Lorsqu’Allan découvrit le Livre des Croyances Oubliées, il ne s’imaginait pas qu’il deviendrait ce qu’il est aujourd’hui. Il était alors un jeune adolescent, d’une quinzaine d’années, et bien loin de cette fois impie que possédaient les anciens peuples du mondes – et que certains possèdent encore. Mais les sinistres rouages du Destin – à moins qu’il ne s’agisse de forces cosmiques insoupçonnées – en ont décidé autrement.
Cela advint un jour d’automne déclinant. La plus belle partie de la saison était achevée, et les feuilles roussissaient lentement. Dans les montagnes, les alpages commençaient à être désertés, et le vent fraîchissait. Malgré cela, la température restait chaude, et Allan avait décidé de se promener dans l’étroit lacis que dessinent les petites maisons resserrées au toit bas et en pignon de la ville de Dijon, la ville qu’entourent de majestueuses collines verdoyantes, au faîte desquelles courent des arbres grands et antiques, qui flamboient sous la lumière du Soleil de l’automne. Novembre aux lourdes brumes s’approchait, mais, pourtant, les touristes se pressaient pour admirer Notre-Dame aux maintes tourelles en pierres vénérables et couvertes d’une mousse centenaire, dont la chouette est si réputée. Allan préférait cependant l’ancien centre de Dijon, qui lui semblait si ancien et en même temps préservé des ravages du temps.
Il arpentait donc les petites ruelles aux multiples coudes, admirant les toits bas et pointus qui se découpaient avec netteté dans l’éther céruléen. Il y avait environ deux heures qu’il était parti, mais point ne se lassait-il des rues aux pavés inégaux qui sillonnent la ville des anciens Ducs de Bourgogne. Toutefois, le Soleil descendait lentement dans l’azur céleste, et s’allongeaient les ombres et s’obscurcissaient les venelles déjà sombres. Allan commençait à songer à rentrer chez lui, quand il aperçut soudain la petite échoppe d’un antiquaire, qu’il n’avait jusque lors jamais remarquée. Comme les étranges caractères, gravés sur une pancarte au-dessus de la porte, si effacés qu’on ne pouvait plus les lire, l’intriguaient, il décida d’y entrer, après quoi il retournerait dans sa maison, là-haut sur les hauteurs orientales de Fontaine-Lès-Dijon. La porte de bois s’ouvrit silencieusement lorsqu’il en tourna la poignée, et Allan pénétra dans ce qui semblait être le refuge de tout ce que le monde a perdu. Des objets d’une antiquité incroyable étaient entassés là, et de certains sourdait un mystère presque tangible. Des lunettes datant de la Renaissance, ornées de fines moulures dorées, un modèle des premières boussoles créées, d’étranges cubes verdâtres émettant une curieuse phosphorescence dans la pénombre de la pièce… Le tout avait échu à un homme de petite taille, barbu et chevelu à outrance. Il parut d’abord faible et maladif à Allan, mais dans ses yeux bleus incandescents brillait une curieuse lueur… Allan lui souhaitait le bonjour, et commença à explorer le pandémonium poussiéreux de la pièce, son étonnement croissant devant la richesse de cet endroit. Il y avait, posées sur une table de sapin des forêts solitaires du Nord, des partitions écrites par un compositeur inconnu. Allan y jeta un bref coup d’œil – il était organiste – et fut surpris par l’extrême densité du contrepoint – digne de Bach dans ses dernières années. Il s’en désintéressa cependant, lorsqu’il vit, sous des lampes à huile provenant de quelque cité perdue, un curieux manuscrit, qui devait être médiéval : son auteur l’avait rédigé sur une peau de chèvre. le titre en était « Liber Fiderum Oblitarum ». S’approchant, Allan s’aperçut qu’un symbole ésotérique avait été tracé sur la couverture ; et assurément, il exerçait une sinistre séduction sur qui le voyait, car Allan n’eut dès lors d’autres idées que l’acheter, ce qu’il s’empressa de faire. Sans marchander, il paya le livre, bien que son prix fût relativement élevé. Il s’en fut ensuite dans le crépuscule aux lueurs bleutées, son bien sous le bras. Rapidement, il atteignit sa maison, et sitôt qu’il eut salué sa mère et son père, s’enferma dans sa chambre, et commença à lire.
Les événements qui survinrent ensuite s’enchaînèrent alors avec célérité, et les choses aboutirent rapidement au point où elles en sont aujourd’hui. Allan apprit l’incantation des Sept, ainsi que la façon de tracer le Glyphe du Sang ; et il s’agissait des deux plus noirs secrets de ce livre, qui n’était autre que le Livre des Croyances Oubliées, rédigé au sommet du mont disparu d’Alak-Gyar, d’où s’exhalaient des laves pestilentielles, qui brûlaient la terre, et l’imprégnaient à jamais d’une odeur méphitique, comme venue du fond des Enfers. Quelles puissances occultes et cosmiques l’avaient mis entre ses mains, je ne saurais le dire. Toujours est-il qu’Allan prêta allégeance aux Treize Régents, et gravit un à un les échelons de cette foi immonde et infernale, où l’on jure par le Sang des Morts, la Voix des Vivants et la Lumière des Etoiles. Aujourd’hui, Allan officie, à l’aide d’un couteau en argent maudit, au sommet de la Colline de Saint Jean, sous les milliers d’yeux brillant d’une extase indicible des adorateurs impies, sacrifiant hommes et animaux en l’honneur de divinités perdues pour le reste du monde.