Nous ne pouvons rien contre notre destin. Celui-ci est déjà tout tracé avant même que nous naissions, et il nous réserve parfois de mauvaises surprises. Nuage Abyssal en a fait la douloureuse expérience. Sa vie à basculé du mauvais côté lorsque une guerrière au pelage d'ébène prénommée Pelage d'Ombre lui a arraché l'odorat par les griffes. Pendant un jour entier, le jeune apprenti a errer en territoire bipèdes, à la recherche de son territoire. Pendant cette journée - ou plutôt cette nuit -, il a fait la rencontre de deux apprenties rivales, et a fait d'étranges découvertes. De retour au camp, il compris que malheureusement, la vie d'apprenti n'est pas forcément la meilleure.

Le pelage trempé par la pluie estivale, un félin tigré avançait à contre vent. Ses yeux turquoises brillaient sous le clair de lune, semblant refléter quelque chose d'irréel. Un fantôme, peut être. Ce chat se nommait Nuage Abyssal, un apprenti du Clan du Vent. Pour lui, ces terres d'aspect inhospitalier sont encore totalement inconnues. Mais l'apprenti guerrier n'était pas du genre à reculer devant ce genre de paysage, au contraire. Il aimait l'aventure, mais pas quand elle prenait une mauvaise tournure. Nuage Abyssal pensa à son énorme plaie rougeâtre gravée le long de son museau, cause de la perte d'un de ses cinq sens : l'odorat. Il soupira. Ce n'était que son premier entrainement de chasse, Pelage d'Ombre n'avait pas besoin de lui faire ça, c'est abusé ! Mais ce qui est fait est fait, et il est malheureusement impossible de revenir en arrière, maintenant.
Le félin brun tigré s'assis, face au chemin de fer. Chaton, on le lui en a déjà parlé à nombre reprises. Il semblait s'étendre à l'infini, et dater de la création des clans. A vrai dire, il l'imaginait plus petit, plus neuf, moins impressionnant. Mais visiblement, il s'était trompé sur toute la ligne. Il trouvait cet endroit tout simplement magnifique, mais contempler le paysage ne l'aidera pas grandement à surmonter ses problèmes. Ce qu'il fallait, c'était d'en parler, à quelqu'un d'autre que Nuage d'Hippocampe, à quelqu'un d'autre que son Clan. Depuis qu'il était rentré au Camp, il n'avait pas dit un mot aux autres apprentis, même à son meilleur ami Nuage Interdit. Il voulait juste s'isoler le temps qu'il réfléchisse à tout ça. Mais pas trop longtemps, ou la fatigue pourrait venir et il finirait par s'endormir au milieu des mauvaises herbes qui avaient poussé tout au long des années.

Remarquant que la pluie se calmait, le jeune félin songea a rentrer au camp, au cas où la pluie reprendrait, car il tenait à se coucher au sec. Il ne s'était pas encore levé qu'il entendis les battements d'ailes d'un corbeau qui venait de s'envoler. Aussitôt après, des bruits de pas félins parvinrent aux oreilles de Nuage Abyssal. Quelqu'un approchait, et sans odorat, impossible de savoir à quel clan le chat appartenait.

Brusquement, les oreilles de Nuage Abyssal tressaillirent à l'approche d'un bruit sourd. A l'instant même, une bête au pelage et aux formes aussi étrange qu'un monstre traversa le chemin de fer. Sans doute une cousin des engins de locomotion des bipèdes : ce monstre là était plus grand et long que les normaux, mais il semblait sentir tout aussi mauvais qu'eux. En revanche, celui qui venait de traverser le long chemin de bois et de ferraille était bien plus rapide et bruyant, mais surtout, bien plus effrayant. Les membres transis par la peur, bouche bée et yeux écarquillés, il ne se sentait pas capable de reculer, et cru bien s'être fait emporter par le vent que l'énorme bête tout de fer avait créer sur son passage lorsque des crocs s'enfoncèrent dans la chair de son cou, le propulsant une queue de renard à l'écart des rails. Il entendit une voix féline s'écrier : « Qu'est-ce que c'était ?! », avant de laisser ses yeux se fermer, assommé.

