♦ Le Cygne ♦

Vous êtes Mathilde. Et c'est tout. À mes yeux insignifiants et égoïstes. C'est tout. Mais pourtant, vous êtes bien plus. Vous êtes la Princesse Mathilde. Celle qui ne dit mot. Celle qui monte à cheval. Celle aux cheveux d'argent. Et aux yeux d'océan. Mais vos yeux ne me voient pas. Vos yeux ne parlent pas. Vos yeux sont colorés et gris à la fois. Froids et pleins de vie. Votre regard est le gouffre dans lequel je ne peux m'empêcher de tomber, encore et encore. Vous êtes celle que j'aime, et celle que je hais. Je ne peux vouloir votre mort, même si elle m'arrangerait. Pourquoi me regardez-vous avec cet air hautain ? Pourquoi le regardait vous avec ce profond respect. Lui et pas moi. Vous êtes injuste ma Princesse. Vous êtes injuste Mathilde.

Mais vous n'êtes pas seule. Votre sœur éclaire le chemin tracé pour vous. Mais vous, je vous connais, vous êtes mienne. Et elle, c'est juste votre sœur. La seule raison de mon intérêt pour elle. Philaé est liée à vous par le sang, Mathilde. Son regard est le votre, son visage est le votre, son corps est le votre. Mais pas son cœur. Ni sa voix, vous n'avez pas de voix ma Princesse. Votre voix est mon rêve irréel. Votre voix est mon vœu, votre voix m'obsède et m'effraie. C'est la seule chose que j'ignore de vous, et je n'aime pas ignorer.

Mais si mes rêves ne se limitaient qu'à entendre votre voix... Non, ils sont bien plus impossibles, bien plus irréalistes, bien plus agréables et bien plus horribles. Je rêve de vous, mais vous n'en doutez pas. Je rêve de votre amour pour moi, car je sais qu'il est tel une fleur qui attend d'éclore, tel une graine qui attend le dégel. Il est la, inaccessible, mais la. Et cet espoir me fait rêver. Vous serez mienne Mathilde, car je suis votre, et vous me devez justice. Car la vie est ainsi, rien n'est gratuit. Un roi paye son paysan par sa sécurité, et ce dernier paye sa sécurité par son travail. C'est un cercle vicieux auquel vous ne ferez pas exception. Je vous aime, vous m'aimerez.
Philaé, elle aussi, l'aime. Lui. Il est le centre de votre regard. De vos pensez. Pourtant, il vous observe comme si vous ne signifiez rien pour lui. Bien entendu, c'est quelqu'un pour qui vous êtes frivole ma Princesse, quelqu'un qui se fiche de votre existence. Bien qu'elle constitue l'ensemble de ses richesses. Parce que oui. Vous êtes fiancée au Prince Yssa. Votre cœur ne voit que lui. Ne vit que pour lui. Si je suis jaloux ma Princesse ? Bien sur ! Yssa n'a d’autres qualités que d'être Prince. Son regard est vide, un bleu tâché d'ambre, encadré de cheveux roux, et fou. Non Princesse, il n'est pas beau. Il est simple. Moi, la cour de votre Père fourmillante de jolie servante est à mes pieds. Malgré mon rang de domestique, Mathilde, ouvrez les yeux.

Le château bat son plein, de toutes parts, des servants et des domestiques courent, se dépêche de ranger, de laver, de préparer le dîné. Suis-je censé me dépêcher aussi de vous servir ? Je ne suis pas pressé Princesse, je ne veux pas vous voir mariée. Oui, ce banquet de votre royal père précède votre mariage. Celui qui vous lie au Prince Yssa. Votre regard brille d'une joie que je veux posséder. Une joie qui m'est inaccessible. Votre joie. Mais mon rang m'oblige à la partager. Je me dois d'être heureux de votre bonheur. Mais je me fiche de votre bonheur. Je veux votre cœur, je veux qu'il m'appartienne, peu importe la manière. Votre bonheur viendra après.
Vos longs cheveux platine, presque transparents tant ils sont fins et légers, sont ornés de fleur bleues, et ces fleurs elles mêmes s'accorde avec vos iris. Aucun sourire ne se dessine sur vos lèvres muettes, mais le reste de votre visage sourie à leurs places. Je suis condamné à vous observer vivre ce bonheur complet avec lui. C'est ainsi. Mais je ne veux pas. Non. Les choses ne viennent pas en attendant. Et vous ne viendrez jamais à moi. Dans ce cas, c'est moi qui viendrai à vous. C'est votre faute Mathilde. Je vous aime, je m'offre à vous, mais vous me rejetez. Je n'y suis pour rien Princesse, c'est votre faute.

