boue la forêt encore trop sèche. Un déluge de petites gouttelettes rosées par le crépuscule, mêlant l’automne à sa trainée, elle entrainait avec elle les premières feuilles jaunît, les plus faibles, celle qui n’ont pas supporté ces jours plus court, cette fraicheur retrouvée, cette clarté si singulière. Etoile de la Biche progressait péniblement dans la boue et les cendres trempées des vestiges de la belle saison. Elle avait le dos brisé, les pattes endolories. Sa queue pendait derrière elle, sa tête, irrémédiablement basse. Deux jours que la chatte n’avait rien mangé, elle s’était contentée de boire le sel de ses larmes, elle s’offrait toute entière à la misère du ciel. Son pelage imbibé était sale et terreux, ses grands yeux verts clos. Elle avançait à l’aveugle, trébuchait, se redressait toujours tendues vers le camp. La femelle en sentait déjà les effluves, noyée par l’ondée, elles restaient pourtant perceptible. De toute manière, Etoile de la Biche connaissait par cœur la route. Elle avait pourtant essayé de se perde volontairement, et toujours elle retrouvait le chemin, ses pattes l’y emmenait par instinct.

Le camp s’ouvrait à ses pattes, nichées dans un ravin, enfoui sans la végétation. Elle ouvrit ses yeux brûlant, palpitant de douleur. Le ciel continuait de se déverser au-dessus d’elle, faisant chanter les feuilles. La chatte tigrée avait le cœur gros. Elle fixait son foyer, le cœur en guenille. Ici elle s’était inventé un Eden, elle avait semée ses utopies. Jamais elle ne s’était imaginée souffrir ici, et pourtant. Pluie d’Anarchie était partie. Secret de Pandore était parti. Nuit Constellée était partie. La guerrière ravala un sanglot. Nuit Constellée avait disparue. La lieutenante était introuvable, évanouie dans le vert infernal de sa forêt. Etoile de la Biche s’en voulait. Elle était responsable. Si elle avait eu ce don d’effacer, de tout refaire. Elle se contentait d’alimenter les rivières en larme, de se fondre en orage. Elle savait qu’en contrebas, des dizaines de ses semblables attendait les nouvelles, deux jours qu’elle était partie. Si elle ne revenait pas, elle non plus, leur manquerait-elle ? L’idée battait ses tempes. Si la meneuse disparaissait ? Elle retrouverait bien quelques réconforts, même loin de tout ceux qu’elles aiment. Elle détourna le regard du camp. La chatte se sentait si faible. Elle n’avait ni les charmes ni les forces de tous ceux qu’elle admirait. Elle se sentait terriblement seule dans un monde inhabitable, vivant d’un air qui ne lui est pas destiné.

Si elle avait été une fée, une princesse, si elle pouvait cultiver son propre bonheur, la quiétude de son âme à elle. Serait-ce égoïste ? Est-il injustifié de se donner aux plaisirs faciles. Est-ce bien ce qu’Etoile de la Biche voulait ? Être seule dans sa félicité, ou souffrir à plusieurs. Elle secoua la tête, récita une prière à ses ancêtres, s’excusa d’avoir de telles pensées. Elle était là pour animer les flammes dans les esprits de ses guerriers, elle s’était engagée à mener son clan. Plier lui était interdit. Elle fit mine de dévaler la pente, mais prenant conscience de son état, elle se stoppa, s’ébroua pour chasser l’eau et passa sa langue dans son pelage, ignorant le goût âcre de la terre. Un peu plus présentable à présent, la chasseresse se força à ouvrir tout grand ses deux yeux très verts, malgré les gouttes qui les irritaient. Elle se sentait un peu plus sereine, comme au matin d’une bataille après une nuit passée à prier. Elle allait prendre les armes, retrouver un semblant de courage, car c’était là sa réalité.

Le clan se dissimulait dans les bosquets, recroquevillés sous la pluie. Quand la chef pénétra dans la clairière, un semblant d’intérêt alluma leurs yeux, puis s’éteignit quand ils comprirent qu’elle était seule. Sans un mot, la queue au ras du sol, la jeune chatte fila au promontoire, bondit à son sommet. La tête lui tournait, elle s’agrippa désespérément à la roche pour ne pas basculé. Malgré le déluge, les félins commencèrent à se rassemble autour d’elle, arc-boutés sous les eaux. Etoile de la Biche entonna un récit de ses recherches, la voix brisée, les larmes roulant sur ses joues à l’idée que Nuit Constellée ne serait plus jamais à avec elle. Elle espérait que la pluie masquerait son chagrin, comment différencier les pleurs des gouttes ?

« Nuit Constellée est introuvable, lâcha-t-elle, la voix rauque. Elle n’est plus sur le territoire, son odeur est évanouie dans les effluves de la forêt. Je ne saurais pas vous dire si elle est vivante, ce qui l’a poussé à partir, je ne saurais pas vous promettre qu’elle reviendra un jour, mais nous devons continuer à vivre. Le clan a besoin de son lieutenant, mais avec ou sans lui, il doit vivre. La mauvaise saison approche, il nous faut nous unir, rassemblons nos cœurs, quel hiver nous résisterait si nous joignons nos voix ? »

Elle marqua une pause, le vent ébouriffait les pelages, la pluie s’apaisait un peu. Dans une trouée au-dessus d’eux, un rayon blanc filtrait.

« Je vais nommer un nouveau lieutenant, reprit-elle après un instant. Nous rebâtirons de ses cendres notre idéal. »

Elle balaya l’assemblée du regard, sachant parfaitement qui nommer. Son regard s’arrêta sur le pelage brun tigré d’une petite chatte aux yeux verts. Le regarde de la fille croisa celui de la mère, et elles cillèrent dans le même temps.

« Ecaille d’Hippocampe remplacera Nuit Constellée au poste de lieutenant du clan. »

Des acclamations hésitantes s’élevèrent, puis emplir le silence recueillis pour acclamer la nouvelle lieutenante. Etoile de la Biche sourie malgré tout, fière de son petit. Elle laissa la guerrière venir se positionné à la place qui lui revenait à présent avant de reprendre.

« De plus, afin de nous changer les idées malgré tout, j’aimerais accueillir un nouvel apprenti. Petite Ombre, tu as atteint l’âge de commencer l’entrainement. Tu t’appelleras dès à présent Nuage d’Ombre, et Volupté Archangélique sera son mentor, puisses-ton entrainement t’apporter tout ce don tu as besoin pour faire de toi un vaillant guerrier. »

Elle laissa la félicité baigner la clairière alors que la pluie se retirait et vint se presser contre le flanc d’Ecaille d’Hippocampe, cherchant des couleurs aux peines.