Lointain souvenir.. | | Jeu 20 Oct 2011 - 15:04 La nuit tombait, nimbant la chute d'une tendre obscurité. Le ciel était noir ce soir, d'épais nuages masquaient la lueur des étoiles. Tout semblait étrangement calme, embourbé dans un silence dense, presque effrayant. Même la cascade furieuse de la rivière semblait s'être tue, son habituel grondement réduit à un murmure timide. L'atmosphère était pesante, intimidante. Je me recroquevillai sous l'unique buisson au feuillage encore vert où j'avais élu domicile pour la nuit, et frissonnais. Qu'allait-il se passer ? Toute la nature semblait annoncer un cataclysme..
Mais malgré moi, je ne pouvais m’empêcher d'être curieux et sortis le museau hors de ma cachette. Un vent glacial ébouriffa ma fourrure, et une chose blanche et froide s'écrasa sur mon museau : le premier flocon de neige. Je souris, comprenant la raison de cet inhabituel silence. Avez-vous remarqué comme tout est calme lorsqu'il neige ? Apaisé, je reculai dans ma tanière, me roulai en boule, et m'endormis.
Un étrange rêve m'enveloppa cette nuit là. Était-ce parce que j'étais revenu sur les lieux du drame, mu par un accès de mélancolie ? Ou bien était-ce la neige qui me rappelait cet hiver là ? Je n'en sais rien. Toujours est-il que je me retrouve emporté dans le passé, englouti dans un lointain souvenir...
~oOo~
C'est moi Seran ! Je suis un jeune solitaire de huit lunes, au long poil noir et blanc soyeux. J'ai des grandes pattes et je peux courir vite, très vite ! Plus vite que ma sœur Eira, qui se moque souvent de moi. Pourtant, elle aussi a de grandes pattes. Mais, nous ne ressemblons pas vraiment. Elle a le poil court et blanc, avec des taches brun-roux. En fait, la seule chose que nous avons vraiment en commun physiquement, ce sont nos yeux : de grands yeux d'un vert brillant...
Aujourd'hui, maman nous emmène chasser. C'est le premier redoux de la saison des neiges, et nous devons attraper le plus de proies possibles. Nous sortons prudemment de notre tanière, près de la chute. Comme à chaque fois, je m'arrête pour contempler la cascade gelée. Le soleil hivernal y jette ses plus beaux rayons, parant la fascinante sculpture de glace de reflets mordorés. Eira me pousse de l'épaule, sous le regard amusé de notre mère :- Pousse-toi de là gros nigaud ! Tu bloques la sortie !
Je grogne et fais mine de lui donner un coup de patte sur l'oreille. Elle esquive, me tire la langue et part à toute allure vers la chute, remontant la pente dans une gerbe de neige. Maman la suit, comme d'habitude. Je les regarde s'éloigner, deux silhouettes blanches disparaissant à l'horizon. Elles se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Je ressemble à mon père, mais je ne l'ai ramais rencontré, car il est mort avant ma naissance, tué par un blaireau. J'espère que Eira et maman chasseront sans encombre.
Mon ventre gargouille, me ramenant à la dure réalité : nous n'avons pas mangé depuis deux jours, et je meurs de faim. Je dois absolument trouver des proies, sinon Eira va encore me ridiculiser. Après tout, c'est moi le mâle dominant ici ! Revigoré, je m'étire, puis longe la côte enneigée, à l'affut. J'aime chasser seul. Ça me donne l'impression de partir à l'aventure.
Tous mes sens en alerte, je longe la plage à la recherche d'une piste. La neige crisse doucement sous mes pas, et je m'enfonce un peu dans l'épais tapis blanc. Soudain, je sens une piste. Je m'arrête, tapis dans la neige, et renifle avec attention, cherchant des yeux l'animal. La brise m'apporte le doux fumet d'un campagnol, que je ne tarde pas à apercevoir, à deux longueurs de queues. Il a déniché quelques graines, qu'il dévore avidement. Je prends la position du chasseur et m'approche doucement, en prenant soin d'être face au vent. Le campagnol ne m'a pas repéré, silencieux comme une ombre, j'avance. Me voici à portée de ma proie. Je bondis, projetant une gerbe de neige et brise le cou du rongeur.
Me voici qui salive, mon appétit réveillé, et je dévore ma prise sur le champ. La viande maigre me parait un festin de roi, et il ne reste bientôt plus rien du campagnol. Je me lèche les babines, satisfait, et m'apprête à me remettre en chasse lorsque qu'un horrible cri retentit, me glaçant jusqu'aux os.- MAMAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN ! C'est la voie d'Eira, qui hurle. Le profond désespoir qui y transparait enserre mon cœur dans un étau de terreur. Quelque chose d'affreux vient d'arriver. Je le sais, je le sens. Quelque chose qui bouleversera mon existence à jamais.
Je fais volte-face et je cours, je cours à en perdre haleine vers ma sœur, vers ma mère, vers la chute gelée. La chute gelée qui n'est plus gelée. Le redoux à libéré la rivière. La glace se brise, tombe avec fracas, et avec elle une silhouette blanche, qui disparait à jamais dans le tumulte des eaux noires. Ma mère est morte. Je reste là, pétrifié, incapable d'agir. Morte. Elle est Morte... Elle.. ELLE EST MORTE !!!- NOOOOOOOOOON ! Je hurle, NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !Je fonce vers la mer, vers la glace qui s'y perd, tentant de repérer une silhouette blanche. Elle ne peux pas être morte ! Elle ne peut .. !
Un petit corps sans vie git sur le rivage, intact. Intact, mais sans vie. Noyée. Elle est morte noyée. Une vague de chagrin m'engloutit. J'enfouis mon visage dans la fourrure trempée, je respire son parfum, submergé par les larmes.
- Eira ...J'appelle ma sœur d'une voix brisée, rendue rauque par le chagrin.
- Eira ...Mais ma sœur ne bouge pas, elle fixe l'eau, une expression horrifiée déformant son visage.- Maman ...Ma voix se brise sur ce dernier mot. Ma sœur s'enfuit. Je la regarde disparaitre sans comprendre. Que s'est-il passé ? Pourquoi ? Je n'aurai jamais la réponse. Je ne la reverrai jamais. Je n'ai pas la force de la poursuivre. Je ne peux pas abandonner ma mère. Je la veille, sanglotant en silence, tandis qu'elle rejoint le Clan des Étoiles. La journée passe, puis la nuit. Je me sens vide. Vide, incapable de penser, incapable d'agir. Je n'ai plus faim, je n'ai plus froid. Je ne suis qu'une coquille vide recroquevillée près de son corps sans vie. Le jour se lève. Elle a rejoint le clan des Étoiles à présent.
"Puissent-ils prendre soin de toi.."
Je m'étire, mes muscles sont raides, engourdis. Je me met au travail. Je l'enterre dans notre ancienne tanière, là où elle a vécu, la où je l'ai aimée. Je comble la tanière avec de la terre et du sable, ensevelissant les dernières parcelles de mon enfance. Seran, le chaton insouciant, n'est plus. Il s'est envolé avec sa mère. Seran, le guerrier solitaire, est né.
Un dernier regard sur la tombe de ma mère et je m'éloigne dans la neige. Je dois encore survivre... | | Lointain souvenir.. |
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