Vos bras sont fragiles et fins. Mes mains pourraient les casser si l'envie m'en prenait. N'est ce pas ? Je suis grand, fort, et entraîné au combat depuis tout petit, pendant que vous tiriez les cheveux de votre soeur. Si vous résistez Princesse, je peux vous tuez. Mes mains peuvent se refermer sur votre gorge blanche, et la serrer telle une poupée de chiffon. Je pourrai me venger Princesse, oh que oui. Mais le contact de vos lèvres me suffit.

Vous êtes debout, comme toujours, digne et fière. La tête haute. Mais si j'étais l'un de vos chats ébène, je m'étoufferai dans votre peur. Si le silence règne, et que votre bouche reste figée, vos yeux crient à sa place. De peur, de dégoût ou de rage, je ne sais pas. Mais votre regard entre en moi, plus douloureux qu'une lance en plein cœur, il me toise. Je le sens glacer le sang de mes veines, il se propage en moi, plus rapide que les battements de mon cœur. Il l'arrête, vous êtes cruelle, le bleu glaçant de votre regard se répand dans mon corps tel la peste dans un village.
Arrêtez Princesse, s'il vous plaît arrêtez cette torture. Comme si vous aviez entendu ma prière muette, vous arrêtez de reprendre ce venin dans mon corps. Vous reculez lentement, puis, comme si un pouvoir invisible avait arrêté votre torture, vous partez en courant. Tout mon corps me cri de vous attraper et d'en finir avec le monstre qui vient de me figer sur place. Mais, mes membres ne répondent pas. Ou alors est ce moi qui ne les appelle pas ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Tout se confond en moi. Ma vue se brouille, oh Mathilde qu'avez vous fait ? Êtes-vous vraiment ce monstre que je crains, ce monstre que j'aime. Il fait noir, plus rien. Je ne vois plus rien.

M'avez vous tué ? Oh Princesse m'avez vous tué ? Non, je sens le froid sur mon corps. Je sens encore le venin que vous avez répandu en moi. C'est donc cela, ce pouvoir qui renferme les secrets de notre royaume ? Un venin qui glace les veine de son adversaire ? Pourquoi moi Mathilde ? Pourquoi ? Depuis mon plus jeune âge, je vous sers, je vous aime. Et c'est ainsi que vous me remerciait. Vous êtes un monstre. C'est tout.

Une main froide se pose sur mon front. Une sauveuse, face à une bête comme vous, il faudrait une armée de dix mille hommes, mais cette main, suffit à me faire oublier le mal que vous m'avez fait. J'ouvre les yeux, un rayon m'accueille avec la douceur d'une mère. Une jeune femme aux cheveux d'argent me sourie, est ce vous ? Ne m'approchez pas. Ne me touchez pas. Pourtant, le bleu de ses yeux n'est pas aussi glacial que le votre, ses cheveux sont légèrement plus bouclés. Son sourire est présent, agréable. Et sa voie est douce, sa voie ! Ce n'est pas vous, c'est votre sœur. Princesse Philaé. Elle murmure quelques mots, et caresse doucement mon front. Pourquoi n'êtes vous pas comme elle ? Pourquoi n'avez vous pas sa chaleur, pourquoi possédez vous a la place un venin glacial ? Elle me lève délicatement, me tend un verre remplie d'une boisson bleu, presque transparente. Mon esprit prend un temps fou à reconnaître qu'il s'agit d'eau. Mais son contact me ramène à la raison. Dieu seul sait pourquoi mon regard vous cherche. Votre sœur me quitte, je la regarde partir comme si sa vie était liée à la mienne, un goût d'amertume dans la bouche.

Le soleil brille de mille feux, éclairant autant la cour que les jardins resplendissants de Sa Majesté. Bientôt, vous serez loin. J'essaye d'accumuler de la haine contre vous. Vous n'êtes pas si fragile, moi qui le croyais. Mais je vous aime, et malgré votre venin invincible je vous aime. Je ne sais pas si Yssa peut vous offrir cette chance. Je n'en suis pas sur. Mais je ne peux tout de même pas oublier votre don, votre pouvoir. Il est horrible, effrayant, mais vous êtes Mathilde. Et dans moins d'une demi-journée, vous serez mariée à un autre homme. Non, malgré ma haine et ma rage, je ne veux pas vous perdre. Est ce idiot ? Je ne sais pas. Sûrement.
Les jardins sont en fleurs, points colorés au milieu du paysage monotone qu'est une prairie. Petites aléas de joie, car je vous cherche. Et je ne vous trouve pas, pourquoi vous cachez vous ? C'est vous le chasseur, moi le loup. C'est vous le monstre, moi je ne suis que la victime de votre cruel venin. Venez a moi, je vous en pris. S’il faut que je m'excuse, je le ferai. Mais je veux vous voir, rien qu'apercevoir votre chevelure argentée avant que vous disparaissiez. S'il vous plaît Princesse, s'il vous plaît. Non, vous continuez votre torture. M'empêchant de m'approcher de vous. Je tombe à terre, abattu. Mes mains se perdent dans ma chevelure ébène, ou êtes vous ? Un cri de détresse sort de ma bouche, je me regarde, est ce moi qui vient de crier. Je ne reconnais même plus ma voie. Peu importe, je ne veux qu'une chose. Vous voir. Ou êtes-vous Princesse ? Pourquoi êtes-vous si cruelle.