Nuage Abyssal ouvrit ses yeux bleus sur un chat gris rayé. Il semblait aussi effrayé que l'apprenti, mais n'avais pas l'air de s'être évanoui bêtement comme venait de le faire le jeune félin à la fourrure tigrée. Il cilla des yeux pour que sa vue s'éclaircir, et conclut d'un rapide coup d’œil sur le félin qui se penchait sur lui pour en déduire que c'était un guerrier du Clan de la Rivière. Durant les deux derniers jours qui avaient succéder à son retour au camp, il avait appris à reconnaître un membre d'un clan rival grâce à son physique, ce qui l'arrangeait bien. Il espérait seulement que celui-ci n'avait pas de mauvaises intentions, car il ne souhaitait pour rien au monde revivre la même mésaventure. Il ordonna à l'inconnu de s'écarter d'un feulement, une lueur dans le regard qu'il espérait assez menaçante pour que le guerrier de la Rivière lui obéisse. Nuage Abyssal se releva, les muscles bandés, prêts à encaisser une éventuelle attaque de la part du mâle gris, comme Danse de la Tigresse le lui avait appris à son retour. Voyant que pour le moment il semblait pacifique, il se détendit légèrement. Sans quitter son visiteur du regard, il donna quelque coups de langue sur son poitrail pour faire plaquer sa fourrure qui s'était dressée automatiquement.

D'un ton plutôt désagréable, l'air quelque peu prétentieux, il demanda au guerrier rival, la queue fouettant l'air.

« T'es qui toi, au juste ? Et pourquoi tu me regardes comme ça ? »

Quand nous sommes privés de quelque chose, nous râlons, boudons, jusque à pouvoir récupérer ce que l'on nous a pris. Nuage Abyssal, lui, a beau se lamenter sur son sort, il ne récupéra jamais ce qu'il a perdu : son flair.
Quand on vit dans les landes, des tas de délicieuses odeurs flottent dans l'air en permanence. Le jeune félin n'aura pu les savourer qu'une seule et unique fois, après quoi, une mauvaise rencontre avait gâché sa vie. Dès qu'on lui parlait de sentir, il se sentait mal à l'aise, parfois jusque au point de devenir agressif. Arbre Enneigé - car le chat qui se tenait face à l'apprenti se nommait ainsi -, s'était présenté brièvement, confirmant à Nuage Abyssal que le chat était bien un guerrier du Clan de la Rivière. Le regard glacial de l'apprenti guerrier fixait le museau du guerrier. Il fallait être franc, il l'enviait. Oui, il l'enviait d'avoir un nez intact, capable de sentir tous les fumets environnants. Même la puanteur manquait au chat tigré, il le savait. Un bruit paru soudainement à l'oreille du félin. Il cessa les battements de la queue, et fronça les sourcils comme il le faisait à chaque fois qu'il essayait d’identifier un bruit ou une forme floue. Quelque chose de vivant approchait d'une démarche lourde et pataude, tout l'inverse d'un chat. L'allure était à deux temps, ce qui rimait à deux pattes. Un bipède. Il était lent, et encore loin, mais il finirait bien par arriver jusque aux deux chats.

« Tu ne sens pas cette odeur? Vite! Viens il faut se mettre à l'abri! », C'est ce qu'avait dit le guerrier rival. Il avait autant de courage qu'une souris : rien. Un peureux de première. De plus, il l'avait offensé en parlant de sentir une odeur. Même si le chat tigré n'avait rien dit à propos de son handicap, il se doutait bien que l'autre aurait bien pu le deviner. A sa cicatrice, à son nez plus immobile qu'un mort... En réponse, Nuage Abyssal resta immobile et plongea ses beaux yeux dans le vague. De la brume recouvrit ceux-ci, rendant son regard quelque peux mystérieux et inquiétant. Le jeune chat ferma à demi ses yeux bleus, lui donnant un air un peu bourru. Brusquement, il fit volte face, et feula sur le nouveau venu : un bipède qui faisait au moins dix fois sa taille. Le jeune chat plaqua ses oreilles en arrière, apeuré. Il se sentait minuscule, et n'avait plus qu'une chose en tête : la fuite. L'option de secours, celle qu'il n'utilisait qu'en cas d'extrême urgence. Nuage Abyssal ne voulait plus entendre parler de bipèdes, sachant que l'un d'entre eux était peut être celui qu'il l'avait sois disant abandonné. Une voix intérieure soufflait au félin la terrible vérité. Il aurait voulu la croire, mais le fait qu'il ne soit jamais un de ces guerriers pur de sang lui faisait hérisser les poils de la queue jusque aux moustaches. Il ne serait jamais l'un d'entre eux. Il était différent, voilà tout. C'était son destin, et pour le moment, il avait décidé qu'il fuie.
Ignorant la douleur des gravillons sous ses pattes, Nuage Abyssal couru jusque à la première barre de bois. Il la franchit sans hésiter, et se faufila entre deux barres métaliques, jusque à ce qu'il puisse sauter par dessus la seconde en bois. Il s'arrêta, sans regarder la scène derrière lui, puis reprit sa course pour se jeter dans un bosquet. Il y serait en sécurité, il attendrait juste que la voie soit libre pour quitter cet endroit et rentrer chez lui.