Un murmure me parvient, un murmure ? Ici ? Des chuchotements, des soufflent. Il y a des gens, derrières les buissons. C'est lui, ses cheveux roux reflètent la douce lumière de midi. Lui et... Mon souffle ne peut qu'être coupé ma Princesse, je ne peux pas lutter contre ma surprise. Oh, je suis tant désolé, j'aimerai ne jamais être venu ici. J'aimerai que ce que je vois ne soit qu'une illusion. J'aimerai ne pas me réjouir de votre malheur, j'aimerai ne pas être heureux... Oh, Mathilde j'aimerai tant, mais c'est ainsi. Je peux effacer ce que viens de surprendre. Je ne peux effacer votre amour pour Yssa, je ne peux effacer l'amour de Philaé pour Yssa, je ne peux effacer mon amour pour vous, et je peux effacer l'amour d'Yssa pour Philaé. Ils sont la, je n'y peux rien. Ils s'aiment, je n'y peux rien. Mais je ne peux être désolé. La vie est injuste Mathilde. Vous le comprendrez enfin en voyant cela. Enfin.

Je regarde les deux amants, je jalouse leur amour. Mais au fond, ils sont aussi malheureux que moi. Ils sont tel deux chatons séparés à la naissance. Il part avec sa sœur. Elle reste pour être mariée plus tard. C'est ainsi depuis des siècles. La Princesse qui détient le pouvoir secret disparaît du royaume au plus vite. Mathilde, vous savez que votre père ne fait pas cela pour votre bien. Il veut juste éloigner le venin. Pourtant il revient sur sa Terre natale, encore et encore. Sans que personne ne sache le maitriser, sans que personne ne sache l'aimer.
Votre robe est blanche, de toutes parts, des nœuds et des rubans volent au léger vent qui nous entoure. Votre regard à perdu tout le venin qui le possédait quelques heures plus tôt. Je n'ai pas réussi à vous trouver. Pas réussi à vous conserver près de moi. Ni vous protéger contre la haine de votre père. Dans peu de temps, vous serez mariée à un homme qui ne vous aime pas, qui a sûrement peur de vous. Finalement ma vie est plus douce que la votre.

Il arrive, magnifique, comme toujours. Son regard bleu ambré balaye l'assemblée, qui attend dans un silence tendu, il semble fier. Jamais personne n'imaginerai qu'il n'aime pas sa fiancée. Non, parce que c'est un comédien hors pair. Mais quand le regard bleu de Philaé croise le sien. L'hésitation pointe, puis la tristesse, son allure ralentit, mais personne ne remarque rien. Il détourne la tête et baisse les yeux, continuant son chemin vers vous. Vous ne voyez rien, aveuglée par votre propre amour, vous privez trois personnes proches de vous de leur véritable amour. Cruelle ? Sadique ? Non, juste aveuglée.

Il avance, retirant peu à peu des mètres entre vous et lui. Ajoutant des mètres entre lui et votre soeur. Les larmes coulent sur ses joues, invisible aux yeux du public, mais je les vois, ils les voient. Mais il ne dit rien, il mourrait pour pouvoir courir vers elle et la prendre dans ses bras, pour pouvoir la consoler. Pouvoir effacer ces larmes invisibles. Plus que cinq pas, il vous sourie, quatre, son regard se pose pour la dernière fois vers votre sœur, il cri, un cri muet pour vos oreilles. Ses yeux crient d'impuissance, comme les votre de rage contre moi il a quelques heures, ils pleurent. Pourtant il avance. Il est plus fort que vous. Il baisse les yeux, marque un temps d'arrêt, l'assemblée est en suspens. Philaé reprend espoir, Yssa sers le poing, d'ici j'entends ses cris, ses pleurent. Mais il est fort, il relève la tête et avance. Un mètre. Il tourne son regard vers moi, je l'entends. Son regard bleu ambré entre dans le mien. J'imagine mes pupilles noires lui crier de partir, de prendre Philaé dans ses bras, car ses pleurs muets déchirent mes oreilles. Mais il refuse, il doit suivre le chemin tracé pour lui, il dit qu'il doit payer pour son erreur. Votre sœur est son erreur. Voilà ce qu'il pense, serait il aveugle ? Son erreur est de la laisser pleurer. Mais, il préfère la laisser mourir de tristesse, que manquer à son devoir. Responsable, ses yeux disent qu'il faut être responsable. Mais ils ne disent pas que cela. Les cris de votre soeur, il les entend. Il me demande la faire sortir, son regard bleu qui cherche le sien est insupportable. Philaé, il me dit de vous dire, que vos cris sont insupportables, que vous quitter est insupportable, que vous pleurs le torture. Mais qu'il continue. Parce qu'il le doit. Parce que la vie est injuste. Plus de mètres, il vous prend dans ses bras, avec un sourire magnifique. Comme fait-il ? Il vous embrasse. Serait lui aussi cruel ? Non, ses pleurs, il les cache, mais ils sont la. Il souffre, de ne pouvoir la prendre dans ses bras et la consoler. Vous êtes mariés. La fête commence.

Les larmes de votre sœur deviennent réelles, elles roulent sur ses joues. Elle se lève, et commence à partir. Dois-je la laisser disparaître, se tuer ? Je ne sais pas. Princesse, vous aimez votre sœur ? Alors sauvez-la. Je ne peux rien faire, j'aimerai pouvoir l'arrêter. Mais mes jambes ne veulent pas bouger. Elle a disparu, je ne la vois plus. Suis-je le seul à m'en rendre compte ? Non, bien sur que non. Il la cherche aussi. La peur qu'elle soit déjà morte l'entoure, le dévore. Mais il ne bouge pas. Vous le tenez contre vous.

Vous vous approchez, il s'approche. Car votre regard fui le mien. Quand vous êtes à deux mètres de moi, votre bouche s'entre ouvre. Mais aucun mots ne sortent, voudriez vous parler ?
Yssa le fais à votre place. Il me demande d'une voix joyeuse quoique légèrement curieuse où est votre sœur. Vous ne paressais pas inquiète à son sujet. Mon regard noir plonge dans celui de votre mari. Votre soeur n'est plus de ce monde j'aimerai lui crier à la figure. Mais mon regard parle à ma place. Je lui dis seulement que je l'ai vue partir à la rivière. Vous souriez, sans comprendre. Peu importe, Il a compris. La peur se dessine tout d'un coup sur son visage. Il vous lâche violemment, et coure, après ce qui aurait été quelques minutes plus tôt votre soeur.
Puis tout se passe très vite, ses cris déchirent la joie et la bonne humeur qui régnait. Ses larmes coulent, de plus en plus vite, de plus en plus nombreuses. Il regrette. Mais c'est bien fait. Son 'erreur' est morte. Cet idiot n'a plus de soucis a se faire. Vous comprenez. Les larmes coulent elles aussi sur vos joues. Pleurez-vous votre sœur, ou sa trahison ?

J'hésite entre les deux, mais vous n'hésitez pas à partir en courant, en larmes. Je vous suis. En tant que domestique ou en tant qu'homme ? Je ne sais pas. Mais je vous suis. C'est sûrement la plus belle erreur de ma vie. Mais elle sera toujours moins énorme que celle d'Yssa.
La rivière. Vous yeux se posent sur elle, et sur les oiseaux qui l'entourent. Vous vous retournez, vos cheveux volent, et retombent doucement. Vous me regardez, il n'y a plus cette glace dans votre regard, non. Il est juste suppliant. Mais je ne vous écoute pas, je vous ignore. Vous vous laissez tomber dans mes bras, mais je vous ignore, vous tombez au sol. La souffrance plane sur vous. Mais je ne suis pas votre lot de consolation. Êtes-vous si cruelle ? Finalement ce n'est pas Yssa qui ne vous mérite pas. C'est vous qui ne le méritez pas. Mais Mathilde ? Méritez-vous de vivre ?

Mes doigts se reposent sur votre gorge, vous ne faites rien. Un léger sourire aux lèvres. C'est la seule fois de votre vie que vous souriez pour moi. C'est triste. Mais c'est comme ça. Je vous lâche. Vous retombez au sol, inerte. Un cygne s'envole, apeuré.

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♦ Fin ♦